Chapitre 7

6 minutes de lecture

J'ignore quand je m'endormis, mais je me réveillai les larmes aux yeux. Nous étions revenus au manoir de Darren. Combien d’heures avais-je dormi ? Je regardai l’horloge de la voiture : 3:15.

— Souhaites-tu poursuivre la thérapie par exposition ? demanda-t-il alors. Tu as sûrement eu ta dose d’émotions pour un moment.

— Pour toute une vie, murmurai-je.

Plus une façon de parler, vu ma situation.

— Si tu souhaites continuer, je propose de remettre la prochaine séance à dans une semaine, proposa-t-il.

Je hochai la tête, reconnaissante de ce délai.

Le sommeil bien loin dans mon esprit, je me retrouvai dans la cour arrière. La lune projetait une lumière argentée sur l'herbe à mes pieds. Je fermai les yeux, tentant d’effacer le poids dans ma poitrine. Un qui n’avait rien à voir avec la soif, mais m'oppressait autant. Les photos tournèrent en boucle dans ma tête. Les souvenirs se bousculaient, se mêlant à l’odeur de l’herbe et à la brise légère qui caressait ma peau. Je forçai mon esprit à se concentrer sur le moment présent. Je devais passer pour une humaine, une qui se remettait d’un coma, une humaine faible et fragile.

— Les souvenirs ne disparaissent jamais, alors je dois réussir à les laisser de côté.

Je respirai un bon coup et me lançai dans un jogging tranquille. Le jogging était plus lent que la course et je m’efforçai de garder un rythme régulier. Plus facile à dire qu’à faire, alors que je me retrouvai à partir en course plus d’une fois. Je sentais malgré tout que je faisais des progrès. Je pourrais toujours m’en tenir au jogging durant mes cours de sport.

Chaque jour, je me levai, bus quelques verres, et m’entraînai avant le lever du soleil. Je passai des heures dans le bureau de Darren, cochant des livres de ma liste à lire. Après trois jours, je m’essayai à l’écriture. Au lieu de lire, je pris un crayon et des feuilles de papier dans le bureau de Darren.

J’écrivis l’histoire d’une jeune fille comme moi, une orpheline mourante d’un cancer incurable. Je nommai la jeune fille Stella. Stella était le prénom de ma grand-mère maternelle. Morte quelques mois avant ma naissance. Mes parents avaient choisi Stella comme deuxième prénom en son honneur.

Son médecin, un vampire prénommé Stéphane, d’après mon professeur de CM2, lui offre un remède miracle. Sous son consentement, il la change en vampire et la ramène chez lui. À la fin de la journée, je terminai le prologue. Je montrai mon travail à Darren. Il lut les quatre pages avec attention, son visage illisible.

— Donc, voici l’histoire que tu vas écrire.

— Oui, répondis-je.

J’ajoutai ensuite :

— Je suis allée avec mon idée d’écrire mon histoire et j’ai pris des libertés créatives.

— D'où viennent les noms ? demanda Darren, semblant intéressé.

— Stéphane est le prénom du professeur de CM2 que j'aimais beaucoup. Stella était le prénom de ma grand-mère maternelle.

— C'est un bon départ.

— Vraiment ?

Après avoir placé les feuilles sur la table de chevet à côté de mon lit, je descendis, vêtue de mon maillot de bain et d'une serviette autour de mon corps. Une fois dehors, je glissai d’abord mes pieds dans la piscine avant de m’y jeter. Je retins ma respiration et plongeai, touchant le fond de l'eau, et remontai aussitôt en prenant une bouffée d'air.

— Les humains ont besoin de respirer, me murmurai-je avant de replonger.

Je répétai l'exercice quelques fois. Reprendre mon souffle me semblait si alien dans ce nouveau corps. Je devais donc me réapproprier le réflexe.

Le ciel demeurait parsemé d’étoiles alors que je quittai la piscine et m'allongeai sur une chaise. L'absence de soleil ne représentait aucun danger et je pris un bain de lune. À défaut de bains de soleil sur la plage, j'avais ça.

Le lendemain, je continuai l'histoire de Stella. Son éveil en vampire s'inspire de ma propre expérience, y compris ma bourde. Qui devinerait qu'il s'agit d'un fait vécu ? L'après-midi, je lus. Darren me montra son travail actuel : Un roman policier nommé 7 jours, 7 meurtres. La police n'avait aucune piste et fit appel à un détective privé.

— Pourrais-je le lire une fois terminé ?

— Bien sûr. Je peux aussi te montrer mes autres ouvrages.

Darren indiqua la bibliothèque tout près du bureau.

— Lesquels sont vos écrits ?

— Ils le sont tous.

J’écarquillai les yeux. Sans les compter, la bibliothèque devait contenir au moins une cinquantaine d’ouvrages. Pourquoi cela me surprenait-il ? Darren écrivait depuis des siècles.

— Incroyable.

— Tu peux les découvrir autant que tu le souhaites.

Les deux feuilles remplies se retrouvèrent elles aussi sur la table de chevet. Le soleil couché, j’allai jogger à nouveau jusqu'à ce que le sommeil me reprenne. Je pris un bain à bulles senteur fruit de la passion et me couchai avec ma couverture préférée.

Chaque matin, après avoir bu, je continuai l’histoire de Stella. Je me plongeai aussi dans les livres de Darren. Bien que différentes de mes lectures habituelles, je me découvris une passion pour les romans policiers. J'y trouvai un répit à mes sentiments d’angoisse. Non, ils ne disparurent pas, mais je parvins à les chasser durant ces moments.

Le jour J, le jour de notre deuxième séance de thérapie par exposition, arriva. Je passai la journée à visualiser la scène, à me rappeler les conseils de Darren et de Marcus. Darren et moi nous dirigeâmes vers le même parc, au même banc. Je m'assis et fermai les yeux, inspirant, expirant.

— Ça va aller, me dis-je à voix haute, comme pour m’en convaincre.

Je rouvris les yeux et scrutai les alentours. Un homme âgé se promenait. Il me fit penser à mon grand-père et mon cœur se serra. Je pris une bonne respiration et fus accablée par les odeurs. Je serrai les dents et tendis chaque muscle. Mes mains s’agrippèrent au banc si fort que j’arrachai une partie du bois.

— Oh non.

— Personne n'a rien vu, m’assura Darren.

En effet, les personnes aux alentours vaquaient à leurs occupations sans nous jeter un regard.

— Ils verront demain matin.

— Qui blâmeront-ils ? Une adolescente ?

Je serrai le bout de bois dans ma main.

— Respire, Maëlys.

J’inspirai et expirai, tentant de repousser les odeurs humaines envahissantes.

— Concentre-toi sur les odeurs de la nature.

Je refermai les yeux, mais malgré mes efforts, les odeurs humaines saturaient l'air.

« La question est de savoir si tu peux contrôler cette soif. » Les mots de Marcus résonnaient en moi.

— Tu as tenu plus longtemps que la dernière fois, Maëlys. Si tu veux rentrer…

— Non.

Nous restâmes assis en silence pendant quelques minutes avant de quitter le parc.

Une fois de retour à l'intérieur, Darren posa une main sur mon épaule.

— Tu progresses, Maëlys. Chaque petite victoire compte.

— Combien de temps ?

— Environ trois quarts d'heure.

— Trois quarts d'heure, murmurai-je pour moi-même.

Nous nous retrouvâmes à la table de la cuisine devant un verre.

— Existe-t-il une façon de me contenir ? Sans dommages matériels.

— Ton problème semble venir avant tout des odeurs humaines envahissantes.

Après une pause de quelques secondes, il ajouta :

— Viens avec moi.

Je le suivis jusqu’à son bureau et il alluma l’ordinateur. Je me massai la gorge tout en regardant Darren pianoter quelque chose sur le clavier. Un seul verre ne m’avait pas soulagée, du moins, pas tout à fait. Soudain, une page web s'afficha. La page en elle-même ne reflétait rien de spécial, juste une page blanche avec des bordures dorées.

— Quel est ce site ? demandai-je intriguée.

— Le site d’une amie. Elle crée des bijoux qu’elle imprègne d’huiles essentielles.

Intriguée, j'oubliai ma soif et m’approchai de l’écran. Darren défila la page et je me retrouvai face à des bijoux magnifiques.

— Tu peux choisir un collier ou un bracelet de ton choix. Je te conseille la verveine comme huile essentielle. Son odeur forte devrait noyer les odeurs humaines.

Il se leva et me laissa m’asseoir à la chaise.

Je défilai la page jusqu'à ce que mon regard se pose sur un bracelet. Des pierres aux reflets bleutés ornaient la chaîne argentée.

— Il s’agit de pierres de lune, déclara Darren.

— Pourquoi ? Elles viennent de la lune ?

— Je ne crois pas, non. Quoique j’ignore les origines de la pierre.

— J’ignore si l’odeur de verveine aidera vraiment, mais il est joli et j’imagine que ça vaut le coup d’essayer.

Le bracelet ne coûtait pas si cher et je me sentis un peu moins coupable d’utiliser l’argent de Darren. Lorsque je publierai mon roman, je promis de rembourser chaque centime.

Nous commandâmes le bracelet et quelques bouteilles d’huiles essentielles de 500 ml.

— Pour lorsque l’odeur se dissipera, fit-il.

Je baillai.

— Là, tout de suite, je crois que je vais boire un peu et aller au lit. Bonne nuit.

— Bonne nuit, Maëlys.

Assise sur mon lit, je sortis le carnet de notes de la table de chevet. Munie d'un stylo, j'écrivais à l'encre noire :

La Maëlys d'avant est morte et enterrée. J'ai une éternité d'opportunités.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lierachan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0