Le choix

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 L’hiver battait son plein sur les falaises enneigées des montagnes Alak’losh. La nuit avait apposé son voile depuis plusieurs heures maintenant et seule la lune se dressait face au défi de l’obscurité. Un vent froid parcourait les différents reliefs, doté d’une douceur trompeuse qui pouvait rendre transit quiconque sentait sa brise. Il était nécessaire de descendre plus bas pour retrouver ne serait-ce qu’un balbutiement de vie. Alors que l'amont était peu conquis pas la faune et la flore, c'était au sein de la Vallée de l’Equilibre que l’on observait un véritable épanouissement de la nature. Le cirque ne répondait pas aux mêmes règles des montagnes. Telle une muraille géante, une grande partie du mont entourait l'ensemble de la vallée, donnant l’impression de vivre au cœur même de ce roc géant. Une forêt de conifères régnait sur une grande surface, traversée par une rivière qui finissait sa course en lac gelé au bord sud-est de la vallée. Le seul point d’entrée existant était une combe au sud qui descendait progressivement jusqu’au pied. À cette intersection se trouvait la plus grande étincelle de vie de la vallée. Tel un poste de garde, un village se dressait dans cette embouchure.

  Un ensemble de maisons en pierre d’un ou deux étages, aux toits en terrasse, constituaient ledit village. Au nord-ouest, la place principale, vallonnée en son centre, donnait une impression d'effondrement sur elle-même. Un mur d'enceinte couvrait la partie du village non adossée à la falaise, offrant une protection idéale contre l'extérieur. De simples échafaudages s'accrochaient aux façades, permettant à des sentinelles de surveiller les entrées. De la même façon, des torches apposées à intervalle régulier en dehors des murs permettaient d’avoir un début de visibilité dans la nuit.

 Peu avant la nuit, la tempête blanche s'arrêta, donnant un aspect paisible à la vallée tandis qu'une ombre se profilait dans la forêt. Elle observait ce qui l’entourait, comme subjuguée par un tel paysage. Mais malgré la beauté des lieux en plein coeur de l'hiver, l'amertume l'emportait sur la curiosité dans l'esprit de Lunasus. Il reprit sa route vers le village, conscient qu'il ne pouvait s'attarder trop longtemps. Rester là ne le mènerait à rien. Il s'avança dans la nuée d’arbres de la forêt du nord-ouest, une oreille attentive à son environnement. Seul le bruissement des branches battues par le vent lui parvenait, tout était paisible. Il ne fut pas surpris par son absence de bruit de pas, il n'existait pas vraiment lorsqu'il était au sein d'une vision. Spectateur invisible, il n'était pas capable d'interagir avec ce qui l'entourait. Après quelques minutes de marche, le halo de lumière créé par les torches du village fut enfin en vue.

 Il s’engagea hors de l’obscurité et s'approcha de l'entrée. Une guerrière se trouvait sur le poste de sentinelle et observait avec vigilance les alentours. C’était une femme de grande taille à la peau couleur du granit, typique de la race des Kivi. Elle portait un ensemble de cuir surmonté d’une fourrure d'ours permettant de combattre plus efficacement la morsure du froid. Comme pour ses précédentes visites, le jeune homme marqua une pause afin d’observer son propre épiderme à la lueur des torches.

Notre peau est la même, mais plus notre sang.

 Une pointe d’envie traversa Lunasus. Des filaments verts circulaient à intervalles réguliers dans les veines de sa main – et dans toutes celles de son corps. Plus grand qu'un humain, le Kivi dépassait les deux mètres, bâti en force, sa musculature reflétait un entrainement physique martial régulier. Ses longs cheveux noirs descendaient jusqu’au mi-dos, ce qui faisait ressortir ses yeux d’un vert émeraude. Mais bien qu’il fût lui aussi un Kivi, il n’était pas vraiment comme elle.

 Sortant de sa contemplation, il reprit son chemin et passa dans l’entrebâillement des portes, invisible aux yeux de la guerrière. Arrivant de la porte la plus à l’ouest, Lunasus déboucha directement sur l’esplanade principale du village. En son centre s’y déchainait un feu surréel par un tel climat, véritable bête sauvage prête à brûler tout inconscient à portée de ses griffes enflammées. Des dizaines de Kivis étaient assis autour, habillés de grosses tuniques noires à capuche. La tenue de rituel. Ces gens rassemblés étaient des guerriers de la tribu, en attente, écrasés par un silence tendu. Lunasus s’assit un peu en retrait pour mieux observer la suite des évènements.

 Après quelques minutes, deux personnes arrivèrent du centre du village. Eux aussi vêtus du même type de vêtements mais de couleurs différentes : l’un orange et l’autre beige avec une rayure rouge traversant le torse. Ils vinrent se placer à quelques pas de la flamme géante afin de faire face à l’assemblée. Ils retirèrent leurs capuches, des Kivi comme leurs semblables. Le premier était un homme aux cheveux tendant vers le gris et avait un visage aux traits étirés par le temps. Kaatuneet, chef de la tribu depuis plusieurs décennies, possédait encore à son âge un regard qui ne reflétait que détermination et charisme. La vieillesse n’avait de prise que sur son physique. Une grosse cicatrice barrait sa joue droite, ce qui lui donnait un aspect intimidant et sévère. Il portait une simple dague à sa ceinture, dont la garde en or dépassait.

  À ses côtés se trouvait une femme plus jeune, dépassant à peine la vingtaine. Opas, la chamane de la tribu, était une femme de taille moyenne pour une Kivi – ce qui équivalait à atteindre le mètre quatre-vingt-dix – et possédait une chevelure aussi noire que la nuit, attachée en queue de cheval. Ses traits de jeune adolescente commençaient seulement à disparaitre, pourtant son regard était dur en ce jour et elle semblait prête à défier le monde.

Mère.

 — Mes fils et filles Kivi !

 Kaatuneet parlait d’une voix puissante et ferme, prêt à donner aux siens les décisions tant attendues.

 — Comme vous le savez tous aussi bien que moi, les Impériaux sont encore une fois à nos portes, et il nous faut agir vite si nous voulons survivre. Cela fait maintenant des décennies que nous luttons face à ce peuple d’envahisseurs, avide d’étendre son territoire et de piller la moindre richesse des autres. Nous avons toujours combattu, puisant dans la volonté de nos ancêtres et dans la force que nous donnent les nôtres. Bien qu'inférieurs en nombre, nous avons toujours réussi à repousser cet ennemi. Cependant comme vous le savez, la situation a changé et aujourd’hui, nous sommes acculés jusqu’à chez nous.

La moitié de la tribu a été décimée et l’ennemi est à tes portes, ralenti seulement par la rudesse de l'hiver. Acculé est le mot, oui.

 Lunasus savait que c’était inutile, mais il ne pouvait s’empêcher de commenter mentalement les paroles de Kaatuneet. Le chef possédait une éloquence certaine et dégageait quelque chose de fort, de puissant, mais cela laissait de marbre sur le jeune homme.

 — Ils sont arrivés jusqu’à la combe, reprit Kaatuneet. Notre position dans la vallée de l’équilibre et la force de l’hiver nous ont permis de gagner du temps et de ralentir la progression des Impériaux, mais ce n’est plus suffisant. Je ne peux vous le cacher, nous ne serons pas capables de repousser le prochain assaut de l'ennemi.

 La tension était omniprésente, écrasante telle une chape de plomb. Bien que personne n’affichait une quelconque surprise, entendre la vérité était différent du fait d’en avoir conscience. Personne n’osait briser le silence qui s’était installé, tous attendaient la suite. Ils connaissaient la grandeur de leur chef et lui accordaient une confiance aveugle. Il les conduirait vers la victoire comme il l’avait toujours fait.

Ils espèrent la victoire mais ne se rendent pas compte de ce qui les attendent.

 — Je refuse de laisser plus d’entre nous périr, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour cela. Même si je dois tout sacrifier pour en arriver là. Moi, Kaatuneet, chef de Kivi, avec la bénédiction d’Opas notre chamane, j’ai décidé de réveiller la force ancestrale enfermée dans notre vallée.

 Il accompagna sa déclaration d’un grand geste pour jeter sa tunique de rituel dans les flammes derrière lui. Alors que les crépitements du feu s’intensifiaient avec l’arrivée du tissu rouge dans le foyer, un bruit de déchirement se fit entendre. Kaatuneet s’était lentement penché en avant, bombant le dos, bras croisés contre le torse, un intense effort se peignant sur son visage ridé. C’est alors qu’une paire d’ailes se déploya. Atteignant une envergure d’environ trois mètres, ses ailes obscures appuyaient d'avantage la sensation de puissance et d’assurance qu'il dégageait auparavant. L’assistance ne semblait toujours pas surprise mais plutôt galvanisée, les gestes couplés à la parole semblaient vraiment avoir fait effet. La jeune femme au côté du chef s’avança et prit la parole.

 — Les Impériaux sont à nos portes et prêts à nous égorger tous autant que nous sommes. Nous ne pouvons plus nous défendre face à un tel nombre, nous n’avons donc plus d’autres choix que de nous tourner vers la seule puissance à notre portée.

 Tous savaient de quoi – de qui - Opas parlait mais pas un murmure ne se fit entendre.

 — Je vais me rendre aux portes noires dès à présent et chercher l’outil de pouvoir qui nous permettra de rendre justice, enchaina Kaatuneet. Je jure sur mes ailes que je protégerais le futur de tous. Nous ferons comprendre aux Impériaux ce qu’il en coûte de s’en prendre à notre peuple !

 La jeune chamane jeta sur le côté sa tenue cérémoniale et découvrit à son tour une paire d’ailes, cette fois plus petites et entièrement blanches. Elle regarda l’assemblée d’un air de défi et tonna :

 — Sang de mon sang, le chemin est tracé ! Les Kivis ne tomberont pas aujourd’hui !

 Tous commencèrent à se lever, des murmures d’approbations parcouraient les rangs.

 — Nous ne laisserons pas ces chiens prendre plus de vies des nôtres ! Aujourd’hui, le rapport de force va être inversé et nous écraserons l’envahisseur tous ensemble !

 D’autres ailes apparurent parmi les guerriers réunis. Petites, grandes, grises, noires, blanches. Tout un ensemble bruissant l’air avec force comme pour souligner la volonté de leurs possesseurs. Tous n’en possédaient pas, mais c’était le cas de la majorité.

 Le chef se tourna vers son assistante :

 — Allons-y, tout est en place ? chuchota-t-il à Opas.

 Elle hocha légèrement la tête.

 — Mes frères et sœurs sont sur place et auront terminé les préparatifs d’ici notre arrivée. Nous pouvons y aller.

 Le duo prit une forte impulsion au sol et se propulsa à la force des jambes et des ailes dans les airs. Lunasus connaissait leur destination, il n’était cependant pas nécessaire pour lui de se lever. Il ferma doucement les yeux et commença à construire l’image qui l’intéressait.

Les portes noires.

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