6.3 * VICTORIA * L'ENVIE DE LUI

13 minutes de lecture

CHAPITRE 6.3


L'ENVIE DE LUI


* *

*


V.R.de.SC

30.10.22

23 : 55


♪♫ NIGHTCALL — LONDON GRAMMAR ♪♫




Sous nos pieds, les vibrations graves des enceintes palpitent en effleurements électriques contre le toit-terrasse. La pluie improvise une symphonie des matières sur le verre, le métal et le béton, étouffant les rares bruits citadins. Nos gestes et nos souffles s’effilochent en silence. Tout à l’heure, sur la piste, j’étais imperméable à l’instant, incapable d’éprouver vraiment. Merci colère — cette bonne vieille camarade toxique qui déploie son brouillard épais et obscurcit chaque pensée alors qu’on voudrait juste y voir clair. Et moi, sans extincteur interne, j’étais une braise incandescente en sursis nichée au creux d’un tas de paille, une mèche tremblante à l’agonie qui s’est livrée pieds et poings liés aux flammes. À croire qu’un édit céleste, rédigé par quelques bureaucrates divins au sens de l’humour douteux, ou par sa Majesté de la fatalité vient de m’affecter à l’embrasement sans recours possible. Vais-je m’en plaindre ? Non. Si ! Bah si. Éteins ce réflexe idiot. Concentre‑toi. Contrôle. Respire.

Maintenant que ma marée en furie s’est résorbée, je retrouve peu à peu la finesse d’un ressenti plus posé. Bon, soit, les deux trois minutes de gloire de Calme et Sérénité ont fondu au soleil de la réalité, cédant la place à Monsieur Tempête ardente, avec son cortège d’étincelles fiévreuses qui échauffent mon bas-ventre. Fidèle au rendez-vous, Fracas s’invite pour me secouer les cocotiers et lancer les réjouissances. À peine ai-je eu le temps de lui dire « je t’en prie, entre » que Paix a battu en retraite. Et qui prend le relais ? Dangereux, confus, déroutant, j’ai nommé : Désir, ce trouble-fête infatigable, champion toutes catégories du déraillement émotionnel. Parfait pour transformer les discussions constructives en missions aussi illusoires que des mirages.

Alors, je recule d’un pas, intérieurement — en vrai, faiblesse locomotrice sévère, membres inférieurs inutilisables, diagnostic sans appel. Je dois à tout prix m’économiser pour la suite des hostilités. S’il y a. Ce choc de regards et de tensions promet plus de ravages que de réconciliations après tout. Qu’il en soit ainsi : ouvrons le bal des catastrophes annoncées, que l’ordonnance céleste du chaos prenne effet !

Faux départ. À l’heure du deuxième round, mes cordes vocales se ligotent : impossible de les dénouer et donc, impossible d’envoyer paître ce… ce sacré allumeur ! Mes lèvres boycottent la consigne. Qui n’a jamais prétendu que dire non était un jeu d’enfant ?

Suspendue dans cet entre-deux douloureux, je me barricade derrière ma couverture de laine, phalanges crispées, me tortille sans le vouloir d’un pied sur l’autre, repousse d’un mouvement de nuque mes boucles mouillées par-dessus mes épaules, racle quelques miettes d’assurance dans les plis de ma silhouette. Tout pour rassembler les morceaux d’une identité éparse et faire bonne figure face à l’épicentre de mes séismes, l’incarnation brute de mes songes et de mes ruines. James.

Il articule un mot… puis le remballe. Traduction de ce petit son guttural largué en plein vol assez pour faire tressaillir ma fournaise intime : il semblerait que ce grand garçon hésite entre confession et retenue. Dans ses prunelles, je lis la guerre silencieuse des phrases autocensurées. Suis-je prête à recevoir l’avalanche ? Aussi prête qu’un chaton face à un rouleau compresseur. Allez, James, sers-moi le bûcher des regrets, balance-moi ton feu follet de prose timide, déroule ta version ratée d’un poème de John Keats. Que dit mon préféré déjà : « My heart aches, and a drowsy numbness pains / My sense ».

Moi, je brûle de hurler, d’interroger, de déverser l’indicible, mais, muraille infranchissable de cette soirée imbibée, ma bouche s’obstine à verrouiller l’émeute. Mes yeux, agents doubles de la tentation, glissent le long de l’arête de son nez jusqu’à ses lèvres charnues qu’il s’humecte discrètement. Cette invitation inconsciente fait surgir sur mes papilles le souvenir de son goût — ses goûts : la morsure salée de sa langue, la soie épicée de sa peau, l’arôme brut de sa virilité. Oh, bon sang… Je déglutis avec difficulté. Un frémissement bipolaire me contraint à rompre le contact. Ça suffit, il faut que je m’éloigne de lui — comme si reculer d’un pas allait résoudre quoi que ce soit…. Néanmoins, je le force.

— Je ne crois pas qu’amorcer une discussion ici ce soir, soit une bonne idée, murmurè-je, tremblante. Pour être honnête, ta réapparition m’a tellement secouée que j’ai du mal à réfléchir à l’endroit. Il est plus prudent qu’on se tienne à distance, James.

Il incline le menton, battu, le regard fuyant. Ses doigts effleurent vite fait le bois lustré du bar, disparaissent à nouveau. Silencieux. Son calme ressemble davantage à une déroute qu’à une décision. Cela dit, sa retenue m’arrange infiniment, inutile de le nier.

Tout à l’heure, j’ai tiré sans viser et tout s’est emballé. Les vraies questions, je les ai escamotées. Les réponses ? Je lui ai coupé toute possibilité de les formuler. Maintenant qu’il est là — ses yeux saphir cloués dans les miens, la pluie clapotant en toile de fond — je suis frappée de plein fouet par mes sentiments les plus enfouis qui déferlent, incontrôlables. L’aimer. J’aimerais juste l’aimer. Nuement. Follement. Sans barrière, sans barbelés, sans fichue autopsie cérébrale. Mais la peur se campe en sentinelle, tapie entre mes côtes.

Soudain, une onde polaire me malmène. Est-ce la morsure glaciale sous mes pieds ou cette panique sourde qui me serre chaque organe ? Difficile de trancher. Toujours est-il que ma mâchoire se met à claquer. Mon corps se délite et me lâche. Le bon sens me revient d’un coup sec : l’air est devenu trop coupant, trop chargé. Hésitation. Stop. Faille temporelle. Puis le frisson me ramène au réel : le seuil du tolérable est largement atteint. J’ai besoin d’un cocon, de chaleur, d’une présence réconfortante. Mais pas de lui. Surtout pas de lui. Lui, c’est le volcan.

— Il faut que je rentre, l’avertis-je, avec la sensation d’être écartelée dans deux directions incompatibles, et de perdre à tous les coups.

Déjà mes pas m’emportent. Déjà, son cœur me tire en arrière. Saleté de gravité émotionnelle !

— Attends, supplie-t-il.

Sa voix s’effondre sur elle-même. Il réduit la distance. À un mètre de moi, juste un, assez pour me toucher si l’envie lui prenait, il s’arrête. Je me pétrifie et l’examine : qu’est-ce que tu veux vraiment, James ? Sur ses traits, je décèle une lueur d’inquiétude. Il espère ? Il en a l’air : son regard, à mi-chemin entre la faute et la volonté d’effacer l’ardoise, semble me le chuchoter. Mais, là, je suis trop écorchée pour lui opposer quoi que soit.

— James, je…

Les mots se bousculent, brimés.

— … je suis désolée, ce n’est pas le bon moment pour… mettre les choses à plat.

Ni pour dépoussiérer les souvenirs, faire sauter des crêpes sentimentales, accoucher d’une vérité chevrotante, ou s’embrasser sous la pluie. Rien, en fait. C’est le bon moment pour rien. Sauf pour m’inventer une urgence humanitaire au Groenland.

Il soupire et ses pupilles se voilent. Les miennes s’abaissent vers le sol. Pour ne pas chavirer.

— J’ai… j’ai trop bu et puis… j’ai… tiré un joint alors… euh… j’ai pas vraiment les idées claires.

Silence. Dense. Interminable. Et surtout, pas un brin qui bouge. Quand je relève enfin la nuque, la pesanteur de son regard me glace.

— J’avais pas capté que t’étais branchée herbe. Tu consommes souvent ?

Il parle doucement, mais ses yeux, alertes, fouillent les miens.

Prise de court, je bats des cils, le temps de digérer la question.

— Euh… non… Juste de temps à autre.

Perplexité ? Irritation ? Reproche ? Je n’ai pas la clé de ces sourcils en chevron et ses lèvres pincées.

— Après, c’est pas comme si je tapais des rails dans une arrière-salle humide. Juste un bédo. Ça… ça m’aide à… relâcher, à… décrocher, tu vois ? Baisser le volume. Dans ma tête, je veux dire. Pas de quoi en faire un drame.

Je m’éclaircis la gorge, un brin gênée.

James hoche le menton, très lentement. Ce mouvement tacite pourrait presque bousculer les dominos de mes pensées. Opaque, fermé, son visage reste blindé. Rien ne filtre. Il désapprouve ? Il étudie mon cas ? Me classe ? Me jauge ? Je n’arrive pas à deviner s’il se détache… ou s’il s’attarde.

Réflexe de défense, je m’enveloppe de plus belle dans ma chrysalide laineuse et fais vibrer mon ton d’un éclat piquant :

— Tu souhaites ajouter quelque chose ou… ? Parce qu’en l’état, on dirait que tu examines mon âme avec un compas et une règle, et je ne garantis pas la conformité.

Bam ! Posture de danse guerrière, prête à esquiver, parer, riposter. J’aimerais bien qu’il choisisse vite son camp avant que je ne perde patience. Allez, beau-gosse en kilt, dégaine, que je t’assassine !

Nouveau jeu de lignes sur son front, la contrariété peinturlure ses traits, et il retoque :

— Et l’alcool, c’est… fréquent aussi ?

Mais… mais… très subtil, ce contrôle de respectabilité, là ! Du jugement, c’est la meilleure ! Je le fixe, mi-incrédule, mi-vexée. Pour qui se prend-il, Monsieur le propriétaire de distillerie ? Il fait fortune avec l’ivresse des autres et il joue à la police des verres ?

Je secoue la tête. Le vernis de mon flegme se lézarde. Quelque chose feule derrière.

— Sérieusement, James ? Ce sont les seules questions qui t’intéressent vraiment ?

Bien qu’il ne bronche pas en apparence, son silence bourdonne. Il réfléchit. Et pas à moitié. Suis-je censée sourire pendant qu’il inspecte mes penchants soiffards et fumigènes au scanner moral ? Pourquoi les hommes courent-ils toujours après la vertu des femmes ? À croire que la moindre bouffée ou gorgée mérite patrouille puis tollé, et que toute épouse en gestation qui ose respirer un peu d’air interdit est immédiatement rétrogradée de princesse irréprochable à simple mortelle déviante.

Si je picole ? Absolument. N’en déplaise à ce rustre. Et je m’en vais lui signifier !

— Oui, j’ai bu, James. Plusieurs verres. Pas un litre non plus. Quoique…

Les maths me hérissent comme un hérisson, mais, si je devais estimer, à la louche, je dirais : presque assez pour noyer un guppy, mais pas une carpe koï.

— Je tiens encore debout, si c’est ce que tu vérifies. Et mon élocution soutient l’épreuve… du moins, assez pour que l’Écossais en toi me comprenne, je me trompe ?

Un raclement de gorge en guise de réponse, voilà ce que j’obtiens.

Ronchon. Ce mec est ronchon. Taiseux aussi, apparemment, et de surcroît, soupe au lait. Mince alors ! Voilà la face cachée d’une médaille jusqu’ici méconnue. En suis-je déçue ? Oui et non. Oui, parce que ça promet du boulot. Non, parce que les imperfections rendent les gens humains.

Voyons s’il dissimule d’autres défauts dans sa panoplie de revenant pas tout à fait familier.

— Monsieur Grincheux désire-t-il une analyse approfondie de mon haleine pour réaliser un relevé détaillé de mes consommations ? le titillè-je, moqueuse devant sa mine renfrognée. Le club distribue des éthylotests à l’accueil, souhaites-tu m’en procurer un ?

Bourru ou pas, ce mec a gardé sa répartie délicieusement cinglante. Réponse du tac au tac et réponse ô combien inopinément torride.

— Ça ira. Pour ce genre de besogne, ma langue suffira amplement. Elle connait déjà le chemin.

Ah. Ah. Ah. Faudrait qu’il franchisse le champ magnétique de mon refus, primo. Deuzio, s’imaginer qu’il pourrait me cueillir comme une fleur fragile ? Il se fourre le doigt dans l’œil, et sans anesthésie. Mais quelle naïveté charmante ! La mienne, hélas… la mienne…

Je darde mon regard sur lui en signe de défi. Contre toute attente, un éclat adoucit enfin ses traits. Sa jolie fossette s’invite lorsqu’un demi-sourire étire ses commissures. Sans moquerie. Tendre. Et, moi, idiote, je soupire. Pas de soulagement. Pas d’agacement. Non. De pure fascination. Mes dents s’enfoncent dans ma joue. Pour contenir. Pour refréner. L'envie de lui.

Victoria, nom de nom ! Reprends-toi. Ce type t’a réduite en miettes. Tu comptes baisser la garde — pour ne pas dire, la culotte — parce qu’il a souri ? Je détourne les yeux, furieuse contre lui, furieuse contre moi.

— Tu es magnifique.

Son grain rauque et velouté, si agréablement calme, me soulève de l’intérieur, comme un courant d’air bien placé.

Oh, misère… Il vient de crocheter mon coffre-fort cellulaire. Parce que oui, un compliment, ça fait toujours plaisir. Surtout offert par celui qui a le don d’ouvrir mes serrures sans plus avoir besoin de toquer. Ce n’est pas la première fois qu’il me gratifie de ce genre de phrases. Ni bagou, ni coup de filet pour terminer jupe retroussée et pantalon en berne.

Malgré moi, mon corps conspire contre ma dignité. Rah la la la la, quelle nouille je fais à flétrir pour si peu ! Mes muscles se relâchent un à un, l’excitation se répand en spirale le long de ma colonne, mes défenses partent en fumée, l’amertume s’évapore par strates. Je m’accroche encore à l’illusion d’un contrôle, évidemment. Garder contenance. Ne pas fondre, là, maintenant, entre ses bras ou sous ses yeux. Mais c’est difficile. Terriblement difficile.

Ainsi, donc, poitrine en avant, j’invoque un rictus d’indifférence. Je sais que mes pupilles brillent. Bien trop. Alors j’abats la carte du sarcasme : qu’il se réfugie derrière l’ivresse pour expliquer mon délire.

— Ah. Voilà. Monsieur sourit, Monsieur parle doucement, Monsieur complimente. Tu suis un protocole de réanimation affective, c’est ça ? Et après, quoi ? Tu sors ton tartan, une flasque de whisky et tu me récites ton mea culpa ? Si tu t’imagines qu’une flatterie va colmater l’hémorragie, tu as mal évalué les dégâts.

Très très mal…

Je ferme ma bouche. Une partie de mon cerveau me tapote l’épaule : Vic, respire, tu es en train de faire une scène dans ta propre scène. Oui, oui, et je n’ai pas fini !

— Tiens, laisse-moi vérifier si mes joues deviennent rouges ou si c’est juste l’alcool…

Et là, au lieu de poser ma main sur mon front, j’attrape la sienne — oui, oui, la sienne ! — la cloue contre ma peau ardente, puis reprends :

— Regarde, je suis chaude comme une couette à deux heures du matin avec un Écossais à l’intérieur ! C’est grave, docteur ?

Haannn, mais qu’est-ce que je fais ?! Le pousser à s’immiscer dans mon espace personnel ? Quelle mouche me pique ? Yeux ronds, mâchoire contractée, sa lutte se lit dans la tension de son contact. Je relâche ce feu qui me touche précipitamment tellement il me brûle.

Sa paume se retire à son tour, un millième de seconde plus tard. Et dans ce faux départ, je capte un détail sur son visage : ses lèvres s’étirent. Hélas, ce sourire embryonnaire, fragile, interdit meurt aussitôt, comme s’il avait mordu dedans pour le crocheter. L’humeur de haute montagne retombe d’un coup, la grisaille renaît sur ses traits : Ronchon Express revient à quai. L’éclipse aura duré combien… une demi-seconde ? Formidable.

Soudain, un frôlement. L’ai-je rêvé ? Ma hanche, ses doigts ? Je baisse le regard. Ou était-ce simplement ce fichu plaid qui se fait la malle ? Plus plausible, oui. Je tente de le rattraper discrètement — posture de contorsionniste ratée incluse — et me bats avec l’extrémité qui refuse de remonter sur mon épaule.

— Très bien, parfait, merveilleux… rouspétè-je entre mes dents.

Hors de moi, je déloge l’étoffe capricieuse, la fais voltiger, puis la réinstalle avec autorité. Le claquement de tissu fouette James au passage. Il n’avait pas qu’à rester planté là aussi !

En parlant du loup… non, mais j’hallucine ! Mes pupilles alertes virevoltent jusqu’à sa bouche et y dégotent… un sourire. Complet, large, authentique. Un rayon de soleil au royaume des glaces : inattendu, aveuglant, et pourtant intraitable, face à moi, défiant tout protocole de bouderie polaire.

Ça l’amuse… Ça l’amuse ?!

— Non, mais dis ! Rigole tant qu’à y être ! me irritè-je.

Voilà que je le rejoins dans sa bougonnerie !

— La détresse des autres te réjouit-elle toujours ? lancè-je, piquante.

Ah que coucou ! Dégrisage immédiat. Il quitte sa béatitude et revêt son sérieux :

— Non pas du tout Vi, je—

— Tu m’en vois ravie, pouffè-je. Tu aurais tout aussi bien pu intervenir au lieu de te prendre pour une statue viking contrariée !

— Tu m’aurais laissé faire ?

— Non.

Ferme et définitif.

— C’est bien ce que je pensais, marmonne-t-il dans sa barbe.

— Parfait… ça t’évite de te salir les mains, c’est ça ?

Sarcasme assumé.

Il soupire une bourrasque, bascule la tête en arrière et fixe le ciel à travers le toit de verre.

Och, bluidy lass, ye dae ma heid in...[1] souffle-t-il.

La phrase s’évapore de ses lèvres comme une buée chaude, presque affectueuse malgré la consonance râpeuse de son accent, et mes reins frémissent d’un sursaut que je refuse d’admettre. Superbe : encore une onde involontaire qui me parcourt. Zut, crotte, flûte ! D’ordinaire, ces petites envolées en scots, je les ai toujours trouvées sexy. Ce soir ? Il m’agace, il m’agace, il m’agace ! J’ai juste envie de lui ôter sa diction nordique de la gorge, de plier ses sonorités de guerrier des bruyères en quatre avant de les lui faire ravaler bien bien profondément !

— Pour me grogner dessus avec ta mélodie gaélique, t’es inspiré… mais pour aligner deux explications claires en français, plus personne ? Faut les réclamer au mégaphone ou comment ça se passe ?

Ses sourcils se froncent à moitié, il ouvre la bouche pour protester… mais je l’arrête du regard. Je me renfrogne. Que dit-on souvent de moi déjà ? Que je manie l’emportement comme d’autres manient l’éventail. J’ai beau me prétendre maîtresse du contrôle, quand je perds mon sang-froid, je porte mon orgueil en broche sur le revers et ma patience adopte le fuseau horaire d’un éclair. Alors, si Monsieur cultive l’entêtement d’un aristocrate frustré, moi, je suis la digne héritière d’un caractère trop entier. Quelle paire !

Et dire que l’été dernier, tout coulait avec une facilité déconcertante : aucune dispute, aucune crispation, pas même l’ombre d’un nuage sur notre ciel clair — seulement l’évidence tranquille de deux âmes en harmonie. J’aurais pourtant dû me méfier : la perfection, si douce soit-elle, a souvent la fragilité d’un cristal suspendu. En plus, mon père m’a toujours mise en garde : les eaux calmes peuvent cacher des tourbillons sous la surface.

Et maintenant… qui sont ces deux êtres en face-à-face qui se scrutent sur ce toit-terrasse ?


[1] Roohh, satanée femme, tu me fais tourner en bourrique ! 

Annotations

Vous aimez lire D. D. Melo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0