5.3 * JAMES * VA AU DIABLE

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CHAPITRE 5.3


VA AU DIABLE


* *

*


J.L.C

29.10.22

23 : 45


♪♫ … — … ♪♫



Pupilles en vrille, tête façon gyroscope détraqué, Victoria pousse un soupir à décorner les beaufs, esquisse un micro-recul, s’enveloppe dans ses bras, se mordille la lèvre. Bon sang, t'as jamais été aussi naze en décrytpage féminin, pauvre bouffon ! Elle va se barrer… ou craquer… ou exploser… Mon unique neurone survivant lève le drapeau blanc et, sombre con, se ramasse :

— J’étais paumé, je voulais... te protéger–

— Pardon ? Me protéger ? C'est la meilleure ! ridiculise-t-elle, à un cheveux du pétage de câble olympique.

Bon, bah, explosion first... Nae surprise. Paumé ? Quel euphémisme de génie...

— Me protéger de quoi, au juste ? Que vas-tu me sortir ? Que t'es un vampire à la Edward Cullen[1] ? Mieux ! Tu t'appelles en réalité MacLeod — Duncan, Connor, ou qu'est-ce que j'en sais[2] — et tu dois m'éloigner pour éviter de m'impliquer dans tes combats ancestraux ! Pfff... Laisse-moi rire !

Un vampire ? Par pitié.... Un MacLeod ? Là, elle tape dans le mile. Le sang de l’île de Skye pulse bien dans mes veines, thanks to ma wee granny Cissy. Merde, à peine j'ai posé un orteil dans ma pensée qu'elle me tire déjà par les oreilles verbales et relance le moulin à paroles ! Och… who knew she had that much wind in her sails ?[3]

— Tu te figures que j'étais comment avec tout ça, mmh ? Zen ? Équilibrée ? À siroter des smoothies veggie en t'expédiant des SOS dans le vide numérique ? Tu m’as ghostée une semaine entière avant de… de… Bon sang, James ! Te rends-tu compte de la peine que tu m’as infligée ?! Pourquoi as-tu esquivé mes appels ? Qu'étais-je devenue pour toi ? Un poison ? Une épine dans le pied ? Un pot de colle ? La blonde avec qui tu t'es envoyé en l'air l'été dernier ? Je te répugnais à ce point pour que tu choisisses de faire le mort ? Et ton texto final, ce n'était que de la pitié, c'est ça ? Une manière polie de signifier à la cruche que je suis de retourner dans ses pénates !

Je ris jaune, malgré moi. Pour deux raisons. Trois. OK, quatre. Déjà, pénates ? Au-delà de ma zone de réception linguistique. Puis, l’idée qu’elle me répugne un jour ou me fasse pitié : grotesque. Quoique, si elle… Non ! Pas moyen ! Hors de question d’emprunter ce chemin. She's no' Amy ! Rien que d'envisager ce parallèle — du genre comparer un orage d'été à une fuite de gaz — j’ai envie de me défenestrer...

Ensuite, on ne s'est pas juste « envoyé en l'air », oh ça non, hein ! Réduire ce qu'on a vécu à de la baise, non. Sans appel. Un feu pareil dépasse la simple histoire de cul et elle le sait ! Du moins… je croyais qu’on vibrait sur la même fréquence, non ? Et si... bloody hell ! Sinon, elle serait pas en train de me carboniser à bout d'émotion avec ce regard, ni me débiter un plaidoyer version tir de barrage. On ne s’enflamme pas comme ça pour un type qu’on a rangé au rayon « erreurs de parcours ». I’ve still got a shot. Pull yersel’ together, lad ![4]

Problème : quoi répondre ? Après ce que je lui ai fait ? Impossible. Suicidaire. Tu peux pas tromper — que tu l’aies voulu ou subi — celle pour qui ton cœur s’incline déjà sans condition un lundi soir, et lui servir du « coucou, bébé » au petit-déjeuner le lendemain, mine de rien.

— T’arrivera pas à pondre une explication potable, pas vrai ?

Et voilà, premier clou sur le cercueil. Allez, encore deux ou trois, et on pourra refermer le couvercle.

— Non.

Elle écarquille des yeux façon fin du monde.

— Enfin, si, si, mais–

— C’est du moche, c’est ça ? Double vie, bague au doigt, mômes à l’arriè –

Je me fige. Mes épaules se raidissent.

— Ça va pas !

— Alors : Crache. Le. Morceau.

Devinez ? Surprise, surprise, à peine un embryon de parole amorcé qu'elle me coupe la chique avant l’expiration. Vlam ! Sabrage à froid. Mais laisse-moi en placer une, Victoria… J’ai rien contre les rentre-dedans — je les préfère physiques que verbaux — mais là, elle dégaine avant même que je me chauffe à riposter.

— … parle vraiment. Pas ton... ta marmelade orale là, ton... coulis de mensonges ! Donne-moi un truc vrai.

Elle me demande l’impossible : la vérité nue.

— Vi, tu shootes mes débuts de phrase. Je peux aligner deux mots sans me faire griller la priorité ?

— Bah, vas-y. Sors-les, tes précieux mots, bougonne-t-elle en retroussant le nez, souveraine, belle à croquer. Un seul, tiens. Je te défie !

Merde, lequel !? Je… euh...

— Désolé ?

Ach… À voir sa grimace outrée, mauvais tir. Damn it ! Tout ce que j'articulerai sera de toute façon minable et insuffisant, alors...

Après avoir secoué sa jolie frimousse, elle catapulte sa formule empoisonnée :

— Tes excuses, James, tu peux te les rouler bien serrées et te les mettre dans–

— Toi.

— Hein ?

— Toi. C’était toi, le problème.

Elle me darde avec des yeux de soucoupe, bouche entrouverte, comme si je venais de la gifler. C'est... catastrophique.

— Quoiii !? T’as pas osé dire ça !

Sa paume se plaque sur son front. Nouveau spasme de dépit.

— Dites-moi que je rêve ! Non, mais dites-moi que je rêve… Pétard ! Je cauchemarde !

Sa voix claque : consonnes coupantes, voyelles crantées. Chaque syllabe porte ses blessures.

Mais. Quelle. Brêle. En théorie, je suis bilingue. Ce soir, j’en baragouine pas une sans pulvériser ma propre crédibilité. Ma cervelle cuve sa honte et mon système cale dans la gadoue. Aucun mot ne percute juste. Ils tirent au juger, ricochent sur elle et terminent leur farandole diabolique en se plombant dans le cœur de ma culpabilité.

— Pas dans ce sens-là… T’es pas le problème. T’es la solution. Le centre. Tout.

Allez, bravo champion, même une tourbe épaisse serait plus claire. Va droit au but, oh !

— J’ai flippé–

— À cause de… « nous » ? me coupe-t-elle sans attendre.

Ce mot-là… dans sa bouche, il fait trembler l’air. Par contre, mettons qu’un avenir soit encore accroché à notre histoire, je suis en train de le démanteler pièce par pièce, en débutant par le grenier...

Des danseurs maladroits la bousculent, l'obligent à se rapprocher de moi. Son parfum m'envahit. J'ai envie de la respirer jusqu'à l'aube. Mon regard plonge dans le sien : est-ce une goutte d’espoir distillé, juste là, au fond de ses prunelles dorées ?

— C’est compliqué…soufflè-je.

— Ah le fameux « C’est compliqué ». T’as coché la case « complexité » sur ton formulaire d’échec ?

Ouchhh, ça fait mal. D'habitude, les trucs acides, je les avale crème — sens propre et figuré — mais cette fille décoiffe les synapses avec netteté. Je bafouille, elle dégomme. Aucun gilet pare-balles pour me protéger — j'en veux pas de toute manière.

Elle éclate de rire, pas le bon évidemment. Lui, c'est plutôt style citron sur tympan perforé.

— Tu vas me dérouler la bobine complète ? « Je ne suis pas prêt pour du sérieux. » « Tu mérites mieux que moi. » « Je t’aime trop pour rester » ? Alors, sur quoi dois-je miser, James ? L'esquive, le dédouanement ou le sacrifice ?

Déjà, pas la premiè–

— Franchement ? T’étais moins confus par écrit. Au moins, dans ton texto de rupture, il n’y avait pas d’ambiguïté.

Trois heures pour le rédiger... et une bouteille de scotch pour me motiver, donc, forcément.

Exaspérée jusqu’au bout des ongles, elle verrouille ses bras sur sa poitrine, corrige ses appuis et... pour pas changer, m'attrape à froid pour me servir ma propre conclusion. Arffff... Tentative diabolique : plaquer ma main sur sa bouche. Ma main ? Nae… mes lèvres !

— Ce n’est pas compliqué. C’est toi qui compliques tout.

Puis, elle me foudroie sur place.

— Plutôt que marcher avec moi, t’as couru ailleurs ou... j'en sais rien, t’as pris le raccourci. Et tu m’as larguée avec zéro explication.

Il aurait fallu que j'ai des couilles...

Un battement plus tard, son regard se détourne de moi. Mon cœur encaisse la fracture.

— Désolé, James, j’ai plus envie d’être un virage à négocier ni un caillou dans une chaussure.

Et, là, la vraie, la seule, irrévocable : une larme coulisse sur sa joue. Minuscule. Monumentale. Je me tords d'impuissance. Merde, merde, merde ! Ma trahison s’incarne en sel et en silence. Nom de Dieu, je la fais pleurer ! Drapé de bonne volonté et de mauvaises idées, mon instinct tente un geste vers elle. Apaiser, réparer… et empirer. Avisant mon mouvement, elle anticipe, se replie sur elle-même, recule. Les pupilles exorbitées, elle fixe ma main, orpheline, ridicule, suspendue entre nous.

— Ne me touche surtout pas.

Un ordre, à peine murmuré. Mes yeux pourtant, aspirés par la courbe de sa bouche, interceptent chaque lettre sur le velours de ses lèvres, jusqu’au tressaillement de sa mâchoire. Elle aurait crié « Avada Kedavra », j'aurais moins tetanisé... Là, le pictogramme « toxique » rouge avec la tête de mort vient de s'autotatouer sur ma tronche de cake, version « ne pas ingérer », certifié dangereux.

Dans son regard, revenu à moi, l’incompréhension vacille au bord d’une faille. À sec, sans rien à quoi me hisser, je lui jette cette unique phrase, ce résidu de courage, de vérité mal placée, qu’elle balaiera surement d’un revers de paupières :

— Tu m’as manqué.

Je devrais fermer ma gueule : trop tard pour sauver la face, trop tôt pour espérer qu’elle accepte ce degré de confession.

Elle tressaille, le corps tiré en arrière, genre coup de jus. Une onde de douleur passe sur ses traits. Je l’ai fendue. Pas effleurée. Fendue net. Faut croire que même l’honnêteté griffe.

Le cristal de ses yeux se trouble, s’opacifie. Tel un barrage qui ouvre ses vannes, sa colère déferle et je sais que le flot va me heurter de plein fouet. Ses larmes et sa rage, c’est du jamais-vu. Première tempête. Première apocalypse. Son visage se décompose sous la détresse. Sa lèvre inférieure subit le supplice de ses dents. Elle serre, elle s’accroche. Elle veut pas s’effondrer devant moi. Elle veut pas que je découvre le cratère. Sa bouche frémit d’une réplique que je devine acérée. Coupable, je l’invite. Allez, coupe, tire, crache, Vi. J'ai besoin que tu me haïsses...

— Dis-le… je le mérite.

— Va au diable, James Cameron.

Pareille à une balle dirigée téléguidée, elle expulse l'insulte et chaque syllabe m’éventre. Elle m’a radié. Je la perds au ralenti et j’ai même pas la force de tenter de la retenir. En un clignement, elle tourne les talons et je reste. Délesté. Défunt. Démuni.

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