Chapitre 6

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Je me réveillai d'un sommeil sans rêves pour découvrir une couverture déposée sur moi. M'asseyant sur le canapé, je constatai être seule dans la pièce. Je me levai et ouvris les rideaux, sans danger sur ma peau fragile. Le ciel se colorait de teintes rose orangées et je restai à admirer le spectacle du lever du soleil. Jamais avant je ne me serais levée si tôt.

Ma soif m'offrait un semblant de répit sans pour autant s'effacer entièrement en arrière-plan. Je me retrouvai dans la cuisine où Darren et Marcus buvaient chacun un verre. Je me servis et m'assis au bout de la table, entre les deux hommes.

— Bien dormi ? demanda Marcus.

— Une fois que j'ai réussi à m'endormir, oui.

Je portai mon verre à mes lèvres et le vidai d'une traite. Le sang synthétique calma ma soif, mais…

Ce n’est pas chez moi.

L’idée me frappa soudain, comme un écho trop longtemps ignoré. Ce manoir avec ses murs couverts de tableaux et sa vaste collection de livres, tout appartenait à Darren.

Je reposai le verre sur la table et pris une grande inspiration.

— J’aimerais retourner chez moi. Je ne veux dire que je veux y vivre. Je veux juste récupérer quelques affaires.

Un silence de plomb s'ensuivit.

— Maëlys, es-tu certaine que c’est une bonne idée ? demanda Darren.

— Je pense qu’elle devrait y aller, affirma Marcus. Ça pourrait l’aider à clore ce chapitre de sa vie.

— C’est risqué, finit-il par dire. Ta disparition a fait la une des journaux. Et si quelqu’un te reconnaît ?

— Je ferai comme au parc.

Darren posa son verre et nous regarda tour à tour dans les yeux.

— D'accord, céda-t-il. Mais à une condition : je viens avec toi, et nous y allons cette nuit.

— Ça me va. De toute façon, je ne peux pas conduire.

— Mais as-tu au moins un double des clés ?

— Mes parents m’en ont offert un à mes 13 ans. Je le garde toujours sur moi.

Après avoir posé mon verre dans l'évier, je montai pour aller m'habiller. J’enfilai mon tee-shirt préféré, un jean et ma veste à capuchon. Mon regard se posa sur ma valise et j’empochai le double des clés rangées dans la pochette avant. Je descendis avec la valise tenue comme ma poitrine et la déposai contre le mur.

En traversant le salon, je remarquai Marcus et Darren assis autour d'un échiquier, plongés dans une partie silencieuse. Je m'approchai sans faire de bruit du bureau de Darren, une véritable caverne d'Ali Baba pour les amoureux de la lecture. J’emportai le deuxième volume d’Harry Potter jusqu’au salon. Je m’assis sur un fauteuil tout près, regardant d'un œil distrait la partie d’échecs. Mon regard baissa vers le livre posé sur mes genoux. Un monde caché aux yeux des humains… L’histoire de Harry Potter m'avait toujours fascinée dans ce sens. Maintenant, je vivais moi-même dans un univers caché aux humains…

Je posai le livre sur la table devant moi et sortis la clé de ma poche, la serrant dans ma main. Cette maison n'appartenait plus à mes parents.

— Et si c'était une perte de temps ? Et si mes affaires avaient déjà disparu ?

Je lève les yeux vers Darren et Marcus, toujours en pleine partie. Ils se tournèrent vers moi, interrompant un instant leur jeu.

— Je doute qu'ils aient touché à quoi que ce soit, répondit Darren. Ça ne fait que quelques jours et la maison est probablement restée telle que tu l’as laissée.

— Donc, il y a une chance que je puisse retrouver mes vêtements, mes livres et même l’album photo de mon enfance.

Pouvoir revoir mes parents en photos à défaut de les avoir près de moi comptait plus que le reste.

Darren hocha la tête.

— Je sais que ça va faire mal, mais je dois le faire, murmurai-je. C'est mon dernier adieu, à mes parents, mais aussi à celle que j'étais.

Les minutes suivantes s’écoulèrent dans un silence de plomb. Je lisais, immergée dans l’univers de Poudlard, lorsque la voix de Marcus brisa le silence.

— Échecs et maths.

Je relevai la tête vers leur partie. Darren soupira et se leva, lissant des plis inexistants de sa chemise.

— Je vous laisse. Je ferais mieux de me remettre au travail.

Je suivis Darren du regard jusqu’à ce que la porte se ferme derrière lui.

— Souhaites-tu faire une partie avec moi ?

La voix de Marcus me rappela sa présence.

— Je n’ai jamais joué aux échecs.

— Alors, c’est l’occasion d’apprendre.

— Je peux essayer.

Marcus me signale de m’asseoir face à lui. Il ajusta les pièces à leur position initiale devant moi.

— Commençons par les bases.

— Le but du jeu est de défendre son roi tout en cherchant à prendre celui de l'ennemi, déclarai-je.

— Tout juste.

Il indiqua la deuxième rangée en face de lui.

— Les pions avancent toujours tout droit d’une case, ou presque.

— Que voulez-vous dire ?

— Lors de leur premier déplacement, et seulement le premier, ils peuvent avancer de deux cases. Ils ne peuvent reculer et ne peuvent avancer s’il y a une autre pièce devant eux.

— Donc, pour capturer…

— Ils ne capturent qu’en diagonale.

— Pour les tours, déclara-t-il en pointant les deux pièces en coin. Elles avancent et capturent en ligne droite, horizontalement ou verticalement. Elles peuvent traverser le plateau, mais ne peuvent passer par-dessus les autres. Pour capturer, il leur suffit de se rendre sur la case occupée par l'ennemi.

— Pour le moment, ça n’a pas l’air si compliqué.

— En effet, dit Marcus en souriant, les règles de base sont assez simples. Mais chaque pièce a sa propre façon de se déplacer.

Je hochai la tête.

— Maintenant, concentrons-nous sur les cavaliers. Ils se déplacent en forme de "L".

Il forma un “L” avec son doigt sur le plateau.

— Mais ce qui rend les cavaliers vraiment uniques, c'est leur capacité à sauter par-dessus d'autres pièces.

— Donc ils peuvent être joués dès le début, même avec la rangée de pions devant eux, supposai-je.

— Exactement ! s'exclama Marcus en me souriant.

Il désigna ensuite les pièces placées de chaque côté du roi et de la reine, tous deux reconnaissables à leurs couronnes.

— Maintenant, passons aux fous, commença-t-il. Eux se déplacent en diagonale sur tout le plateau. Mais un fou qui débute sur une case noire ne pourra jamais toucher une case blanche et vice versa.

Il forma un “X” dans les cases blanches.

— Et maintenant, parlons de la pièce la plus puissante sur l’échiquier, la reine elle-même. Elle peut se déplacer horizontalement, verticalement et même diagonalement, sans aucune limite. Ou plutôt, elle n'en a qu'une. Elle peut aller aussi loin qu'elle le souhaite, sauf si une pièce se trouve sur son chemin.

— Et le roi ?

— Le roi, pièce au cœur du jeu, ne doit pas être atteint. Certes, il avance dans toutes les directions, mais qu'une case. Si une pièce ennemie s'en approche, il ne peut fuir.

— Donc il dépend des autres pièces pour le défendre.

— En effet, sourit Marcus. Prête à faire une partie ?

— Prête.

Alors que le cavalier de Marcus approche de mon roi, il est aussitôt capturé par ma reine.

— Joli.

Sa reine tenta le même coup, et subit le même sort.

— Je vois une reine protectrice de son roi.

— C’est le but, non ?

— En effet, mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

Il dit alors que l’un de ses fous capture ma reine. En peu de temps, seul un pion demeure pour protéger le roi. Sa Majesté parvient à survivre et même à capturer les autres pièces, sauf le roi de Marcus.

— Première partie et c’est égalité.

— Une autre.

Le temps sembla se figer, seuls les cliquetis de l'horloge annonçaient sa progression. Nous jouâmes parties après parties. Sur près d’une vingtaine, j’en gagnai cinq et trois terminèrent en match nul. Considérant que mon adversaire avait des siècles d'expérience, je me débrouillai bien.

— Impressionnant pour une débutante.

— Merci.

Puis une sensation, sans doute déjà mais ignorée, me fit l’honneur, ou l’horreur, de sa présence. Je poussai un soupir discret et me levai.

— C’était agréable, dis-je en quittant la pièce.

Bien sûr, je terminai dans la cuisine et enchaînai les verres. De retour au salon, je replongeai dans les aventures de Harry Potter. Les heures s’enchaînèrent et Darren revint.

— Avez-vous passé un bon moment ?

— Marcus m’a appris à jouer aux échecs.

— Maëlys est une élève brillante.

— Vraiment ?

— Tu apprends vite.

Soudain embarrassée, je baissai les yeux vers mon livre.

— Alors, à quelle heure partons-nous ?

— Nous prendrons la route à vingt-deux heures, répondit Darren. Nous devrions être de retour avant le lever du soleil.

J’acquiesçai, mon estomac noué n’ayant rien à voir avec ma soif. Sa présence me hantait, mais l’anxiété me rongeait. Revenir dans ma maison d'enfance représentait un retour dans un passé à jamais perdu. Étais-je vraiment prête pour ça ?

Peu avant vingt-deux, Marcus se leva.

— Il est temps que je rentre chez moi, déclara-t-il.

Darren et moi l’accompagnâmes jusqu’à la porte. Marcus enfila sa veste et récupéra son sac.

— Prenez soin de vous, déclara Marcus.

— Toi aussi, répondit Darren.

— Que dirais-tu de venir chez moi un de ces jours, Maëlys ?

Ignorant quoi répondre, je gardai le silence.

— Tu n’es pas obligée de répondre tout de suite. Je reviendrai dans un mois. Si es toujours certaine de vouloir aller au lycée, nous nous en occuperons à ce moment-là.

Marcus sortit et un silence nous envahit un instant. Darren et moi nous fixâmes, ses yeux bruns plongés dans les miens.

— Alors, Maëlys… Te sens-tu prête à te mettre en route ?

J’inspirai un bon coup et expirai.

— Oui… J’imagine.

Assise sur le siège passager, je regardai défiler le paysage. Darren conduisait en silence. Le silence dans la voiture me pesait.

— Quelle est ton ancienne adresse ? demanda-t-il soudain.

La tête toujours face à la fenêtre, je la lui donnai.

Après ce qui me parut une éternité, la voiture ralentit. J’aperçus ma maison au coin de cette rue si familière. Darren gara la voiture près du trottoir et coupa le moteur. Nous débarquâmes et l’air frais de la nuit me frappa de plein fouet. Je ne frissonnai pas, le froid à peine tiède sur ma peau de vampire.

— Prête ?

J'acquiesçai, mais mes mains tremblaient. Maintenant que je me trouvais à moins d’un mètre de ma maison, l’anxiété montait.

Nous arrivâmes devant la porte et je sortis la clé de ma poche. À cause de mes mains qui tremblaient, je la laissai tomber. Après l'avoir reprise, je l'insérai dans la serrure.

La porte s’ouvrit et, même sans allumer la lumière, je voyais à la perfection. Je m’arrêtai net en repérant une photo de nous trois. Mon père, entre nous, les bras autour de nos épaules. Ma mère souriait et moi aussi, les dents visibles, des dents humaines.

— C’est ici que j’ai grandi, soufflai-je.

— Tu peux prendre ton temps, dit Darren derrière moi. Nous partirons quand tu le souhaiteras.

— Ce n’est plus ma maison, n’est-ce pas ? Je n’ai plus de parents… Et je ne sais pas quoi faire.

Je montai les escaliers, la main ferme sur la rampe en bois. Ma porte était entrouverte, comme lorsque j’étais partie. J’avançai avec nervosité. Mes doigts frôlent le coin de mon bureau. J’y trouvai mon carnet de notes. Ouvert, je tombai sur une page gribouillée d’une liste de livres à lire, un cœur dessiné à côté de ceux terminés. Je me laissai tomber sur le lit, attrapant ma couverture préférée, celle avec les mignons petits pingouins. Elle sentait l’odeur de vanille de mon ancien shampoing. J’y restai quelques minutes.

Je fourrai quelques jeans et des pulls dans ma valise, ainsi que tous mes sous-vêtements et même des pyjamas et un maillot de rechange. Je plaçai le carnet de notes et même des vieux dessins par-dessus mes vêtements et fermai la valise. Attrapant mon sac à dos dans le placard, j’y plaçai la couverture au fond et sortis de la chambre pour aller dans celle de mes parents. J’emportai des colliers ayant appartenu à ma mère et un pull de mon père que j’enfilai par-dessus mes vêtements.

De retour dans le salon, je sortis un album titré « Album d'enfance de Maëlys ». J’ouvris l’album et commençai à feuilleter les pages. L’album commença par des photos de moi bébé, de mon père m’apprenant à marcher et de mon premier anniversaire. Plus loin, j’arrivai à mon premier Noël. Les années passèrent dans l’album, accompagnées des anniversaires et de Noël suivant et de ma première fois sur mon vélo. J'y trouvai mes photos de classe. Il y avait même des photos de notre visite au salon du livre de Paris quand j'avais 12 ans. Lorsque j’arrivai aux photos les plus récentes, celles de la fête des pères de cette année, je pleurai à chaudes larmes.

Je fermai l'album et le serrai contre ma poitrine.

— Je veux partir.

— Alors, partons.

Nous sortîmes de la maison et refermâmes la porte. Je jetai un dernier regard à ma maison, les larmes coulant toujours sur mes joues.

— Adieu Maman, adieu Papa.

Sans d'autres mots, je m'éloignai et entrai dans la voiture.

Je gardai le sac à dos sur mes genoux pour le retour. L’ouvrant, je m'emmitouflai dans la couverture et feuillettai l’album photo.

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