6.3 * VICTORIA * FEU FOLLET

14 minutes de lecture

V.R.de.SC

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30.10.22

00 : 10

♪♫ NIGHTCALL — LONDON GRAMMAR ♪♫

Sous nos pieds, les vibrations graves du club en contrebas palpitent en effleurements électriques contre le toit-terrasse. La pluie improvise une symphonie des matières sur le verre, le métal et le béton, étouffant les rares bruits citadins. Nos gestes, nos souffles s’effilochent en silence. Tout à l’heure, sur la piste, j’étais imperméable à l’instant, incapable d’éprouver vraiment. Merci colère — cette bonne vieille camarade toxique qui déploie son brouillard épais et obscurcit chaque pensée alors qu’on voudrait juste y voir clair. Et moi, sans extincteur interne, j’étais une braise incandescente en sursis nichée au creux d’un tas de paille, une mèche tremblante à l’agonie qui s'est embrasée.

Maintenant que cette tempête s’est résorbée, je retrouve peu à peu la finesse d’un ressenti plus posé. Ouais, bon, calme et sérénité ont eu leurs deux trois minutes de gloire, mais voilà que Monsieur Tout-feu-tout-flamme vient me secouer les cocotiers et lancer les réjouissances avec son cortège d’étincelles fiévreuses qui échauffent mon bas-ventre. Comme d’habitude, à peine ai-je eu le temps de lui dire bonjour que la paix a battu en retraite. Et qui prend le relais ? Dangereux, confus, déroutant, j’ai nommé : le désir, ce trouble-fête infatigable, champion toutes catégories du sabotage émotionnel. Parfait pour transformer les discussions constructives en missions aussi illusoires que des mirages.

Alors, je recule d’un pas, intérieurement. Je m’économise pour la suite des hostilités, s’il y a. Ce choc de regards et de tensions promet plus de ravages que de réconciliations. Malgré tout, à l’heure du round deux, mes cordes vocales se ligotent, se serrent : impossible de les dénouer. Renier cet homme encore une fois ? Mes lèvres boycottent la consigne. Qui a jamais prétendu que dire non était un jeu d’enfant ?

Suspendue dans cet entre-deux douloureux, je me barricade derrière ma couverture de laine, phalanges crispées, me tortille sans le vouloir d’un pied sur l’autre, repousse d’un mouvement de nuque mes boucles mouillées par-dessus mes épaules, racle quelques miettes d’assurance dans les plis de ma silhouette. Tout pour rassembler les morceaux d’une identité éparse et faire bonne figure face à l’épicentre de mes séismes, l’incarnation brute de mes songes et de mes ruines. James.


Il articule un mot… puis le remballe. Traduction de ce petit son guttural largué en plein vol qui fait tréssaillir ma fournaise intime : il semblerait que ce grand garçon hésite entre confession et retenue. Dans ses prunelles, je lis la guerre silencieuse des phrases autocensurées. Suis-je prête à recevoir l’avalanche ? Aussi prête qu’un chaton face à un rouleau compresseur. Allez, James, sers-moi le bûcher des regrets, balance-moi ton feu follet de mots timides, déroule ta version ratée d’un poème de John Keats. Que dit mon préféré déjà : « Mon cœur a mal / Et une langueur sourde presse mes sens ».

Moi, je brûle de hurler, d’interroger, de déverser l’indicible, mais, muraille infranchissable de cette soirée imbibée, ma bouche s’obstine à verrouiller l’émeute. Mes yeux, agents doubles de la tentation, glissent le long de l’arête de son nez jusqu’à ses lèvres charnues qu’il s’humecte discrètement. Cette invitation inconsciente fait surgir sur mes papilles le souvenir de son goût — ses goûts : la morsure salée de sa langue, la soie épicée de sa peau, l’arôme brut de sa virilité. Oh bon sang… Je déglutis avec difficulté. Un tressaillement bipolaire me contraint à rompre le contact. Ça suffit, il faut que je m’éloigne de lui. Comme si reculer d’un pas allait résoudre quoi que ce soit. Néanmoins, je le force.

— Inutile de parler, murmurè-je, tremblante. Pas maintenant.

Il incline la tête, battu, le regard fuyant. Ses doigts effleurent le bois lustré du bar.

Tout à l’heure, j’ai tiré sans viser, tout est allé trop vite. Les vraies questions, je les ai escamotées. Les réponses ? Je ne lui ai pas laissé le souffle de les formuler. Maintenant qu’il est là — ses yeux saphir cloués dans les miens, la pluie tambourinant en toile de fond — je suis frappée de plein fouet par mes sentiments les plus enfouis : ils déferlent, incontrôlables. L’aimer. J’aimerais juste l’aimer. Nuement. Follement. Sans barrière, sans barbelés, sans foutue autopsie cérébrale. Mais la peur se campe en sentinelle, tapie entre mes côtes, en embuscade.

Soudain, une onde polaire me secoue. Est-ce la morsure glaciale sous mes pieds ou cette panique sourde qui me serre chaque organe ? Difficile de trancher. Toujours est-il que même ma mâchoire se met à claquer. Mon corps fond, se délite, me lâche. Le bon sens me revient d’un coup sec : l’air est devenu trop coupant, trop chargé. Hésitation. Stop. Une faille temporelle. Puis le frisson me ramène au réel : ce n’est plus tenable. J’ai besoin d’un cocon, de chaleur, d’une présence réconfortante. Mais pas de lui. Surtout pas de lui. Lui, c’est le volcan.

— Il faut que je rentre, avertis-je, avec la sensation de m’arracher à lui.

Déjà mes pas m’emportent. Déjà, son cœœur me tire en arrière. Saleté de gravité émotionnelle.

— Attends, supplie-t-il.

Sa voix s’effondre sur elle-même. Il réduit la distance. À un mètre de moi, juste un, assez pour me toucher si l’envie lui prenait, il s’arrête. Je me pétrifie et l’étudie : qu’est-ce que tu veux vraiment, James ? Sur ses traits, je décèle une lueur d’inquiétude. Il espère ? Il en a l’air : son regard, à mi-chemin entre la faute et la volonté d’effacer l’ardoise, semble me le chuchoter. Mais, là, je suis trop écorchée pour lui opposer quoi que soit.

— James, je…

Les mots se bousculent, malmenés.

— Je suis désolée, ce n’est pas le bon moment pour… discuter.

Ni pour dépoussiérer les souvenirs, faire sauter des crêpes sentimentales, accoucher d’une vérité chevrotante, ou s’embrasser sous la pluie. Rien, en fait. C’est le bon moment pour rien. Sauf pour m’inventer une urgence humanitaire au Groenland.

Il soupire et ses pupilles se voilent. Les miennes s’abaissent vers le sol. Pour ne pas chavirer.

— J’ai… j’ai trop bu et puis… j’ai… tiré un joint alors… euh… j’ai pas vraiment les idées claires.

Silence. Dense. Interminable. Et surtout, pas un brin qui bouge. Quand je relève enfin la nuque, la gravité dans son regard me glace.

— Tu prends souvent de la drogue ?

Il parle doucement, mais ses yeux, alertes, fouillent les miens.

Prise de court, je bats des cils, le temps de digérer la question.

— Euh.. non... Après, c’est pas comme si je tapais de la coke dans les chiottes d’un club. C’est juste un joint. Rien de dramatique. Ça... ça m’aide à… relâcher. À… décrocher un peu.

Je m’éclaircis la gorge, un peu gênée.

— Pour baisser le volume, tu vois ? Dans ma tête, je veux dire.

James hoche le menton, très lentement. Ce mouvement tacite pourrait presque faire tomber les dominos de mes pensées. Opaque, fermé, son visage reste blindé. Rien ne filtre. Il désapprouve ? Il étudie mon cas ? Me classe ? Me jauge ? Je n’arrive pas à deviner s’il se détache… ou s’il s’attarde.

Mon plexus se serre, réflexe de défense.

— Tu souhaites ajouter quelque chose ou… ? je lance, déjà en posture de danse guerrière.

Prête à esquiver, à parer, à riposter. J’aimerais bien qu’il choisisse vite son camp avant que je ne perde patience. Allez, beau-gosse en kilt, dégaine, que je t’assassine !

Sourcils froncés, il reprend doucement :

— Et l’alcool, c’est… fréquent aussi ?

Le vernis de son timbre ne tient pas. Quelque chose feule derrière. Un jugement.

Je le fixe, mi-incrédule, mi-vexée. Pour qui il se prend Monsieur le propriétaire de distillerie ? lI fait fortune avec l’ivresse des autres et il joue à la police des verres ? Je secoue la tête.

— Ce sont les seules questions qui t’intéressent, vraiment ?

Bien qu’il ne bronche pas en apparence, son silence bourdonne. Il réfléchit. Et pas à moitié.

— Oui, j’ai bu, James. Plusieurs verres. Pas un litre non plus, hein.

Bon, les maths me hérissent comme un hérisson, mais, si on devait estimer, à la louche, je dirais : presque assez pour noyer un guppy, mais pas une carpe koï.

— Je tiens encore debout, si c’est ce que tu vérifies. Tu veux un relevé détaillé ? Un éthylotest, peut-être ?

L’analyse de mon haleine ? Pour ça, il faudrait qu’il franchisse l’espace invisible qui nous sépare.

Je darde mon regard sur lui en signe de défi. Contre toute attente, un éclat adoucit enfin ses traits. Sa jolie fossette s’invite lorsqu’un demi-sourire étire ses commissures. Sans moquerie. Tendre. Et moi, idiote, je soupire. Pas de soulagement. Pas d’agacement. Non. De pure fascination. Mes dents s’enfoncent dans ma joue. Pour contenir. Pour refréner. Victoria, nom de nom ! Reprends-toi. Ce type t’a laissée en miettes. Tu comptes baisser la garde — pour pas dire, la culotte — parce qu’il a souri ? Je détourne les yeux, furieuse contre lui, furieuse contre moi.

— Tu es magnifique, glisse-t-il de son grain rauque et velouté, si agréablement calme.

Oh, misère… Il vient de crocheter mon coffre-fort intérieur. Parce que oui, un compliment, ça fait toujours plaisir. Surtout de lui. Ce n’est pas la première fois qu’il me le laisse entendre — je le sais, il le pense. Ni baratin, ni piège à coucherie. Il ne me drague pas, il me touche. Vraiment. Une tentative pour raccourcir l’espace, insuffler un lien. Malgré moi, mon corps réagit au quart de tour. Mes muscles se relâchent un à un, l’excitation reflue en douceur le long de ma colonne, mes défenses se fissurent, l’amertume s’évapore par strates. Je m’accroche encore à l’illusion d’un contrôle, évidemment. Pour garder contenance. Pour ne pas fondre, là, maintenant, entre ses bras ou sous ses yeux. Mais c’est difficile. Terriblement difficile.

Je bombe le torse, invoque un rictus d’indifférence. Je sais que mes pupilles brillent. Bien trop. Alors j’abats la carte du sarcasme : qu’il se réfugie derrière l’ivresse pour expliquer mon délire.

— Ah. Voilà. Monsieur sourit, Monsieur parle doucement, Monsieur complimente. Tu suis un protocole de réanimation affective, c’est ça ? Et après, quoi ? Tu sors ton tartan, une flasque de whisky et tu me récites ton mea culpa ? Si tu t’imagines qu’une flatterie va colmater l’hémorragie, t’as mal évalué les dégâts. Minute, je vérifie si mes joues deviennent rouges ou si c’est juste l’alcool. Ah oui, en effet, je suis chaude comme une couette à deux heures du matin avec un Écossais dedans. Génial. Je croyais que mon mascara avait coulé et que mes cheveux puaient la clope… Apparemment, je n’ai pas perdu tout mon pouvoir de séduction : je peux encore taper dans l’œil d’un illusionniste de bas étage, qui me refait le coup du lapin dans le chapeau ou d’un salaud aux allures de Viking qui se figure que mes cuisses ont oublié ses conneries !

Nom de Dieu ! Qu’est-ce qui me prend ? Je serre le plaid fort contre moi. Je devrais lui sauter à la gorge ou lui grimper dessus. Pas très classe, Vicky. Sois une adulte, certes, pas une furie. À ce stade, je suis surtout un interrupteur : on/off, selon son regard. Et son regard a l’air… déconfit. Oups, j’ai poussé le bouchon trop loin ? Il avait pas qu’à mettre autant de feu dans ses prunelles en sachant que je suis une bombe à retardement !

— Je suis désolé, finit-il par sussurer, déposant les armes.

— Déjà dit, répliqué-je, tranchante.

— Vaut mieux deux fois qu’une, non ?

Je pouffe. Ses mots me chatouillent. Ni plus ni moins.

— Alors, persiste, martèle : c’est en frappant qu’on enfonce le fer.

— C’est en griffant qu’on devient tigresse ? ose-t-il.

OK, il m’a coupé l’herbe sous le pied. Match nul ? Pas question. On continue la joute.

— Oh, tiens, tu as pour vocation de finir déchiqueté ? Je mords aussi. Et à l'occasion, je distribue des cicatrices souvenirs. Tu dois t'en rappeler non ? Tu veux me voir enrager ?

— Non, Vi… je… J’espère que tu… que tu voudras bien me pardonner.

Il plonge son regard vers le sol, puis le hisse aussitôt, noyé de déceptions.

— Même si, moi, je ne me pardonne pas, balbutie-t-il.


Ah... Je vois enfin le monstre qui le hante.

— Que dois-je te pardonner, au juste ?

Je redoute déjà la vérité qui se profile.  À nouveau, il choisit de se taire.

— J’ai bien une liste longue comme dix bras de reproches à te faire, James. Mais si tu attends mon pardon, je suppose que la réalité dépasse mon imagination, n’est-ce pas ? Quel chapitre de cette histoire sommes-nous en train d’écrire, exactement ?

J’ai l’impression de lire entre les lignes d’un mensonge.

Un petit geste nerveux trahit son malaise : sa main glisse maladroitement vers sa nuque. Ce tic en dit plus long que ses mots. Voilà qui confirme mon propre trouble. Merveilleux. Je suis donc officiellement parano… ou lucide ? On est assortis, tiens : lui en sueur, moi en vrac. Et parce qu’il faut bien une cerise sur le gâteau, sa chemise tire sur ses épaules, assez pour me rappeler à quoi je suis en train de résister. Ce petit bout de peau là, réveille direct mes démons lyriques : je lui compose une ode ou je le lèche ?

— C’est compliqué, je –

— Et ça recommence ! Tu rabâches, James.

— T’as raison. Excuse-moi. Je… Sache juste que ma présence ici ce soir n’est pas de mon ressort. J’ignorais que tu serais là, et… euh, j’étais pas préparé à te revoi –

Tu n’étais pas prêt à me revoir ?

Comme si j’étais une mauvaise surprise à éviter ? Un fantôme gênant ? Boo ! Je fais peur ?

— Oui, j’ai besoin d’un peu plus de temps pour…

Il bute sur sa révélation. Son visage devient un champ de tensions mal dissimulées : confusion, frustration, détresse. Putain, qu’est-ce qu’il me cache là ? Y a un secret entre ses dents, une bombe sous sa langue ? Bon, très bien, je vais lui tirer les vers du nez un par un.

— Depuis quand t’es à Toulouse ?

Ses yeux esquivent les miens, ses lèvres se pincent.

— James, réponds-moi. Depuis quand t’es revenu ? Tu repars quand ?


Rien. Silence radio.


Une hypothèse fait jour dans mon esprit.


— Tu comptais pas tomber sur moi, c’est ça ? En fait, t’avais aucune envie de me revoir ? Oh con, moi qui croyais —

— Bien sûr que j’avais envie de te revoir, Vi. J’attendais juste le… bon moment.

— Le bon moment pour quoi ? m’agacè-je.

Je ne comprends rien à ce qu’il raconte.

— Pour… pour…

James Liam Cameron perd ses moyens. Si ça prend autant de temps à sortir, c’est soit énorme, soit complètement bidon. Pétard, j’en ai assez ! Il me ponce les nerfs. Il me fatigue. Qu’il garde ses mystères, ses détours, son flou. Moi, j’éteins. Cette conversation est stérile.

— T’es dans une impasse, James. Et, franchement, j’ai plus l’énergie de décoder tes mutismes. J’ai déjà suffoqué dans ton premier trou noir. J’irai pas me recoller au suivant. T’as raison : t’es peut-être pas celui que je croyais.

Lasse de tourner en rond, je me mure. Ras-le-bol de pédaler dans le vide. Sans un mot de plus, je le contourne. Mes talons m’attendent : eux au moins, je peux les récupérer.

Échauffée ou frigorifiée, quand mes pieds quittent la terrasse en teck pour la dalle glacée, je ne cille même pas. En quelques enjambées, je ramasse mes chaussures abandonnées sur le tonneau, les serre contre moi sans même tenter de les enfiler. Direction l’entrée du toit-terrasse. Manque de chance : pour l’atteindre, je dois nécessairement recroiser James — à moins de me ridiculiser à faire un détour excessivement long. Planté là, sous les trombes d’eau, comme un héros tragique au ralenti, il ne bouge pas. Il me regarde. Fixe-moi encore deux secondes et je t’envoie mes stillettos à la figure !

Le ciel nous tombe sur la tête, littéralement — une vraie averse. Lourde, drue, décidée à nous lessiver jusqu’à l’os. Elle nous trempe de la tête aux pieds. En vrai, je la sens à peine. Tant mieux. Elle cache parfaitement les larmes qui ruissellent le long de mes joues. S’il m’observe, il ne verra rien d’autre qu’un visage mouillé. Merci, la pluie, mon mensonge hydrologique de secours.

J’inspire, fort, absorbe un peu de courage dans l’air. Je ne veux pas fuir. Pas vraiment. Ce que je veux, c’est lui. Là. Contre moi. Tout de suite. Faudrait une camisole pour ce genre d’envie, sérieuxes. Rester serait renoncer aux derniers lambeaux de mon discernement. Alors, au prix d’un effort incommensurable, je traverse la terrasse tête baissée. Mes pieds collent au passé : chaque pas que je fais semble plus lourd que le précédent. Un seul regard vers lui, et je me désintègre.

Tandis que je m’apprête à le dépasser, James s’écarte à peine, puis, dans un mouvement aussi soudain que délicat, ses doigts cueillent mon poignet. Le piège à émotions se referme. Comme frappé par un sort, mon corps se fige net et un hoquet s’échappe de mes lèvres. Ce contact, doux et féroce, de sa paume contre ma peau, diffuse une onde étourdissante à travers toutes mes terminaisons nerveuses. Mon ventre se contracte, puis s’ouvre à une chaleur liquide, impérieuse. Le déferlement se mue en une vague sensuelle et au creux de cette intensité naît une clarté étrange, semblable à un soulagement ancien. Une paix venue d’avant les blessures. En cet instant, tout mon être se réveille au souvenir d’être touchée par cet homme.

Mon corps s’enraye et refuse d’avancer. L’élan de partir s’est noyé dans l’impulsion farouche de rester. Il pivote. Son torse frôle mon épaule. Il s’approche encore. Trop près. Bien trop près. Mon dos capte chaque vibration de sa présence. Son souffle meurt contre mon oreille — rauque, précipité, brûlant malgré le froid. Je pourrais me fondre en lui si je reculais d’un centimètre. Mais je tiens. À peine. Mon cœur tambourine à un rythme frénétique. Comment réussit-il cet exploit ? M’éparpiller et me rassembler dans le même battement ?

Ses doigts quittent mon poignet dans une lente dérive, remontent le long de mon bras, effleurent le tissu du plaid, puis s’ancrent, chauds et sûrs, contre ma nuque. Je flanche, ferme les paupières, exhale. Il sait exactement ce qu’il fait. Et moi, je me laisse faire… James est plus grand, plus large — il m’enveloppe telle une seconde couverture protectrice, pendant que la pluie s’acharne sur mes mollets et mes cheveux. J’ai l’impression d’être volée au froid, à la solitude. Juste un instant. Juste à lui. Rien qu’à lui.

— Victoria, s’il te plaît…

Son front se pose délicatement contre ma tempe. Lui. Sa chaleur, son poids, ses bras comme une enclave. Ses mains, un baume plus fiable que tous les mots. Son souffle sur ma peau : baptême. Ses lèvres… je vacille rien qu’à l’idée. Le désir s’accumule, déferle, broie ma raison, réclame des sensations.

— Dis-moi que tout n’est pas foutu. Dis-moi que j’ai encore le droit de t’aimer, qu’il reste une chance....

Un chuchotement. Un espoir fragile suspendu au-dessus du vide. Il ne joue pas.

La vie, ce soir, refuse les cases. Et moi aussi. Il y aura des conséquences. Forcément. Mais j’en ai assez d’attendre la permission de vivre. Là, maintenant, je sais ce que je vais faire. Et tant pis pour demain.

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