chapitre 36

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Quelques jours s'écoulèrent. Lisette s’ennuyait bien un peu mais elle avait décidé de prendre son mal en patience. Elle mangeait à sa faim et avait chaud dans la journée, ce n’était pas si mal après ce qu’elle avait vécu. L’approbation permanente d’autrui ne lui était pas nécessaire. L’amour immense de son grand-père l’avait armée pour la vie et lui avait donné la chance de ne pas avoir peur du jugement des autres. Si la méfiance que son statut mystérieux lui valait aux cuisines ne l’affectait pas vraiment, elle commençait par contre à souffrir d’être enfermée. On ne comprendrait pas qu’elle sorte seule dans les rues et elle n’osait pas se risquer sur les toits qu’elle avait explorés pendant l’été : le gel les avait rendus très glissants. Pourtant elle avait vraiment besoin d’échapper à ce huis-clos et elle finit par en trouver le moyen.

Avant chaque repas, Marie-Aurore se recueillait pour réciter le bénédicité. À l’autre bout de la table, deux valets insolents cachaient à peine leur indifférence à la religion en échangeant des regards entendus au risque d’en subir les conséquences. Ils surprenaient et choquaient Lisette qui n’avait jamais imaginé que l’on puisse ne pas croire en Dieu. À Saint-François-La-Forêt tout le monde, sans aucune exception, fréquentait l’église et respectait les prêtres. Il en avait toujours été ainsi. Lisette trouvait naturel de prier avant de s’attabler comme on le faisait chez elle. La piété de Marie-Aurore ne la surprenait donc pas même si elle la trouvait tout de même un peu trop ostentatoire : chaque repas était pour la gouvernante l’occasion d’afficher sa foi par des mines incroyablement recueillies qui faisaient ricaner les deux garçons. Mais cela lui donna cependant une idée : alors qu’elle la croisait dans l’escalier, elle osa demander à Marie-Aurore le droit de se rendre à la messe du dimanche. Celle-ci accepta aussitôt avec joie cette demande qui lui sembla de bon augure et le soir même, un baquet vide fut déposé dans la mansarde. Mariette et Ursulette le remplirent d’eau chaude et Lisette prit là le premier bain de sa vie. Puis la gouvernante lui fit ensuite essayer un joli manteau fourré qui l’enchanta.

Le dimanche matin, elle se prépara discrètement à sortir par la porte des cuisines. Elle avait décidé de se rendre à la cathédrale où Gabriel l’avait laissée à son arrivée. Elle souhaitait revoir les vitraux qui l’avaient éblouie et effacer le souvenir de la solitude de ce premier moment à Paris. Elle était sur le point de partir quand Marie-Aurore l’appela pour relever elle-même ses cheveux à l’aide d’un ruban blanc et Lisette s’engagea dans les rues avec une assurance toute nouvelle en cherchant à lire dans le regard des passants s’ils la trouvaient jolie. Mais chacun ne regardait que soi.

L’office se déroula exactement comme au village. Mais, au moment de la cérémonie où, à Saint-François, le vieux prêtre psalmodiait d’une voix fausse, une mélopée quelconque, un servant entra d’un pas rapide, suivi à bonne distance par une jeune fille qui gardait les yeux baissés tout en marchant. Ses cheveux d’un roux sombre étaient voilés par un capuchon d’un très joli bleu. Ils ne traversèrent pas obliquement l’estrade mais en longèrent le bord en marquant soigneusement les angles l’un après l’autre pour gagner le centre du choeur. Là, la jeune fille s’arrêta et, sans un regard pour l’assistance, elle leva la tête et lança d’une voix pure un chant qui résonna merveilleusement sous la haute voûte. Après quoi, elle se retira du même pas vif et avec la même modestie dans le sillage de celui dont le rôle s’était borné à la conduire là.

Lisette fut saisie et illuminée de joie : comment pouvait-on douter de l’existence de Dieu quand on voyait et quand on entendait cela, ce merveilleux don de sa personne, cet appel à plus grand que soi, cette beauté offerte gratuitement à tous ? Les yeux fixés sur la rosace dont les couleurs également bleues semblaient chanter aussi dans le soleil du matin, elle se laissa envahir par la sensation de bonheur qui se répandait dans son être et elle ferma les yeux.

Mais, très vite, elle éprouva une impression différente : c’était comme si quelque chose ou quelqu’un l’appelait, l’attendait derrière elle. Au bout de quelques minutes, renonçant à sa contemplation, elle tourna la tête et jeta un coup d’oeil discret à gauche : deux rangs plus loin, Soazick était là et la dévorait des yeux ! Elle se détourna aussitôt, brutalement dérangée dans son élan mystique et incapable de se concentrer à nouveau sur la cérémonie.

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