5.2 * JAMES * A LA LISIÈRE DU CRI
J.L.C
29.10.22
23 : 50
♪♫ DYIN FOR U — ELGIT DODA ET ART ♪♫
Enfin. Son regard s’ancre au mien : une coulée de feu brut remonte de mes vertèbres jusqu’au crâne et fait éclater mes synapses. Une pulsation de cils, une percussion instantanée et ça me crible comme une rafale. Tous les cris muets, les balises étouffées, chaque onde compressée dans le silence, elle les attrape au vol d’un coup d’œil. Elle sait. Je le lis dans sa réaction : stupeur, chaleur, joie. Son visage s’ouvre, ses pupilles débordent, sa bouche s’incline. C’est… fulgurant. Pur. Elle me sourit et l’axe de la Terre change sans prévenir.
Bonne nouvelle, je compte encore. Je parie ma peau dessus. Mon magnétisme n’a pas rouillé, les pôles s’activent, l’attraction refait surface. À moins que ce soit elle, l’étoile fixe, et moi, le corps en dérive. Clairement. Mon rythme cardiaque s’emballe, pas de panique, juste un trop-plein. Elle est là, en chair, en éclat et son sourire ? Une flamme à ma mesure. Je suis l’unique visé. Je veux sa ferveur, son souffle grippé au mien, goûter cette effusion de bonheur sur sa langue.
Elle descend vers moi. Là, maintenant. Elle dissout les mètres, lacère l’air telle une vague de velours au ralenti. C’est pas un rêve ni un souvenir : l’approche est réelle, tangible, physique. Chaque pas effeuille la distance. Ma main s’engouffre dans ma poche, cellule improvisée pour retenir l’élan, canaliser l’onde de choc, mettre l’instinct en cage. J’essaie de respirer normalement. Peine perdue, j’ai l’impression d’avoir inhalé tout l’oxygène dispo en une seconde.
Elle a relevé ses boucles en un chignon flou. Quelques minutes plus tôt, ses cheveux vivaient leur vie autour de son visage, ses tempes, ses épaules, à leur manière, déraisonnables par nature. Là, elle les a maitrisés. Pas par hasard. Je reconnais ce rituel. Croyez-moi, ce chignon-là n’est pas un détail frivole, mais une tactique de guerre. Elle ne mate pas sa crinière pour faire joli, plutôt par stratégie, par méthode, par nécessité. D’autres remontent leurs manches — moi — elle, elle arme sa concentration en imposant l’ordre à sa tignasse. Je l’ai vue faire : avant de plonger dans un pavé de huit cents pages, de récurer le plan de travail, de résoudre un casse-tête logistique, au milieu d’une partie de poker aussi, ou juste avant de me… ouais, enfin, euh, d’entamer une entreprise de désintégration mentale contrôlée. Pourquoi je m’embarrasse moi-même tout à coup ? Sucer, je voulais dire sucer, pomper, siffler, fellater. Bref, même dans le désir, elle choisit l’angle et cette « coiffure » annonce rarement un scrabble… L’élastique ? Un marqueur, son focus mode, un début de manœuvre. Une alerte. Elle s’est cadrée. Préparée. Question : pour quoi exactement ? Affrontement ou retrouvailles ?C Crocs ou lèvres ?
Vous savez ce que j’adorais faire ? Les détacher. Foutre en l’air ses structures. Planter mes ongles dans la masse chaude et les libérer d’un coup, sentir le ressort, la chute, l’électricité que ça déclenchait. La sensation de ses boucles sur mes poignets, une tuerie. Mon superpouvoir consistait à neutraliser un chouchou pour déjouer ses griffes mentales, parce que j’aimais croire que je la délivrais, même un instant, de sa manie du contrôle.
J’ai eu mille occasions — et pourtant pas assez — de refermer mes doigts sur cette soie vivante. Le premier baiser, fragile et fiévreux, où le monde s'est effacé pour ne laisser que cette évidence : mes lèvres sur les siennes pour l'éternité — rien que ça. J'ai cru crever de tendresse. Toutes ces minutes volées entre nous, ces butins sensuels, spontanées, tendres ou sauvages. Et à la toute fin, sur le pas de sa porte, ma valise à nos pieds, l’Écosse à l'horizon, elle qui restait. Là, j’ai cru crever tout court.
Sa crinière, ce n’est pas seulement une caresse, c’est une hypnose tactile. Ses mèches, je les ai effleurées dans les premiers frissons, alors que nos regards s’apprivoisaient à tâtons, qu’on se jaugeait, qu’on apprenait la carte de nos corps, assis à la terrasse d’un café, au ciné, dans la voiture en rentrant de soirée… Chaque fois, ce moment délirant et enfantin où j’espérais un feu rouge à rallonge, un générique parti faire la bringue, un serveur tête en l’air, un soleil sur pause, juste pour que ses boucles continuent de briller dedans. Genre : arrêtez-tout, j’ai atteint le cœur de l’univers.
Par réflexe, je lissais sa cascade blonde sans fin, quand elle venait s'enrouler, féline, telle une déesse paresseuse sur son canapé, dans ces silences denses qui précèdent les séismes — de ceux qui bruissent comme des orages en approche jusqu’à ce que le ciel s’éventre et que la foudre déflagre. Ou, au détour de nos longues dérives feutrées, au cœur de ces nuits à réinventer le monde à mi-voix. Et si on ne dormait jamais ? Juste pour rester là, à flot, ensemble, dans ce flou bienheureux.
Je m’y baignais, dans ses fils d’or, pour apaiser mes nerfs et embraser mes sens. C’était un cocktail étrange : une paix moelleuse piquée de désir, un hamac troué de pulsions. Est-ce que ça existe, le calme qui électrise ? Avec elle, oui.
Quand elle reposait nue contre moi, houleuse, comblée, essoufflée, j’étalais ses volutes mordorées autour d’elle, entre nous, sur moi, j’en faisais un alphabet secret, ma preuve, mon vestige, la matière même du manque à venir. Oui, j’appartiens à cette race d’homme qui transforment des cheveux en manifeste. Et j’assume. Et.. Oh, putain… Dans le feu de l’action, j’empoignais cette jungle capillaire comme on tient le cap en plein cyclone, m’abandonnant en elle sans réserve, dans sa bouche, dans son antre, jusqu’à l’effondrement total de nos contours. Ma main noyée dans ses mèches folles, je l’ai conduite plus d’une fois avec ferveur, loin, si loin… à la lisière du cri, dans des confins où la pudeur s’éteint. Et, tandis qu’elle me donnait tout, corps et âme, dans un élan simultané, dépossédé de moi-même, exsangue et émerveillé, je lâchais prise, happé par sa puissance, à nu, à genoux, sans défense… J’aurais pactisé avec l’éternel pour rester là, à l’infini, mais non, au lieu, je me suis taillé… Débile, va !
Bordel, j’ai plongé trop loin, trop brutalement, trop vite. Une seconde à la dérive et tout s’est resserré d’un coup. Elle est toujours là, réelle. Elle descend encore, mais mon cœur, lui, dégringole. Par chance, ma carcasse tient debout. Par contre, à l’intérieur, ça se rétracte. Repli par réflexe de survie ou par trouille pure ? Allez savoir.
Soudain, elle disparait : son petit mètre soixante-dix, même pas, est englouti par les danseurs sur la piste. Plus que quelques secondes…
Mâchoire en cadenas, épaules chargées, mon cerveau se perd dans une brume épaisse. Pourquoi y a pas de sortie dans ce labyrinthe mental ? Mon regard a viré de bord — elle va le capter, forcément. Fini l’éclat, envolé le sourire ; tout a basculé dans un reflux amer. Elle arrive et moi, je me referme comme une huître barricadée claquant son silence. Bon sang, elle peut pas le rater ce trou, en moi, là, au beau milieu de ma poitrine, pas vrai ? J’ai juste pensé à nous. À tout. À l’avant, à l’après : ça m’a broyé le souffle.
Et en moins de temps qu’il n’en faut pour déglutir un soupir, elle plante ses jolies gambettes devant moi. Première chose que je vois d’elle, étant donné que j’ai les yeux plombés au sol, la honte en couverture sur les épaules. Je suis cramé d'avance, je peux pas lui faire face.
Elle m’a parlé. Putain ! J’ai pas entendu. Saleté de musique de merde ! Le son déborde de partout ou alors c’est moi, complètement ailleurs, trop en dedans. Son timbre a valsé sur les basses, charmant moment mélodieux… Sauf que... elle a dit quoi ? Je relève le menton, croise ses iris d’ambre : elle attend ma réponse. Je sais pas quoi dire à part : tu peux répéter ? Quel blaireau !
— James, qu’est-ce que tu fais ici ?
Ah… euh… je… bordel ! Mon prénom glisse entre ses lèvres et détonne, me tord le ventre et m’envoie une sacrée décharge électrique dans les veines. Les souvenirs affluent — caresses volées, certitudes, éclats de rire, vertiges, abîmes de douleur.
— Pourquoi ?
Un frisson s’insinue dans son intonation, mais la défiance reste bien campée, vive et tranchante. Bouche ouverte, prêt à répliquer — Victoria me fauche. Impossible de prendre la parole, va falloir que j’y aille au bélier ou quoi ?
— Pourquoi aujourd’hui ? Le jour de mon anniversaire ?
Un petit rire nerveux sort de sa gorge délicate. Ma louve ne lâche rien :
— Pourquoi t’as –
— Vi, écoute, je –
— ... fait ça ? Pas un mot d’excuse ! Un « je peux pas j'ai aquaponey » ? Parce que t’as intérêt à avoir une raison en béton, sinon –
— Je sais, j’ai merdé, mais je –
— Merdé !? Non, t’as pas juste merdé, tu t’es éjecté. Pouf, plus personne dans la cabine de pilotage ! vocifère-t-elle, index pointé sur ma poitrine.
Aïe, si elle me touche....
— J’étais encore dans l’avion, James, dit-elle en plaquant ses paumes sur ses hanches finalement. Destination inconnue, mais embarquée depuis un bon moment déjà, je te signales !
— Je…
Bah je que dalle ! Elle m’a scié en deux, là. Ouais, j’ai carrément déserté en plein vol, laissant la carlingue aller se fracasser sur une île de désolation avec la femme que j’aime à bord. J’ai joué les kamikazes, façon tête brûlée qui croyait pouvoir larguer l’amour sans payer la note. Depuis, je gratte les cendres avec les dents et maintenant je rame au milieu des décombres.
Bras croisés en barrage, raide comme un arc bandé à deux doigts de décocher, elle serre tellement la mâchoire que j’ai presque peur de la voir mordre. Je devine sans peine le raz-de-marée d’émotions sous la surface et ça me flingue…
— Tu vas lâcher une phrase ou juste respirer très intensément ?
OK... Faut que j'apprenne à parler sous pression...
— Ça y est ? Plus rien à ajouter ? Bah, merci d’avoir daigné pointer le bout de ton nez, Monsieur Cameron ! Tu t’imaginais revenir la bouche en cœur, l’air innocent, comme si t’étais mon foutu prince charmant ?
Vrai de vrai ? Non, de base, cette rencontre ce soir n’aurait pas dû être. Le timing de cette tentative de réconciliation tient plutôt de la mauvaise blague du destin — pour pas dire plan foireux signé de la main de ma jumelle de malheur. La colère que Vi garde en elle me détruit. J’en suis responsable. Je me déteste.
Victoria esquisse un micro-recul, s’enveloppe dans ses bras, se mordille la lèvre. Elle va se barrer… ou céder… ou exploser… Mon cœur me dit : rampe, bouffon.
— J’… j’étais paumé et –
— Pardon ?
Ah. Ce sera explosion d’abord. Normal... Paumé ? Quel euphémisme de génie...
— Et moi, tu te figures que j’étais quoi ? Zen ? Équilibrée ? À siroter des smoothies veggie en t’envoyant des SOS dans le vide numérique ? Tu m’as ghosté une semaine entière avant de… de… putain, James ! Tu te rends compte du massacre que tu m’as balancé ?! Pourquoi t’as évité mes appels ? J'étais devenue quoi pour toi ? Un poison ? Une épine dans le pied ? Un pot de colle ? La blonde baisé l'été dernier ? Je te répugnais à ce point pour que tu fasses le mort ?
Je ris jaune malgré moi. Pour deux raisons. Trois. Déjà, l’idée qu’elle me répugne un jour : grotesque. Quoique, si elle… Non, hors de question d’emprunter ce chemin. Elle n’est pas Amy ! Rien que d’avoir envisagé ce parallèle — du genre comparer un orage d'été à une fuite de gaz — j’ai envie de me défenestrer... Ensuite, je l'ai pas « baisé ». Enfin, lui répondre ? Après ce que j’avais fait ? Impossible. Suicidaire. Tu peux pas tromper — que tu l’aies voulu ou subi — celle qui est en train de te ravir le cœur un lundi soir et lui servir du « coucou, bébé » au petit-déjeuner.
— T’arrivera pas à pondre une explication potable, hein ?
Et voilà, premier clou sur le cercueil. Allez, encore deux ou trois comme ça, et on pourra refermer le couvercle.
— Non.
Elle écarquille des yeux façon fin du monde.
— Enfin, si, si, mais –
— C’est du moche, c’est ça ? Double-vie, bague au doigt, mômes à l’arriè –
— Ça va pas !
— Alors, crache. Le. Morceau.
A peine un embryon de phrase qu'elle me coupe avant l’expiration, bam, sabrage à froid. Laisse-moi en placer une, Vi…
— … parle vraiment. Pas ton... ta marmelade verbale là, ton... coulis de mensonges ! Donne-moi un truc vrai.
Elle me demande l’impossible : la vérité nue.
— Vi, tu shootes mes débuts de phrase. Je peux aligner deux mots sans me faire griller la priorité ?
J’ai rien contre les rentre-dedans — je les préfère physiques que verbaux, dans tous les sens du terme — mais là, elle dégaine avant même que je me chauffe à riposter.
— Bah, vas-y. Sors-les, tes précieux mots, bougonne-t-elle en retroussant le nez, souveraine, belle à croquer. Un seul, tiens. Je te défie !
Merde, lequel !? Je…euh...
— Désolé ?
Ah… À voir sa grimace outrée, mauvais tir. Fais chier ! J’ai l’impression que chaque mot est insuffisant, minable.
Après avoir secoué sa jolie frimousse, elle balance :
— Pfff… tes excuses, tu peux les rouler bien serrées et te les mettre –
— Toi.
— Hein ?
— Toi. C’était toi le problème.
Elle me darde avec des yeux de soucoupe, bouche entrouverte, comme si je venais de la gifler. C'est... catastrophique.
— Quoiii !? T’as pas osé dire ça !
Sa paume se plaque sur son front. Nouveau spasme de dépit.
— Dites-moi que je rêve ! Non, mais dites-moi que je rêve… Non, putain, je cauchemarde !
Sa voix claque : consonnes coupantes, voyelles crantées. Chaque syllabe porte ses blessures.
Je. Suis. Une. Brêle. En théorie, je suis bilingue. Ce soir, j’en baragouine même pas une correctement. Mes neurones cuvent leur honte et mon système cale dans la gadoue. Aucun mot ne percute juste. Ils tirent au juger, ricochent sur elle et terminent leur farandole diabolique en se plombant dans le cœur de ma culpabilité.
— Pas dans ce sens-là… T’es pas le problème. T’es la solution. Le centre. Tout.
Allez, bravo champion, même une tourbe épaisse serait plus claire. Va droit au but, oh !
— J’ai flippé –
— À cause de… « nous » ? me coupe-t-elle sans attendre.
Ce mot-là… dans sa bouche, il fait trembler l’air. En revanche, s'il y avait un avenir accroché au nous, je suis en train de le démanteler pièce par pièce en débutant par le grenier...
Des danseurs maladroits la bousculent, l'obligent à se rapprocher de moi. Son parfum m'envahit. J'ai envie de la respirer jusqu'à l'aube. Mon regard plonge dans le sien : est-ce une goutte d’espoir distillé, juste là, au fond de ses prunelles dorées ?
— C’est compliqué…
— Ah le fameux « C’est compliqué ». T’as coché la case « complexité » sur ton formulaire d’échec ?
Ouchhh, ça... fait mal. J’avale mieux d’habitude, mais cette fille sait très bien viser. Je bafouille, elle dégomme. J'ai pas de gilet pare-balles. J'en veux pas de toute façon.
Elle éclate de rire, pas le bon évidemment. Lui, c'est plutôt style citron sur tympan perforé.
— Tu vas me sortir le bingo complet ? « C’est pas toi, c’est moi ? ». « Je te mérite pas ». Ou mon préféré : « Je t’aime trop pour rester » ?
Exaspérée jusqu’au bout des ongles, elle verrouille à nouveau ses bras sur sa poitrine et corrige ses appuis.
— Franchement ? T’étais moins confus par écrit. Au moins, dans ton texto de rupture, y avait pas d’ambiguïté.
Faut dire que j’avais eu trois heures pour le rédiger... et une bouteille de scotch pour me motiver.
Elle agite encore ses boucles.
— Non. Ce n’est pas compliqué. C’est toi qui compliques tout.
Puis, elle me foudroie sur place.
— Plutôt que marcher avec moi, t’as couru ailleurs ou..., j'en sais rien, t’as pris le raccourci. Et tu m’as largué là. Avec rien. Zéro explication.
Il aurait fallu que j'ai des couilles...
Un battement. Regard détourné. Mon cœur encaisse la fracture.
— Désolé, j’ai plus envie d’être un virage à négocier ni un caillou dans une chaussure.
Et, là, la vraie, la seule, irrévocable : une larme coulisse sur sa joue. Minuscule. Monumentale. Je me tords d'impuissance. Merde, merde, merde ! Ma trahison s’incarne en sel et en silence. Nom de Dieu, je la fais pleurer ! Drapé de bonne volonté et de mauvaises idées, mon instinct tente un geste vers elle. Apaiser, réparer… et empirer. Avisant mon mouvement, elle anticipe, se replie sur elle-même, recule. Les pupilles exorbitées, elle fixe ma main, orpheline, ridicule, suspendue entre nous.
— Tu dois surtout pas me toucher, James, surtout pas…
Elle chuchote, mais mes yeux, aspirés par la courbe de sa bouche, interceptent chaque lettre sur le velours de ses lèvres, jusqu’au tressaillement de sa mâchoire. Elle aurait crié « Avada Kedavra », j'aurais moins tetanisé... Là, il y a le triangle toxique qui vient de s'autotatouer sur ma face.
Dans son regard, revenu vers moi, l’incompréhension vacille au bord d’une faille, là où le chagrin a déjà tout ravagé. À sec, sans rien à quoi me hisser, je lui jette juste cette phrase, ce résidu de courage, de vérité mal placée, qu’elle rejettera peut-être d’un revers de paupières :
— Tu m’as manqué, Vi.
Je devrais me taire vu qu’il est trop tard pour sauver la face, trop tôt pour espérer qu’elle accepte.
Elle sursaute, le corps tiré en arrière, genre coup de jus. Une onde de douleur passe dans ses pupilles. Je l’ai fendue. Pas effleurée. Fendue net. Faut croire que même l’honnêteté griffe.
Le cristal de ses yeux se trouble, s’opacifie. Tel un barrage qui ouvre ses vannes, sa colère déferle et je sais que le flot va me heurter de plein fouet. Ses larmes et sa rage, c’est du jamais-vu. Première tempête. Première apocalypse. Son visage se décompose sous la détresse. Sa lèvre inférieure subit le supplice de ses dents. Elle serre, elle s’accroche. Elle veut pas s’effondrer devant moi. Elle veut pas que je découvre le cratère. Sa bouche frémit d’une réplique que je devine acérée. Coupable, je l’invite. Allez, coupe, tire, crache, Vi. J'ai besoin que tu me haïsse...
— Dis-le…
— Va te faire foutre, James.
Pareille à une balle bien dirigée, elle expulse l'insulte et chaque syllabe m’éventre. Elle m’a radié. Je la perds au ralenti et j’ai même pas la force de tenter de la retenir. En un clignement, elle tourne les talons et et je reste. Délesté. Défunt. Fini.
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