Chapitre 3

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L'horloge affichait 4 heures du matin lorsque je rouvris les yeux. Même avec quatre heures de sommeil, je me sentais pleine d'énergie. Une fois assise, je remarquai mon bras, la peau encore rouge, mais la douleur maintenant chose du passé. Je caressai ma peau meurtrie, surprise par la rapidité de ma guérison. Ma surprise s'effaça sous la sensation de faim qui m'envahit. Malgré les quatre petites heures écoulées, mon estomac criait famine, comme si je n'avais rien avalé depuis une semaine. Ma gorge brûlait et je la massai avec un soupir.

— Bien sûr.

Je retrouvai Darren dans la cuisine, sans doute réveillé depuis peu lui aussi. Il récupérait une bouteille dans le réfrigérateur et lorsqu'il se retourna, nos regards se croisèrent.

— Bonjour Maëlys, fit-il, déposant la bouteille sur la table. As-tu bien dormi?

Je hochai la tête avec hésitation.

— Oui, mais la nuit a été courte, répondis-je, encore un peu désorientée.

Darren acquiesça.

— C'est normal. Nous n'avons pas besoin d'autant de sommeil que les humains.

Ses yeux se posèrent sur mon bras et il sembla satisfait.

— Ton bras semble aller beaucoup mieux.

Je hochai la tête.

— C'est incroyable, fis-je.

— Je t'avais prévenu, non ? Ta guérison ne devrait prendre que 24 à 48 heures.

— Mais je pensais que les vampires se transformaient en poussière au soleil. C'est ce qu'on voit dans les films, non ?

— Ce n'est pas faux. Le soleil reste dangereux pour nous, même si nous pouvons nous protéger. Sans une protection adéquate, même quelques secondes peuvent provoquer de graves brûlures.

— Suis-je tirée d'affaires maintenant ?

— Oui, mais ne sors surtout pas sans appliquer une généreuse couche de crème.

Je hochai la tête, mes yeux se posant sur la bouteille sur la table. Mon estomac se mit à crier, ma gorge encore plus brûlante.

— En veux-tu aussi ?

Je hochai la tête et Darren remplit deux verres. Nous nous installâmes à table.

Après avoir vidé mon premier verre, je le remplis à nouveau, enchaînant les verres comme la veille. Après un nombre inconnu de verres vides, je le posai enfin. La bouteille, vide elle aussi, me troublait.

— Tu peux en avoir encore, me dit Darren. Je contacterai mon ami plus tôt pour qu'il nous en apporte.

Ses paroles ajoutèrent à ma culpabilité.

Mon intrusion soudaine dans son quotidien devait bouleverser bien des choses pour Darren.

— Non, ça ira. Je n'ai plus soif, pour l'instant.

Je ne mentais pas.

Avec près de deux heures restantes avant le lever du soleil, je décidai de m'aventurer dans la cour. Sans doute aurai-je dû m'habiller autrement, mon short en jeans n'étant pas l'idéal pour le sport. Bien qu'il ne s'agissait pas de ma première idée de passe-temps, j'avais un mois et demi pour me maîtriser avant le début des cours. Je me plaçai en position de course.

— Tu dois passer pour une humaine, me murmurai-je.

Je savais que je devais contrôler mon enthousiasme, mais je fonçai comme une flèche, traversant la cour en un record imbattable. De retour à mon point de départ, je refusai le défaitisme. Il fallait que je prenne le temps de contrôler mes mouvements et de ne pas me laisser emporter par l'adrénaline. Je repris la course, me forçant à prendre un rythme plus calme et maîtrisé cette fois-ci. Chaque mouvement me parut peu naturel, mais je cherchai à avoir l'air humaine, faible même, comme si je sortais réellement d'un long coma.

Chaque mouvement réclamait toute ma concentration. À la seconde où je me déconcentrais, je partais en flèche. Après quelques tours, je simulai l'essoufflement. Je ralentis peu à peu, me penchant à l'avant et lâchant des respirations exagérées. Je réalisai le manque de réalisme de l'action. Je recommençai pour encore quelques tours, la soif recommençant à monter en moi. Je m'arrêtai un instant, la gorge brûlante de soif. Je fermai les yeux, et respirai un bon coup. Sans toutefois repousser mes limites, je décidai de retenir cette envie encore un peu. Je refis le même exercice trois fois avant que la soif ne devienne insupportable et je me rendis à la cuisine à pas pressés.

Trois, quatre, six, dix verres vidés avant de m'apaiser. Je songeai à aller nager, mais avec la menace du soleil, j'y renonçai aussitôt. Je me retrouvai donc dans le bureau de Darren. Il se tourna de son ordinateur et s'adressa à moi.

— Comment se passe ton entraînement?

— J'essaie, répondis-je. Mais ce n'est pas facile de me contrôler. J'ai couru dans la cour tout à l'heure et j'ai dû vraiment me concentrer pour ne pas aller trop vite.

— C'est normal. Ça prend du temps pour s'habituer à ses nouvelles capacités.

— Croyez-vous que je serai prête pour la rentrée ? demandai-je.

Darren s'approcha et posa une main rassurante sur mon épaule.

— Je ne vais pas te donner de faux espoirs. Mais tu as la volonté, alors je veux y croire.

— Moi aussi.

— Maintenant, que dirais-tu de faire une pause ? Tu continueras ce soir.

Assise sur le canapé à relire le premier tome d'Harry Potter, j'observai à l'occasion Darren qui écrivait à l'ordinateur.

— Au fait, que faites-vous comme travail ?

La question m'échappa sans que je la retienne.

— Désolée. Je pose trop de questions, non ?

Darren se tourna vers moi avec un sourire.

— Ce n'est pas un si grand secret. Je suis écrivain. Au fil des siècles, j'ai publié de nombreux ouvrages.

— Comment ? Les gens auraient compris, non ?

— Je change de nom de plume tous les 15 ou 20 ans.

— Ah.

— C'est comme ça que j'ai accumulé une petite fortune. Le travail et les efforts paient, Maëlys.

— Comme pour mon entraînement ?

— En effet.

Je méditai un instant sur ses paroles, réalisant soudain quelque chose.

— Attendez… Avez-vous dit « au fil des siècles » ? Quel âge avez-vous en réalité ?

Darren hésita un instant et répondit :

— Je suis né au début du 14ᵉ siècle.

— Donc, vous avez plus de 700 ans, murmurai-je. Je n'arrive même pas à imaginer vivre si longtemps.

Je glissai un marque-page là où j'arrêtai ma lecture et posai le livre sur la table. Soudain la conversation m'intéressait plus que les aventures du jeune sorcier.

— Et vous avez vécu un peu partout dans le monde.

— Pendant mes premières décennies, j'ai vécu chez le vampire qui m'a transformé. Nous sommes devenus de bons amis, de vrais frères.

Une question me brûlait les lèvres et j’hésitai à la poser. Après quelques secondes, je me lançai:

— N’est-ce pas difficile de renoncer à nos proches encore en vie? Mes grands-parents… je ne pourrai jamais les revoir.

Darren pivota la chaise de bureau.

— Parfois la vie nous arrache des êtres chers plus tôt que nous ne l’aurions cru, répondit-il. Parfois, il est préférable de s’éloigner.

Je hochai la tête.

— Les années passent, et on apprend à vivre avec la perte. Mais je n’ai jamais cessé de penser à ceux que j’ai perdus.

Un silence s’ensuivit et Darren reprit la parole:

— Mais parlons plutôt de lecture. Je vois que tu as choisi Harry Potter.

Quelque chose dans son regard me fit comprendre qu'il y avait plus, une douleur ancienne qu'il ne souhaitait pas partager. Il m'avait confié avoir perdu des êtres chers, comme moi. Je respectai son désir de changer de sujet.

— C'est ma deuxième relecture, répondis-je. J'ai toujours adoré la fantaisie. En écrivez-vous ?

— Pendant longtemps, je n'écrivais exclusivement que sur des faits vécus et observés, déclara-t-il. Mes premiers manuscrits étaient écrits à la main, bien sûr. Je les ai retranscrits avec l’arrivée de la machine à écrire. Nombreux ont été restaurés à l’ordinateur et sont disponibles en livres numériques.

— Vous avez donc publié des livres sous des noms différents, et… Personne n’a jamais découvert que vous étiez le même auteur à travers les âges ? demandai-je, l’ombre d’un sourire dans les coins de mes lèvres.

— J'ai publié mes premiers manuscrits au début du 20ᵉ siècle. Je racontais aux éditeurs que j’avais trouvé des anciens écrits d’un ancêtre et que j’avais pris le temps de les retranscrire. Ce qui était faux. C’était les miens.

Je m'efforçai de ne pas rire en imaginant Darren vendant ses propres écrits comme des manuscrits retrouvés dans un vieux coffre poussiéreux. C'était une manière brillante de contourner les soupçons.

— Et maintenant ?

— J'ai diversifié mes genres au fil du temps, répondit-il en se levant de la chaise. La poésie, la fantasy, les polars… Même quelques thrillers. L'immortalité offre du temps pour explorer différents styles.

Je hochai la tête.

— Comment avez-vous commencé ? Je veux dire, qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire au début ?

Après un bref silence, Darren répondit:

— Au début, c'était une façon de garder trace de tout ce que je voyais, de ce monde qui changeait si vite autour de moi.

Darren s'interrompit un instant avant d'ajouter:

— Et puis, reprit-il, c'est devenu une passion. J'en suis venu à adorer explorer différents univers ou scénarios.

— J'aimerais beaucoup lire certains de vos livres un jour.

— Je serais ravi de t'en prêter quelques-uns. Peut-être que cela t'inspirera pour écrire tes propres histoires un jour.

— Vous pensez que je pourrais devenir écrivaine aussi ? demandai-je, surprise.

— Pourquoi pas ? Tu as l'éternité devant toi pour apprendre et te perfectionner. Et puis, tu auras certainement des histoires intéressantes à raconter.

Déjà petite, les livres me passionnaient. Devenir écrivaine me sembla une idée fascinante.

— Je pourrais toujours raconter ma propre histoire en tant que nouvelle vampire.

— Ce serait certainement une histoire intéressante. Mais rappelle-toi, la discrétion est cruciale.

— Je sais, répondis-je. J'en ferais une histoire de fiction.

Soudain, une sensation maintenant familière monta en moi. Ma gorge sèche passa au premier plan dans ma tête.

— Excusez-moi, dis-je en me levant. Je vais me chercher quelque chose à boire.

— Bien sûr, vas-y, répondit Darren.

Je me dirigeai vers la cuisine et avalai plusieurs verres de sang synthétique. Je grimaçai en constatant que le réfrigérateur était presque vide. Je frappai ensuite à la porte du bureau de Darren et l'entrouvrit.

— Je voudrais vous avertir que le réfrigérateur est presque vide.

— Oui, ne t’en préoccupe pas.

Je décidai de faire confiance à Darren et retournai à mon livre. Je ne réalisai le temps que lorsque je vis le soleil se coucher à travers la porte du bureau.

— Comme la nuit tombe, si tu veux aller dans la cour, vas-y.

— Je pense que j'ai envie d'aller nager.

— Tant que tu rentres à l'intérieur avant l'aube, je ne vois pas de problèmes à ça.

Après avoir enfilé mon maillot de bain et récupéré une serviette dans la salle de bain, je me dirigeai vers la piscine. L'air frais sur ma peau ne me causa pas de frissons. Je plongeai d'abord mes pieds. Malgré la fraîcheur de la nuit, l'eau était à une température confortable. Ça avait sans doute plus à voir avec ma nouvelle condition qu'autre chose. Un humain aurait sans doute frissonné. Je me jetai à l'eau, commençant par des longueurs hésitantes avant de me laisser aller.

Une sensation de liberté et de légèreté m'envahissait alors que je glissai à travers l'eau comme une sirène. Je fis plusieurs longueurs avant de tourner sur le dos, fixant les étoiles. Soudain, je plongeai sous la surface, m’émerveillant de la durée pendant laquelle je pouvais retenir ma respiration. Je restai pendant un long moment sans ressentir le manque d'air. Je pouvais à peine contenir mon excitation. Quand je remontai à la surface, Darren se tenait au bord de la piscine avec un sourire amusé.

— Eh bien, que dirais-tu de sortir ? Tu as nagé pendant plus de deux heures.

— Deux heures ? Je n'ai pas vu le temps passer. J'ai même pu retenir ma respiration pendant une éternité. Je suis comme une vraie sirène !

— Plutôt un vampire qui n'a pas besoin de respirer, corrigea-t-il. Nous n'avons pas besoin de respirer, contrairement aux humains. Tu peux retenir ta respiration aussi longtemps que tu veux maintenant.

Je souris en sortant de la piscine. Lorsque je me levai, mon maillot de bain collait à mon corps.

Je m'essuyai avec la serviette et Darren déclara :

— C'est une autre partie de ton entraînement.

Je hochai la tête.

— Je ne dois pas rester trop longtemps sous l'eau et nager si vite.

— Tu as compris, affirma Darren. Je vais aller au lit. Tu ne devrais pas tarder.

— Juste quelques minutes.

Je décidai de rester sous les étoiles. Le soleil devenu un ennemi, la lune devint mon amie, ma libération.

— Bonne nuit.

— Bonne nuit.

Je restai un moment, admirant les différentes constellations dont j'ignorais les noms. Cependant, cette sérénité se brisa lorsque je ressentis un creux dans mon estomac et une sécheresse un peu trop inconfortable dans ma gorge. Je me dirigeai vers la cuisine et ouvris le réfrigérateur. Après avoir vidé ce qui restait d'une bouteille entamée, je ressentis la lourdeur de mon corps. Je laissai la bouteille vide sur le meuble de cuisine et montai. Avant d'aller au lit, j'optai pour une douche rapide. L'odeur de chlore agressait mes narines. J'enfilai mon pyjama et me blottis dans le lit.

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