chapitre 49

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Ne sachant plus que dire, Lisette vint doucement s’asseoir face à lui en espérant que sa présence silencieuse le réconforterait.

Le comte fixait sans les voir les veines du plateau de chêne de son bureau. Soudainement une solution évidente venait de s’imposer à lui : partir, il fallait partir. Tout quitter. Tout laisser. Il connaissait Paris : on l’accuserait d’avoir volé le Van Hay, il allait être traîné dans la boue, ce serait la curée. Il n’aurait pas la force de le supporter. Oui ! Il fallait vendre l’hôtel et se retirer à la campagne, fuir sans donner d’adresse. Renoncer aux livres qu’il voulait écrire. Arrêter là son oeuvre ébauchée pour s’enfoncer seul dans la vieillesse et dans la mort et oublier tout ce qui aurait pu l’en distraire : la lumière des soirées parisiennes, la beauté des femmes et des oeuvres d’art. Tout cela continuerait à tourner sans lui.

Il n’avait plus le choix.

Il n’avait plus le choix.

Il éprouvait même presque un plaisir rageur à l’idée de tout saccager ainsi et de faire enfin naufrage comme il l’avait si souvent redouté.

Et Lisette ?

Il s’arrêta une seconde… Il la mettrait en pension quelque part. Elle y recevrait une éducation convenable. Supporterait-elle d’être ainsi enfermée ? Il n’en saurait rien. Il paierait pour elle mais sans la revoir ; il ne regarderait plus jamais en arrière.

Un peu apaisé par la radicalité de sa décision, il leva la tête et lui sourit tristement. Elle était assise là, toute droite sur le bord de la chaise.

Encouragée par ce sourire inattendu, elle dit timidement pour engager une conversation :

— Il y a un autre monsieur Ducoursial qui a écrit un livre.

D’Eprémesnil ne répondit pas. Il l’avait à peine entendue. Il se leva et marcha jusqu’à la fenêtre, plongé dans ses pensées. Lisette insista :

— Dans le placard là, j’ai vu un livre où il y a un nom presque pareil.

Elle se leva, alla jusqu’au placard et en tira un lourd manuscrit. Elle le posa sur le bureau et l’ouvrit à la première page .

— C’est un livre difficile à comprendre, dit-elle en levant ses yeux noirs vers lui.

Il la regarda avec une tendresse désabusée, amusé malgré lui par son énergie sans cesse renaissante et son avidité de connaissances.

— Là par exemple, qu’est-ce que ça veut dire « phosphorescence » et « vicissitudes »? articula-t-elle avec application en posant le doigt en haut de la page poussiéreuse.

— C’est écrit là.

Il s’approcha, se pencha et lut machinalement la phrase qu’elle lui montrait, puis la suivante et sortant soudain de son abattement, il se saisit du manuscrit et le feuilleta avec stupeur. C’était un brouillon de la Peinture Siennoise, l’oeuvre majeure de Simon Ducoursial !

Par quel hasard s’était-il retrouvé là ? Il l’ouvrit à la dernière page et lut un nom en majuscule suivi d’une signature compliquée qu’il identifia aussitôt :

                                              Aristide Ducoursial !

Il comprit aussitôt : Aristide, le frère de Simon, avait été son ami jadis. Il lui avait probablement confié son brouillon pour relecture mais il était mort peu de temps après et le manuscrit avait été oublié là.

Simon l’avait publié sous son propre nom ! La Peinture Siennoise, qu’il présentait comme son chef d’oeuvre, celui qui devait lui permettre d’entrer à l’Académie, était un plagiat !

Quand d’Eprémesnil regarda à nouveau la petite fille, il avait rajeuni de dix ans :

— Merci Lisette, déclara-t-il, vous avez trouvé là la preuve patente que La Peinture Siennoise a été écrite par Aristide Ducoursial ! L’écriture est bien la sienne. D’ailleurs voilà sa signature ! Simon Ducoursial est un imposteur, Lisette ! Il avait un double et il l’a publié ! J’ai maintenant de quoi le museler définitivement et lui barrer la porte de l’Académie !

Il se redressa et déclara avec un regard rayonnant.

— Lisette, vous me sauvez ! Vous nous sauvez Lisette!

C’était un alexandrin. Lisette ne s’en aperçut pas, elle comprit seulement qu’elle n’aurait plus jamais à dessiner de nez pour Simon Ducoursial !

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