3.3 * JAMES * LA CARTE DU FOU

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CHAPITRE 3.3


LA CARTE DU FOU


* *

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J.L.C

29.10.22

23 : 00


♪♫ I WIL SURVIVE — CAKE ♪♫



Qu’est-ce que... Une carte à jouer ? Bam : bienvenue dans l’épisode « Enfumage ». Putain, c’est quoi ce délire ?! Ma jumelle m’a sorti exactement le même numéro tout à l’heure. Qu’est-ce qu’elles mijotent, toutes ? Un piège organisé ? Un club privé de manipulatrices ? Et moi, mouton dans l’arène, je débarque sans armure, sans stratégie, juste avec mon cœur en papier mâché accro à une lionne. Est-ce que j'ai une cible tatouée entre les omoplates ? Calmos, je deviens parano, une cellule grise à la fois. Et si… et si la meilleure pote venait de me claquer la notice en pleine face ? Un « bouge-toi le cul, ducon, avant qu'elle aille éclore dans d'autres yeux »  ? Shit, faut que je déchiffre chaque syllabe prononcée comme si c'était du braille sur du plomb fondu ! Si je me souviens bien, Miss Queue-de-cheval, c’est l’As de pique de sa fine équipe, la reine du sarcasme. Une fille bandante, ouais, option lame de rasoir dans le porte-jarretelles. Ce qu’elle balance, c’est pas pour meubler. Je plains celui qui osera imaginer qu’elle ronronne.

Mais alors… sa copine m’encourage vraiment à foncer ? Je m’attendais plus à un coup de frein qu’à un appel de phare façon top départ crypté. Ou bien… je brode du sens dans du vent et débloque à plein tube ? Syndrome de la révélation fantasmée. Parano, je vous dis. À ce rythme, je vais me mettre à croire que le DJ conspire. Le morceau qui tourne là, Miss You, je le jure, ironie de bâtard ! Même la sono veut ma peau !

Je m’enfonce dans la foule, bousculant l’indifférence, traquant une silhouette impossible. Avec le zèle de ses amies gardes du corps, je doute qu’elle zone encore dans la fosse. Je scanne la mezzanine. Mes rétines ratissent comme des drones fous. Le vide me crache mes nerfs à la figure.

Une carte, donc… Mais laquelle ? Roi du regret ? Bouffon de l’année ? Clown du samedi soir ? Pick one — et que ça saute ! Est-ce que ça signifie… que je suis dans la course ? Que Vi pense toujours à moi ? Merde, ça demande de tout parier sur une seule cartouche. Un flingue à une balle. Zéro entraînement au tir. Faux. Depuis mon atterrisage à Toulouse, je me la joue en boucle, la scène de nos retrouvailles, milliseconde par milliseconde. Dans la salle obscure de mon crâne, y a que ça qui tourne non-stop. Sauf que… c’était pas censé arriver si tôt. D’ici un, deux mois grand max, une fois mon organisme purgé, les toxines virées de mes conduits, les tempêtes remisées. Le moment venu, autour d’une discussion sincère et franche, j’aurais déposé mes armes et ouvert mon cœur, espérant qu’elle veuille bien rafistoler les fissures. Ou du moins, qu’elle le réenchâsse dans sa cellule osseuse ou l'enfonce dans son tombeau de côtes. Parce que là, tout de suite, il agonise à découvert sur le bitume, nu, déserté, à la dérive et en lambeaux. Trop tôt ce soir... Trop tôt. Ce matin encore, je gerbais mes tripes en offrande à l’aube. Faut pas qu’elle me voie la tête dans la cuvette, bon sang ! Ni en mode Thriller, Venom, Hulk ou chiot pris sous un orage. Si je me foire, si elle me repousse, je… je me désintègre, je tombe pour de bon, je… Stop ! Respire. Arrête de paniquer et active.

Pendant que je déambule parmi les fêtards et remontre vers notre table, je cogite comme jamais. La copine m’a refourgué le dernier joker, non en lot de consolation, en munition. Je le sors pour Victoria ou pour me foutre un soufflet ? Pour elle. Définitivement pour elle. Mon move, son call : à elle de me claquer la porte ou m’entrouvrir un passage. J’irai pas jusqu’à miser sur un double des clés, mais une poignée de secondes, un créneau pour aligner mes mots, ce serait déjà pas mal. Donc, si machine arrière fait plus partie des options, alors plus le droit de la jouer freestyle : j'ai besoin d'un plan. D'un bon. Pour glisser la balle dans son camp.

Comment me rendre perceptible sans déclencher l’alarme ? Croiser son chemin mine de rien, on oublie. Ce serait la mettre devant le fait accompli. Susciter son regard à distance, genre parade de paon sur le dancefloor ? Ridicule. J’ai dit subtil, pas gênant. En plus, bourré, j’ai la gestuelle d’un kangourou : je veux qu’elle me pressente, pas qu’elle me redoute. Exit donc la lourdeur, place à la finesse. La seule carte à abattre, c’est le repli calibré, la discrétion en atout. Si elle détourne les yeux, je me plie, tout simplement. Son silence dictera ma sortie. Sinon, je pourrais toujours aller me faire cuire un œuf ou me tirer une balle, pour ce que ça vaut.

L’éclaircie pointe le bout de son nez. Pas encore béton, plutôt en pointillé, mais ça gribouille dans mes neurones.

Armé de ma résolution, je m’engage vers le comptoir. J'y réclame une bouteille de scotch — la top du top, une pépite, un bijou, du respectable à cinq cents billets le litre. Je précise la destination : la loge VIP. Nom : Victoria. Blanc. Le barman— Monsieur Mixe & Match au sourire Colgate — lève un sourcil sceptique. Il me jauge. Il scanne quoi sur ma tronche ? Un mec au bout du rouleau ? Un paumé avec de l’espoir en solde ? Je parie que ma mine d’épave qui a pas vu un lit depuis le jurassique me rend suspect. Il vérifie la commande, traîne un peu. CB tendu : ô miracle, un rictus. Moqueur ou compatissant ? Franchement ? Je m’en tamponne le coquillard. Qu’il me colle l’étiquette d’idiot raide-dingue, il aurait pas tort. C’est pas pour lui que je crame un demi-loyer dans du malt vieilli, donc... voilà.

En gambergeant sur la meilleure façon d’aborder la suite, je sollicite Monsieur Regard-de-travriole du bout des lèvres : une note avec la bouteille, c’est faisable ? Il tique, cligne des yeux, fronce les sourcils — décidément, il a une dent contre moi ou quoi ? — puis finit par extirper un carnet et un Bic de sous le comptoir.

J’attrape l’attirail comme on soulève une arme, conscient que la moindre tournure malhabile pourrait réduire mes chances à néant. Ma main hésite, trace à rebours. Chaque terme doit être pesé et mesuré, atteindre ce point d’équilibre précaire entre tact feutré et trop-plein d’audace. Qui plus est, pas facile de jongler avec les mots quand la langue en question ne coule pas de source dans la gorge. Sans balancier, tout se transforme en casse-tête syntaxique. L’anglais me vient plus vite, mais le charme y perdrait en route. À force de cogiter, le petit démon au fond s’impatiente : bah, t'as qu'à aller lui parler direct avec tes tripes au lieu d'une plume, asshole ! Bien vu. Mais, non.

Je rature dans ma cervelle, encore et encore. Comment transmettre sans confesser ? Comment faire en sorte qu’une phrase, une bride, un souffle lui dise que son absence m’habite sans paraître… affamé ? Un « je pense à toi » ? Trop sage. Un « je suis fou de toi » ? Trop frontal. Putain, pourquoi j’ai pas choisi la télépathie comme don mutant. C'mon, James, lâche le flow avant que le scotch sèche !

Un toast en ton honneur.
Que ce whisky te réchauffe au moins la moitié de ce ton souvenir me brûle.
Joyeux anniversaire, Victoria.

PS : J'aurais préféré t'offrir du Lochranach, je n'ai jamais eu l'occasion de le faire. 

La mention de ma marque parle d'elle-même. Plus un cri qu'un code, après tout...

Ça sonne bien ou ça hurle mon manque à pleins poumons, cette histoire ? Nae bloody clue[1]. Tant pis. Je repose le stylo, le cœur un peu trop lourd pour si peu d’encre. Mes mots ? Un message à la con dans une bouteille à la mer. Littéralement. Griffonné par un naze en rade d’inspi qui croit encore à la poésie de la ruine. C'est pas la tendresse des retrouvailles dont tu vas écoper, mon vieux, mais la grandeur du fiasco ! La noblesse de la chute aussi ! La classe du désastre ! Bravo, Roméo ! Trois zébrures signées sur du papier et tu veux une médaille ? Aye, cause toujours... Bon, plus qu'à sauter !

Je file la note au barman et décampe. Mission accomplie. Enfin, si rater peut se targuer d’être un triomphe. Well done, lad, t’as expédié ton cœur en colis suivi. Livraison garantie avant humiliation...

Ma nuque fait sa rebelle. Impossible de m’en empêcher. L’instinct. Ou juste cette manie pathétique de guetter le souvenir et la perte. Mon viseur racle la salle, coin par coin, tel un agent en planque acculé dans un rôle qui le dépasse. Tandis que je serpente vers l’alcôve, je bouffe du regard chaque mouvement, chaque rire, chaque éclat de lumière. Faim de repères, soif de confirmation. Je cartographie les visages, traque les reflets dorés, les boucles folles, les robes satinés. Il y a des blondes, partout, bordel ! À s’en filer une indigestion. Des clones en série, toutes moulées dans le même algorithme capillaire. Coiffures lissées, ondulations travaillées. Pas de bol, aucune tignasse sauvageonne. Panne sèche. Where in God’s bloody name’s she vanish tae, then?[2] Je ne la trouve pas. Ou bien.... elle se cache. Le karma a de l’humour. Noir, forcément. Peut-être qu’elle est lovée quelque part, à l’abri du monde. De moi. Accompagné ? Par pitié, pas ça…

Partie ? Peu probable. Pas le soir de son anniversaire. Je baisse les yeux vers ma montre : 23 h 15. Le tic-tac me nargue. Le temps galope, mais, elle, elle file entre les secondes. Ce club ferme à quelle heure, déjà ? Sûrement aux aurores. J'avais pas vraiment prévu de m'attarder... Peut-être qu’ils prolongent en after. Je souffle par le nez. Me voilà en train de marchander avec le hasard. Pitoyable.

— T’étais passé où ?

Ma douanière de sœur m’alpague illico, à peine le seuil de l’alcôve franchi. Front plissé, œil de lynx. Elle me pompe l’air, avec sa tête de flic et son cœur de maman-pieuvre. Même pas un « t’es vivant ? ». Non. Direct le contrôle au faciès émotionnel.

— Aux chiottes, dis-je en me vautrant dans le fauteuil en cuir.

— Faire quoi ?

Putain. Elle se fout de moi ? Prochaine étape ? Analyse d’urine ? Un mouchard dans le slibard ? Que répondre, hein ? Un bon vieux « ça te regarde pas » ? Un « j’essayais de noyer mon chagrin dans la cuvette avec une pichenette de poudre » ? Un « j'explorais la métaphysique du manque en tringlant une paire de seins » ? Après tout, j'ai passé trois semaines en TP intensifs. Résultat des courses : zen dépressif, zéro révélation, crampes à l'âme, goût du vide et dégoût de soi.

Au dernier moment, je ravale ma répartie. Inutile de tirer sur l’ambulance. L’inquiétude peinturlure les traits d'Isla. Fin du match. Mode comique de service activité : j'ai pas plus costaud en tact que la vanne pour la rassurer et déminer la scène. Mes épaules entament la procédure en façon haussement nonchalant.

— J’ai joué un solo avec mon coloc du bas. Tout seul, comme un grand. Je pourrais te préciser le tempo, mais pas envie de t'offrir le détail des gammes.

Elle roule des yeux, mi-exaspérée, mi-soulagée et un ricanement se perd dans son verre.

— Quel boulet, sérieux ! T’es con…

Un jour, elle écrira un manuel : Comment gérer son abruti de frère. 

— Non, réaliste.

Comment lui reprocher de checker mon carnet de santé ? À sa place, j’aurais réagi pareil : quand on a vu la chute, on garde un œil clinique sur la faille. Mes proches deviennent des sismographes. À la moindre secousse, ils fliquent le big one. Ma sœur m'a toujours attaché du plus solide qu'elle pouvait — à la vie, à la raison, à un peu d’espoir. Tape mentale ou resserrage corsé, chez elle, l'angoisse ne dort jamais bien loin. Chez chaque membre de mon entourage aussi, d'ailleurs, dont le cercle s'est réduit à la moelle : Ma, Da, papi Graham, ma jumelle et sa moitié. Le reste du clan, écossais ou irlandais, Malva et wee[3] Sean, je les maintiens à distance de mes conneries. Moche à dire, hein, mais je leur simplifie l'existence en faisant profil bas. Pudeur ? Non. Trouille ? Ouais. Honte, surtout. Mieux vaut m’aimer hors champ que me ramasser de près. Certifié vécu.

Bref, trêve de self-pity. On passe aux représailles polies : je lui rend ce qu'elle m'a refourgué — en cash émotionnel.

— Puisque la franchise est une denrée rare, merci pour le guet-apens, au fait.

Elle ne répond pas tout de suite. Elle avale la pilule… ou elle kiffe ? Aye, c’est ça : elle déguste à la petite cuillère. Ce genre de manigances, ça lui file des orgasmes psychiques.

— Je vois pas de quoi tu parles…

Antoine pouffe avant de lever les yeux au ciel à son tour.

Pas dupe une seconde, je plisse les paupières.

— T’es aussi crédible qu’un soleil de minuit, Yelly.

— Ah bon ? Moi, comploteuse ? Jamais. Innocente jusqu’à preuve du contraire. T’es parano, frérot.

— T’as raison, toi, t’es une sainte.

Le destin, ce filou, choisit pile ce moment pour parachuter Victoria dans mon champ de vision, au milieu des escaliers, toujours escortée de sa garde rapprochée. Un incendie se déclare dans mon ventre, mes paumes tremblent, mon cœur tambourine si fort que j’ai peur qu’il crève ma cage thoracique, mon corps se crispe en sentinelle, mes poumons font du yoyo, ma queue se… prend pour un baromètre ! Sans déconner, là c’est le pompon ! Allez, James, remet les pendules à l'heure. Arrête de t’enflammer.

L'emprise subtile de ses copines la ramène vers le rez-de-chaussée. Victoria résiste un peu, tente de rebrousser chemin, secoue son joli minois, esquisse un refus. Éclair d’espoir ? Non, faux départ. Elle cède, sous le poids de leur insistance, ballottée par leurs griffes amicales. Puis, elle éclate de rire, nue de toute retenue. Je sais même pas si je suis aux anges ou en enfer…

Les quatre, non, cinq super nanas — franchement, autant les nommer « Cavalières de l’Apocalypse érotique » — dévalent les marches en formation serrée, disparaissent dans l’océan humain, ressurgissent au pied de l’estrade. Des mains masculines les aident à grimper. Non mais oh ! Y a un connard qui vient de plaquer ses paluches sur le cul de Victoria ! Mon sang ne fait qu’un tour. Miss Queue-de-cheval au ras des reins glisse un mot au DJ. La musique explose : les premières notes de I Will Survive fendent l’air. Ah. Putain...

Chanson culte. Hymne du palpitant piétiné qui se relève en dansant. Cri de guerre des abandonnés devenus invincibles. Bande-son des renaissances. Celle qu’on hurle pour conjurer l’amour. Quoi d'autre ? Ah oui, doigt d'honneur dans ma face !

Évidemment, elle la connaît par cœur — elle pourrait l’avoir écrit en manifeste ou en miroir. Pas besoin de karaoké, l'histoire m'est familière : j'étais la première strophe, la faute de frappe, le chapitre censuré. Maintenant, apparemment, je finis en page déchirée. Sa biographie de cœur, elle la pulvérise en confettis de liberté. Vivante, flamboyante, sourire électrique, plus loin de moi que jamais. Elle ne la chante pas. Elle la respire, la projette, déclame chaque syllabe en victoire. De mon côté, j’encaisse chaque ligne comme un crochet au foie. Les mots me lacèrent l’esprit. La survie post-rupture… J'arrive trop tard, Victoria a migré vers l’horizon, franchi le cap, déjà ailleurs, au-delà. Debout, droite, réassemblée, reconnectée à elle-même, plus forte que mes souvenirs. Moi ? Je fais tapisserie. Version 2.0 du con qui croyait encore avoir sa chance.

L’estrade se transforme en podium de revanche. Les Powers Rangers de la résilience, avec leurs jambes qui défient la gravité et leurs robes coordonnées — verte, rose, noire, jaune et elle. En bleu nuit. En bleu d'âme. La teinte exacte de mes futures insomnies.

Mes prunelles en maraude captent puissance dix mille les regards de hyènes qui bavent sur ses courbes avec une fringale pas du tout, mais alors pas du tout voilée. Un fauve irraisonné ronge ses fers dans ma poitrine. À deux doigts de rugir, je m’arrime à la moindre molécule d’oxygène et tente d'engloutir coûte que coûte l’ouragan barbare qui menace d'aller torpiller des plexus solaires. D'ailleurs, l’envie de foncer dans le tas pour leur faire regretter de poser les yeux sur ma Victoria me scie tellement les nerfs que je bascule en avant, cul au bord du cuir, poings compressés, flair en alerte. Je meurs de la revendiquer, replanter mon nom dans son cœur, monter sur ce satané perchoir et lui dévorer la bouche devant tous ces voyeurs ! Rien que ça, ouais. Le grand romantisme version razzia à l'écossaise. L’idée de la jeter sur mon épaule façon butin néanderthalien revival me démange carrément. Au lieu, je me concentre sur la scène, sur la manière dont Victoria s’abandonne à la musique. Elle est radieuse, sublime à en pleurer. J’ai la dalle d’elle, une soif animale.

Mes veines bourdonnent. Eros et Thanatos se foutent sur la gueule sous mon crâne, round infini, sans arbitre. Je suis à la lisière de l’impardonnable, au seuil de l’erreur fatale — celle qui marquerait ma carcasse d’un sceau noir à jamais. Mon cortex m'envoie des images interdites : l’arracher à sa clique, l’aimanter contre un mur, la réduire au silence, lui voler son souffle et m’enfouir en elle une bonne fois pour toutes. La prendre à la gorge du désir, pour faire taire cette soif vérolée, ce feu délirant qu’elle allume en moi à chaque satané battement de paupières. Comme si l’assouvir pouvait cautériser la plaie, comme si elle pouvait retomber au rang de chair anonyme. Im-po-ssi-ble. Elle est l’exception, bon sang ! Le putain de miracle que j’ai crucifié moi-même. Et malgré cette vérité éclatée au grand jour de mes nuits, pas moyen de calmer la bête.

D’un sursaut, je me lève, possédé, mordu. Un pas en avant. Ongles plantés dans mes paumes. Regard épinglé sur elle. Le monde autour s’évanouit, tout devient flou. J’avance. Puis, coup de massue mental. Quelle foutue mouche me pique, bordel ?!

Je ne suis qu’un enfoiré égoïste, un salopard narcissique en manque de rédemption. Tel un couillon qui bazarde une étoile à la benne, j’ai bradé un trésor à l’aveugle. Tous les jours, je me maudis pour ce texto de chiffe molle que je lui ai craché à la figure, gratuit. Et la mémoire me marave : Elaine, les suivantes, cette spirale de foutre et de vide. J'en avais strictement rien à carrer de ces meufs, bordel ! Elles n’étaient que des silences baisés, des cache-misères, des secondes mortes qui agrandissaient le trou dans ma cage. Deux ans putain... Deux ans à vivre sous la dictature du bas-ventre, à crever en douce sous la poudre et la honte. Le sexe et la drogue m'ont gangrené l'âme ! Et alors que j'avais déniché la perle rare, j'ai sorti le scalpel, une fois de plus, pour me détruire.

Du coin de l’œil, j’aperçois un serveur monter l'escalier, plateau à bout de bras, bouteille de whisky en route. Mon geste me boomerang en pleine poire. Fuck, fuck, fuck ! Pourquoi j’ai voulu jouer les revenants, hein ? Pour mieux disparaître ?

Victoria quitte l’estrade. Évidemment, maintenant. Sourire aux lèvres, resplendissante. Dans quelques minutes, elle lira ma carte, mes mots perceront sa bulle. Le mal sera fait. L’artisan de cette merde, c’est moi. Quel con... mais, quel con…

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