Préparation

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 Le groupe arriva près d’une saillie rocheuse dans la partie nord-est de la forêt. L’endroit semblait simple au premier abord mais l’ensemble des rochers cachait un passage descendant vers une grotte, endroit idéal pour pouvoir se mettre à l’abri des démons rôdeurs. Après avoir vérifié à plusieurs reprises qu’ils n’étaient pas suivis - la sensation d’être observé ne les avaient pas quittés – ils s’engagèrent dans l'ouverture.

 Une fois l’entrée étroite passée, la cave laissait place à un espace souterrain plutôt large. On y trouvait, disposé çà et là, différents outils, des plantes poussant dans des bacs, des tables improvisées surmontées de parchemins ainsi que des râteliers d’armes. Kirves s'attelait à écraser des herbes dans un mortier à l’aide de son pilon. Lunasus pensa de nouveau à la vision qu’il avait eu de lui la veille, un jeune chaman terrifié par un monstre défiant l’imagination et débordé par la proportion qu’avaient pris les évènements. Mais il était le seul survivant du groupe de quatre qui avait épaulé Opas et Kaatuneet dans cette épreuve, il était même parvenu à refermer le sceau à temps évitant que Kirous se libère complètement, démontrant ainsi un courage et une force insoupçonnée. La suite avait, hélas, montré que le sceau n’avait pas complètement été refermé, dû à un tour particulièrement malin du démon avait-on dit à Lunasus. Il n’avait jamais connu cet aspect juvénile en manque de confiance du chaman, mis à part au cours des visions. Bien au contraire le Kirves qu’il connaissait était un homme fort et très respecté dans le clan. Dans le désespoir, les hommes se trouvent en général transformés. Le jeune Kivi était donc devenu un chaman aguerri et un guerrier respecté, ayant même été le maître d’armes de Urhaus et Lunasus dans leurs jeunesses. Entendant du bruit derrière lui, il se tourna lentement vers l’entrée comme s’il savait qui arrivait – ce qui était surement le cas se dit Lunasus. Ses cheveux d’un noir profond étaient désormais parsemés de mèches grises qui avaient fait leur apparition après le fameux rituel. Un sourire franc étira son visage fatigué et il les salua d’un léger mouvement de tête.

— Urhaus, Lunasus, content de vous voir, dit-il, et je vois que vous êtes venu accompagnés de Rohkeus. (Il prit un instant pour l’observer de haut en bas). Cela fait longtemps, comment vas-tu ? Ces deux-là t’entrainent comme il faut j’espère.

— En plus d’avoir le meilleur des entrainements, commença Rohkeus, j’ai le droit à deux excellents formateurs, donc je ne vois pas de quoi je pourrais me plaindre. A part toi, je pense que je ne pourrais pas avoir mieux.

 Kirves eut un petit rire.

— Toujours aussi conciliant à ce que je vois, ça en fait au moins un ici qui a du respect pour ses ainés (il regarda en direction de Lunasus un bref instant). Que puis-je faire pour toi Rohkeus ?

— J’aurais besoin de conseils Kirves. Je sais que le clan se prépare à combattre les démons et je veux me joindre au combat. Même si personne ne nous en a parlé avec Toivo, il est évident que ce jour approche.

 Le visage du chaman s’assombrit.

— Et d’où vous est venue cette idée ?

— Le comportement des guerriers de la tribu a un peu changé, ils essaient de le cacher mais ils sont plus tendus que d'habitude. Ils se préparent.

 Kirves plongea son regard dans celui de son interlocuteur.

— Tu es devenu fort Rohkeus, mais pas assez, lui lâcha-t-il, même avec mon aide tu risquerais de n’être qu’un poids pour les autres. Tu es un excellent combattant pour ton âge mais tu n’as aucune chance face à notre ennemi, tu ne sais pas ce qui t’attends.

— Sur le chemin, nous avons vu deux démons écraser un grizzli comme si ce n’était qu’un nourrisson, répondit Rohkeus. J'ai bien conscience qu'ils sont des monstres de puissance, mais je ne veux pas rester en arrière.

— Si un grizzli ne représentait pas plus de danger qu’un nourrisson, tu ne vaudras pas plus qu’une brindille en comparaison.

— Une brindille bien utilisée peut crever un œil.

 Kirves le sonda de nouveau. Ayant été maître d’armes, il avait déjà eu affaire à ce qu’il considérait comme des caprices de ses apprentis. Mais contrairement à d’habitude il semblait vraiment considérer la demande. Il finit par hocher légèrement de la tête.

— Tu ne combattras pas avec les guerriers de la tribu car comme je l’ai dit avant tu es trop faible (il leva la main pour empêcher toute protestation), cependant je peux te considérer pour un rôle important.

 Lunasus regarda Uhraus, mais celui-ci ne paraissait pas savoir non plus ce que leur maître avait en tête. Le connaissant, il était possible qu’il eût déjà prévu un rôle pour le jeune homme avant même qu’il le lui demande, son refus servant plus à vérifier la volonté de Rohkeus. Ce dernier sembla soulagé de la réponse.

— Ta mère me tuerait si elle était parmi nous, dit Kirves en jouant avec son pilon.

— Je pense plutôt qu’elle serait honorée que son fils souhaite se battre avec tant d’ardeur pour les siens, intervint Urhaus.

Un sourire étira les lèvres du chaman.

— C’est vrai que Vasara était une femme courageuse qui savait pour autant garder la tête froide. À priori son rejeton a pu hériter en grande partie de son caractère.

 Il se tourna vers les deux frères qui s’étaient assis à même le sol pour écouter la discussion.

— Bien, cette affaire étant close passons à ce pour quoi je vous ai demandé de venir. Comme a pu le souligner Rohkeus, nous approchons du jour fatidique et il est temps de mettre en place les derniers préparatifs. Je souhaitais vous expliquer ce que nous allons faire, mais d’abord... (Il se tourna vers Rohkeus.) Gamin, rappelle-nous comment marche le chamanisme Kivi.

 Ce dernier étant en train d’étudier les différents objets sur une table de fortune non loin, il fut déstabilisé par la question, pensant qu’il avait été éclipsé de la conversation. Kirves éprouvait un certain plaisir à prendre ses apprentis à contrepied, et il ne manquait pas une occasion de vérifier que ses enseignements étaient compris et retenus.

— Il est basé sur l’utilisation du sang et de la volonté, récita-t-il précipitamment. La volonté du chaman est ce qui va façonner l’utilisation du sang.

— Merci l’érudit, coupa Kirves visiblement satisfait de l’effet provoqué. Ce sont les bases, bien que ce soit un peu plus complexe. Ce qui nous intéresse est ce que nous appelons avec Opas le Feu Intérieur. Pour faire simple, il s’agit de dessiner sur l’ensemble du corps des tatouages de sang qui relieront différents éléments comme le cœur notamment.

» Cela permettra deux choses. Dans un premier temps le sang corrompu est entièrement bloqué dans le corps et n’a plus d’effet sur nous. Deuxièmement, cela rend l'imprégnation de la volonté au sang plus efficace pour les chamans.

— Pourquoi bloquer les effets du sang ? demanda Rohkeus visiblement curieux. Il nous rend plus rapide et plus fort non ?

— Tout à fait, répondit Kirves. Cependant parmi les démons que nous allons combattre, il y en a un tout particulièrement difficile à affronter car il est capable d’utiliser ce sang contre nous. S’il le souhaite, il peut nous paralyser ou même nous torturer en nous donnant l’impression de brûler de l’intérieur.

— Donc ces fameux tatouages bloqueront le sang de démon, résuma Lunasus. Cela nous permettra de tenir tête à ce démon sans avoir à nous soucier de son pouvoir.

— Ce sera votre mère et moi qui le combattrons. Bien qu'il ne soit pas fort physiquement, il a d’autres tours dans sa manche que seuls des chamans peuvent potentiellement déjouer. Nous utiliserons la même méthode que lors du rituel avec Kirous. Bien que nous ne serons que deux, notre ennemi n'est pas aussi puissant donc nous arriverons à le tenir voir à le vaincre. Quant à vous deux, vous ferez face à un démon dont la spécialité est le combat au corps à corps.

— Pourrons-nous utiliser la puissance du sang contre lui ? demanda Urhaus.

— Je pense que vous n’aurez pas le choix. Sous-estimer votre adversaire et ne pas y aller au maximum serait votre dernière erreur. Vous devrez attendre que nous aillons engagé notre combat cependant.

— Avec le sang de démon, je ne suis pas sûr que l’on ait besoin d’être deux, dit Lunasus. Urhaus aussi est un vrai monstre quand il s’y met.

— Ne soit pas idiot gamin, nous ne sommes pas dans un conte pour enfant. Les démons ne vont pas gentiment attendre que tu leur enfonces ton épée dans le corps. Ils vont te massacrer à la moindre ouverture.

 Lunasus se tut. Pour se faire appeler « gamin » par son ancien maître, il devait avoir été un peu loin. Uhraus reprit la parole.

— Tu saurais nous en dire plus sur ce démon que nous allons devoir combattre ?

— Voici à quoi il ressemble, dit Kirves en déroulant un parchemin.

 Il tendit un parchemin où était dessiné une créature extrêmement hideuse. Un corps grossier rouge avec des veines vertes qui parcouraient tous ses membres, son ventre énorme supportait une petite tête sans cou. Une main crochue tenait une hache de bataille tandis que l’autre bras avait une allure plus étrange. Il se terminait en pointe comme s’il s’agissait d’un genre de pique. De petites jambes grasses complétaient l’ensemble. Lunasus était dubitatif, cette chose ne semblait pas bien menaçante.

— Quelle taille fait-il ? demanda Urhaus. Une idée de sa force et de ses capacités ? Je préférerais ne pas entamer ce combat à l’aveugle.

— Nous n’avons pu l’observer que peu de fois, répondit Kirves, tout ce que je peux vous dire c’est qu’il jongle avec dextérité entre l’utilisation de sa hache et de son bras-pointe. Il s’en sert principalement pour empaler ses victimes lorsqu’elles lui laissent une ouverture. Et ne vous fiez pas à son apparence, il est beaucoup plus rapide qu’il n’y parait.

— Plus que nous ?

— Plus que vous sans l’utilisation du sang, sinon je pense que ça doit être équivalent.

— Donc le fait d’être deux à son niveau devrait nous permettre de l’acculer si je comprends bien.

— C’est ça, même si je ne suis pas sûr que cela soit suffisant, il est difficile d’évaluer leurs capacités.

 Lunasus était toujours dubitatif, il y avait un truc qui clochait. Il semblait partir du principe que les combats contre ces démons seraient extrêmement risqués et que la victoire n’était pas assurée. Mais dans ce cas-là, qu’en était-il de la question de Kirous ? Si les guerriers n’étaient pas capables de vaincre facilement leurs adversaires, comment pourrait-il venir à bout de ce monstre ? Il allait intervenir lorsqu’Urhaus prit la parole.

— Et le combat contre Kirous ?

— Je ne peux pas vous en parler, mais votre mère et moi avons tout préparé pour cela. Si nous vainquons ses sous-fifres, la victoire sera nôtre.

— Très bien, répondit Urhaus, nous te faisons confiance.

 Lunasus n’était pas aussi confiant. Il cache quelque chose, se dit-il, mais il le garda pour lui. Urhaus devait s’en douter aussi mais il avait une confiance aveugle en son ancien maître d’armes, et il fallait avouer que cela ne lui avait pas fait défaut jusqu’à présent.

 Ils échangèrent un peu plus en détail sur ce qui était prévu pour la bataille afin que chacun soit au courant de son rôle. L’ensemble des guerriers feraient face aux démons inférieurs qui rôdent dans la forêt tandis que Kirves, Opas, Lunasus et Urhaus seraient aux prises avec les deux plus puissants. Le démon guerrier pour les deux frères, et le démon qui pouvait agir directement sur le sang corrompu pour les deux chamans. La discussion arrivant à son terme, les trois jeunes hommes se préparèrent à repartir.

— Kirves, finit par dire Rohkeus brisant le silence qui s’était installé, pourquoi viens-tu te cacher ici ?

— Je prépare beaucoup de chose pour le jour de notre bataille, lui répondit-il. Nous ne sommes plus que deux avec Opas à être chaman et nous avons fort à faire.

— Je comprends bien mais pourquoi pas au village dans ce cas ? Tu aurais justement l’aide de notre Guide pour t’épauler, ainsi que de Toivo vu qu’elle est votre apprentie.

— Vous avez déjà dû sentir cette impression d’être surveillé constamment. (Ils hochèrent tous les trois la tête.) Et bien nous la sentons aussi, alors nous restons méfiants et prenons nos précautions. Les démons sont vicieux et je préfère cacher certaines choses de leurs yeux.

— Ils sont vicieux mais ils n’attaquent pas le village, dit Rohkeus.

— Oui, mais rien ne nous dit que cela va continuer. Ils semblent vouloir nous garder tel des bêtes en cages pour nous punir de notre arrogance, mais ils restent des monstres. Si l’un d’entre eux avait à portée de main un de ses prisonniers alors que la faim le tiraille, il n’hésiterait pas longtemps. Sachant qu’ils sont toujours affamés, je préfère rester prudent et ne pas leur donner une raison de se demander si rentrer dans notre cage ne serait pas une bonne idée.

— Ça semble plus judicieux en effet, confirma Urhaus.

— Faites attention à vous au retour. Et bon courage pour ce soir Lunasus, Urhaus.

 Était-ce un regard empli d’un mélange de tristesse et de mélancolie que Lunasus crut voir dans les yeux du chaman avant que celui-ci se détourne ? Il n’en était pas tout à fait sûr. Et de quoi parlait-il ? De la vision que sa mère avait prévu de leur montrer ? S’il était au courant, cela voulait dire qu’il était prévu qu’ils la voient. Quel comportement étrange.

Ils saluèrent Kirves, puis sortirent de la grotte. Le chemin de retour vers le village se passa sans encombre et aucune rencontre fortuite n’eut lieu.

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