Révélation

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 « Ce soir, vous toucherez une vérité qui vous a été cachée. Nous aurions pu ne rien vous montrer, mais nous en avons décidé autrement. Vous avez le droit de savoir la réalité du combat qui vous attend. »

 Telles avaient été les mystérieuses paroles d’Opas avant de laisser ses fils à cette vision. Lunasus en était encore confus, ça ne ressemblait pas à sa mère de procéder ainsi. Il se serait plutôt attendu à ce qu’elle leur parle directement, pas de façon si énigmatique. Voilà qui n’annonce rien de bon. Lunasus se laissa aller sur son lit, respirant doucement l’air parfumé d’encens. Un mélange de fleurs typiques des montagnes. Il ferma les yeux, et comme la nuit dernière, le sommeil vint à lui rapidement.

 Il se trouvait sur le toit d’une des maisons près du centre du village. Le soleil était haut dans le ciel et brillait sur une neige omniprésente mais fine. De son perchoir, il aperçut de nombreux Kivis qui s’étaient rassemblés les uns derrière les autres en file indienne, laquelle se terminait sur la place principale. La flamme sacrée brûlait encore de toute sa vigueur en ce jour. Tour à tour, les habitants avançaient vers un plus petit groupe composé de quatre personnes. Kaatuneet, Kirves et deux guerriers que Lunasus ne connaissait pas. Il ne voyait pas précisément ce qu'il se passait, mais ils semblaient distribuer quelque chose aux villageois.

— Est-ce vraiment sans danger ?

 Lunasus se retourna en entendant une voix derrière lui. Sur le toit se trouvaient Opas et une autre femme qu’il ne reconnut pas aux premiers abords. Mais remarquant sa tenue, il se rappela l’avoir croisé lors de la précédente vision. Il s’agissait de la sentinelle vêtue de la peau d’ours qui gardait l’entrée nord du village.

— Je ne sais pas Vahvuus, répondit Opas en détournant le regard, je ne peux que l’espérer.

 Elle était aussi jeune que la dernière fois, mais son visage était empreint d’un mélange de fatigue et de tristesse. Elle ne dégageait pas cette aura que Lunasus lui connaissait si bien.

— Toi qui débordes normalement de tant d’assurance, te voir ainsi ne me rassure guère, dit la guerrière en posant une main sur son épaule. Que se passe-t-il ?

— Je ne suis pas confiante dans le chemin que Kaatuneet a choisi pour la tribu aujourd’hui. Notre sang n’est plus le même, à lui comme à moi. Nous avons à l’intérieur de nous une partie de Kirous, je sens sa sauvagerie me parcourir à chaque instant. Et pourtant, nous allons propager cela à toute la tribu. Même à nos enfants.

 Vahvuus afficha un air compatissant.

— Nous sommes acculés ma sœur. Nous n’avons pas le choix, nous avons besoin de cette puissance.

 Elle finit sa phrase en baissant légèrement les yeux sur le ventre d’Opas, l’espace d’un instant, puis regarda de nouveau son amie.

— Il est au courant ?

— Il aurait refusé mon aide au rituel s’il l’avait été.

— Tu ne comptes donc pas lui dire.

— Je ne sais pas encore quelles sont les conséquences de nos actes, je veux attendre.

 La guerrière se redressa et étudia Opas, puis elle hocha la tête sans conviction.

— Si tel est ton choix, je le respecterais ma sœur. (Elle se détourna en direction des escaliers). Je dois te laisser maintenant, il me faut rejoindre les autres. Bien que comme toi je ne sois pas convaincu que boire ce sang soit une bonne chose, en tant que guerrière j’ai besoin de cette force pour protéger les nôtres.

 Opas ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais se tut. Lunasus était troublé, il ne l’avait jamais vu dans un tel état de détresse. Vahvuus revint vers son amie et lui flanqua une tape sur l’épaule sans aucun ménagement. Opas accusa le coup, surprise, puis la foudroya du regard.

— Voilà qui est mieux ! lui dit Vahvuus avec un grand sourire. Tu es notre Guide, celle qui indique le chemin que doit prendre la tribu. Aujourd’hui l’avenir est trouble pour toi, mais je sais que tu feras les bons choix. Et si tu en venais à douter de la direction à prendre, je serais là pour te recadrer !

 Opas sourit à son tour et accepta l’idée d’un mouvement de tête. Tandis que la guerrière commençait à s’éloigner accompagnée du crissement de la neige, tout ce qui entourait Lunasus commença à s’assombrir. Déjà ? se demanda-t-il. La vision avait été courte et il n’avait pas appris grand-chose pour le moment. Sa mère et cette guerrière Vahvuus semblaient très proches et Opas était enceinte de Toivo depuis peu, au vu de sa silhouette. Sachant qu’il devait avoir dans les trois ou quatre ans à cette époque, il ne se souvenait même plus avoir bu le sang de son père comme les autres. Quel était donc le but de cette vision ? Pourquoi avait-elle été si énigmatique pour si peu ?

 Contrairement à ce qu’il pensait, il ne se réveilla pas dans son lit lorsqu’il ouvrit les yeux. Il se trouvait au bord d’une falaise en ce qui semblait être l’aube. La vision n’était donc pas terminée. Un rapide coup d’œil aux alentours lui permit de comprendre qu’il était sur les hauteurs de la combe qui permettait le passage vers la Vallée de l’équilibre. En contrebas, des tentes et des camps par centaines. Un drapeau avec l’emblème du phénix couronné permit à Lunasus de comprendre qu’il s’agissait d’un camp d’Impériaux. Cette vision devait donc se passer dans une période proche de la précédente car l’ennemi était censé bientôt atteindre le village lorsque le rituel aux portes noires avait eu lieu. Constatant que la couche neigeuse s’était encore réduite, Lunasus considéra que ce devait être une à deux semaines après le partage du sang. Il devait s’agir du jour de la bataille des Kivis contre les Impériaux. De ce que lui avait expliqué Kirves, ce fut une bataille difficile où le clan perdit une vingtaine de guerriers, mais qui se soldât quand même par une victoire. Les Impériaux avaient été repoussés avec suffisamment de puissance pour qu’ils ne cherchent plus à revenir.

 Un bruissement d’ailes fut le premier son qui lui parvint. Venant du nord, une soixantaine de guerriers Kivis volaient dans la direction du camp. Lorsqu’ils arrivèrent près des lieux, l’ensemble se réunit sur les hauteurs où était le jeune homme afin de se préparer. Ce dernier fut choqué par ce qu’il vit : tous les guerriers présents possédaient des ailes, mais ils étaient tous aussi sous l’effet du sang corrompu. Le jeune homme apercevait des veines qui brûlaient d’un feu vert et des yeux infusés de cette même puissance. Comment est-ce possible ? De ce qu’on lui avait expliqué, un des effets sur le corps des Kivis avait été la perte des ailes pour ceux qui en avaient déjà et l’absence de leur croissance pour les autres. Mais dans ce cas-là, la situation qui se présentait devant lui n’était pas logique, il devait donc y avoir un autre facteur. Ou on lui avait menti.

 Les Kivis se postèrent sur la corniche, prêts à attaquer, et attendirent le signal. En contrebas, les Impériaux n’avaient aucune idée de ce qui se préparait. Un long sifflement aigu perça le ciel : le signal. Telle une nuée de rapaces affamés, tous les guerriers plongèrent sur leurs proies. Tous ? Ce détail interpella Lunasus, pourquoi n’avaient-ils pas profité de l’avantage de la hauteur pour attaquer à l’arc ? Mais la réponse à cette question lui vint rapidement, trop rapidement. Ce fut un massacre. Alors que les Kivis devaient se battre à un contre quatre, ils dominèrent totalement un ennemi surpris et complètement désordonné. Quand bien même les Impériaux finirent par se réorganiser, ils ne purent offrir une grande résistance à leurs attaquants. Avec un tel rapport de forces, pourquoi utiliser des arcs ? Complètement saouls du sang démoniaque, les guerriers à peau grise faisaient preuve d’une sauvagerie sans nom, profitant d’une agilité et d’une puissance qui dépassaient tout ce qu’ils avaient pu connaitre. Lunasus vit Kaatuneet au milieu d’une escouade ennemie, entouré d’une vingtaine de guerriers armés et disciplinés. Ils frappèrent de concert et ils tombèrent de concert. Le chef se trouva rapidement au milieu d’un cercle de cadavres.

 L’escarmouche ne dura qu’une dizaine de minutes tout au plus, mais cela parut bien plus long aux yeux du jeune homme. Combattre dans le feu de l’action était une chose, assister à une boucherie – car c’était le mot – en était une autre. Lunasus se laissa tomber en contrebas, profitant du fait d’être dans une vision et de ne pas avoir à se soucier de l’atterrissage. Il arriva non loin de son père qui lorgnait trois Impériaux prisonniers, les derniers survivants du camp. Un des Kivis qui avait participé à leur capture s’avança et demanda à son chef s’il devait se débarrasser d’eux.

— Laissez-les en vie, répondit-il, ils serviront de messager auprès des leurs. Ils répèteront ce qu’ils ont vu aujourd’hui, à quel point ils n’étaient que des insectes pour nous. Ils feront comprendre que les Kivis massacreront tous les intrus qui tenteront de profaner notre vallée.

 Il se retourna vers ses autres hommes qui attendaient patiemment les ordres et commença à entamer un discours sur la bataille qu’ils venaient de vivre et de gagner. Seulement six morts et dix blessés graves pour plus de deux cents morts en face. Il loua avec charisme la puissance et le courage dont ils avaient pu faire preuve aujourd’hui, galvanisant chacun des siens qui étaient encore sous l’effet de la ferveur de la bataille. Ou de la corruption pour certains dont les yeux reflétaient une lucidité questionnable. Tandis que le chef continuait à motiver les siens, la vue de Lunasus se troubla et les sons s’étouffèrent.

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