L'insu et l'Insoutenable
Alors qu’elle vivait en Angleterre, prise dans une spirale destructrice marquée par la drogue et l’errance mentale, Agathe commença à ressentir les effets profonds d’une emprise qu’elle ne parvenait pas à nommer. Elle en était désormais presque certaine : ses dealers l’avaient manipulée, avaient joué avec son cerveau et sa conscience, ou du moins, influencée à un point tel qu’elle ne pensait plus par elle-même. Comme anesthésiée, vidée de sa volonté propre, elle agissait mécaniquement, comme un automate. C’est dans cet état second qu’elle déroba un carnet d’adresses — un geste qu’elle ne se serait jamais permise en temps normal.
Mais ce qui suivit fut encore plus glaçant. Elle s’aperçut que sa mère, présente ce jour-là, l’épiait en silence, dissimulée derrière son dos, alors qu'elle comptait déballer ses affaires. Le pire, c'est qu'elle n'avait aucun souvenir de cet objet, donc elle mit un moment à le regarder dans ses mains. Trop étrange pour être une simple coïncidence. Le vol fut commis à l'étranger, alors qu'elle était encore entourée de ces vendeurs de drogue, lorsqu'elle ne se sentait plus le choix de travailler sans sa dose. Et lorsque sa mère surgit avec des remarques moralisatrices, jouant le rôle de la figure d’autorité choquée, Agathe, blessée, révoltée, incapable de supporter une nouvelle humiliation venant de celle qui lui avait tant pris, se rebella. Une énième tentative de reprendre le contrôle sur sa vie face à sa mère. Elle qui avait tout perdu en quittant l'Angleterre pour revenir chez elle. Elle prit une posture orgueilleuse, presque arrogante, non pas par réelle conviction, mais pour ne pas perdre la face. Pour une fois, elle voulait avoir le dessus. Pour une fois, elle voulait que ce soit elle qui contrôle le récit.
Mais cette posture devint une arme contre elle. Sa mère, furieuse, les yeux chargés de colère, lui déclara qu’elle l’avait enregistrée. Et que désormais, elle allait refaire sa réputation. Ces mots, prononcés comme une sentence, restèrent gravés dans la mémoire d’Agathe. Était-ce vrai ? Avait-elle vraiment été enregistrée, ou n’était-ce qu’une menace de plus, un stratagème pour mieux l’écraser ? Et surtout : comment expliquer que sa mère soit présente, à cet instant précis, témoin direct du vol, si tout cela n’avait pas été prémédité ?
Bien sûr, Agathe ne douta pas de l'utilisation de ce répertoire par sa mère pour se faire un nom. La bien pensante irréprochable qui punie sa fille de ses méfaits, car c'est en réalité une mauvaise personne et elle l'a toujours été. Se montrer plus forte, plus responsable, plus aimable, plus sociable que sa fille, et qui lui reprochera plus tard à l'inverse d'être tout l'inverse d'elle, comme les mots asociale et tant d'autres balancée en pleine face, quelle belle tactique. Tout pour la briser, à tous niveaux. En effet, peu de temps après, des rumeurs commencèrent à circuler. On disait d’Agathe qu’elle était une voleuse. Sa mère n’eut qu’à souffler l’idée — une étincelle — pour qu’autour, l’incendie prenne. Pourtant, personne ne s’interrogea sur pourquoi une adolescente avait pu se retrouver dans cet état. Personne ne rappela que c’est sa mère elle-même qui l’avait poussée à fuir son pays, à s’exiler loin des abus, loin de tout ce qu’elle avait subi en silence. Que les drogues avaient abîmé son cerveau encore en formation, creusant des failles là où déjà il y avait tant de blessures. C’était facile, trop facile, de pointer du doigt les effets, sans jamais interroger les causes.
Et que dire des insultes "prédites" par sa grand-mère maternelle ? Des années auparavant, celle-ci lui avait affirmé qu’un jour, elle serait insultée, rejetée, humiliée. Était-ce vraiment le fruit du hasard, ou bien la mise en œuvre d’un plan pervers, d’une prophétie auto-réalisée ? Un piège monstrueux dans lequel Agathe, trop jeune, trop fragile, était tombée la tête la première.
Dans ce brouillard de confusion et de manipulation, la drogue ne l’avait pas aidée à voir clair, ni à démêler les fils de cette histoire tissée depuis l’enfance. Pourtant, une chose, une seule, brillait au milieu de cette obscurité : la vérité. C’était la seule chose qu’elle possédait encore. Et c’était là qu’Agathe puisait sa force. Dans ce savoir intime, brut, douloureux mais inébranlable. C’est cela qui la faisait tenir. C’est cela qui la maintenait en vie.
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