7.3 * JAMES * OMBRES ET FEU
J.L.C
30.10.22
00 : 40
♪♫ ??? — ??? ♪♫
Crac. Super. C’était mon cœur, au cas où quelqu’un se demanderait d’où venait le bruit. Je savais que dire « je t’aime » finirait mal. Juste… pas en crash d’avion interne.
Je reste planté là, bouche bée, myocarde pulvérisé façon vitrail brisé. Faudra prévenir le vitrier.
Incapable de bouger un atome, mon cerveau fait écran bleu, mes membres décrochent, prise d’alimentation éjectée. Je suis devenu meuble. Littéralement.
Ma furie tout feu tout flamme capitalise sur ma lézarde émotionnelle et ses doigts forcent la boucle de ma ceinture : tintement métallique, sang qui pulse dans mes tempes. La braguette se rend dans un crissement obscène. Même ma dignité est descendue avec. Aucun muscle ne bronche. J’inspire à peine, coincé entre un reniflement planqué et un râle pété. Seule me touche la dague incandescente de sa rancœur, transperçant la sphère de sincérité que je venais de souffler.
Ses ongles scalpent la peau au-dessus de mon boxer, tressent des frissons sous-cutanés. Mon crâne a beau être en chute libre, mon corps, lui, ressent encore. La pluie pilonne toujours la baie de verre : l’univers n’a pas coupé le son, ni plié bagage, ni même pris un café pour réfléchir. Moi, je flotte hors cadre, témoin fantôme de mon propre déshabillage. J’observe la plus belle femme au monde extraire ma hampe gonflée, l’emprisonner entre ses paumes soyeuses, la contempler tel un trésor retrouvé qu’elle rêve de dévorer, expirer puis planter ses dents dans sa lèvre inférieure… Tout ce que j’éprouve : un blanc sidéral. Une stalagmite de dégoût et de tristesse s’est durcie au fond de ma gorge. Victoria me touche et je disparais. On appelle ça comment déjà ? Une éclipse du soi ?
Chacune de mes pulsations scintille façon néon détraqué : je t’aime, je t’aime, je t’aime…, griffonné en boucle sur les parois de mon être, à l’encre qui bave, à l’encre qui saigne. Et mon credo se heurte à l’abîme de son ordre cru : « Baise-moi ».
Victoria se hisse sur ses appuis, ancrée face à moi, souveraine, volcanique, férocement digne. Si c’était un procès, je viendrais de perdre la garde de mon âme tellement son feu intérieur brûle mes défenses neuronales. J’aurais beau lutter, sa perfection me prive de tout recours possible.
D’un mouvement fluide, elle remonte sa robe haut sur son ventre, dévoilant ses cuisses luisantes, la courbe gracieuse de ses hanches, la naissance de son tatouage à l’aine, son petit nombril allongé. Le tissu mouillé s’amasse à sa taille, lourd du souvenir de la pluie.
J’ai les mains fatiguées, la respiration figée. Mon esprit est toujours embourbé dans ce gouffre interne, mais mes yeux, eux, refusent de cligner, scotchés, façon ado accro à sa pag web clandestine. Je la bois du regard, pendant que mon cœur tambourine à la révolte. Ses pouces agrippent l’élastique de son shorty noir, qu’elle fait glisser d’un balancement félin. Le coton détrempé épouse ses formes, résiste un instant avant de céder et de s’échouer au sol. Son anatomie se révèle, humide et lisse. Naturellement, mon sexe tressaute — il reconnaît l’antre où il veut mourir et renaître toute la nuit. Faut croire que lui et moi, on vit pas dans le même drame.
Sa robe roulée sous sa poitrine, Victoria m’enjambe et revient me chevaucher, peau nue sur la mienne, corps offert sans détour. Je sens immédiatement la moiteur de son désir effleurer ma base. Autoroute directe vers la catastrophe… J’aimerais parler, mais ma gorge est nouée par un mortier d’émotions contradictoires. Et puis… parler ? Je suis déjà chanceux de pas baver. Une impulsion mineure fait vaciller ma paume qui se débat dans l’indécision avant de retomber résignée sur le moelleux du canapé. Paralysé entre le besoin de l’arrêter et celui de disparaître dans son étreinte, je me sédimente dans mes propres ruines.
Toujours si ensorceleuse et résolue, ma sirène se courbe sur moi, ses seins fricotent avec mon torse, sa bouche frôle l’angle de ma mâchoire, son souffle chaud et entêtant chatouille mon oreille. Tequila acérée, menthe glaciale, et dessous, ce sillage incisif, charbonneux, torréfié par l’orage qui déchaîne mes perceptions. Sans que je puisse lutter, mes yeux se ferment, trahis par un frisson d’intensité. Alors, je sens ses doigts agripper mon menton et sa main de fer m’oblige à plonger dans son regard. Ses pupilles — deux abysses insondables, noires et concentrées, presque absentes elles aussi — me jaugent-elles comme un bonus ou un ennui transitoire ? Fait chier. C’est peut-être ce poison qui me tue le plus : cette impression qu’elle joue pour prendre, non partager ou construire. Une question me brûle soudain : si elle se fiche de mon amour, quel sens donner à un coup tiré foutu d’avance ? À quoi bon coucher avec elle ? Des filles à baiser, ouvertes aux passes sans lendemain, y en a à la pelle. Évidemment, Victoria les surclasse toutes par sa beauté, sa sincérité, ce je-ne-sais-quoi qui me ferait décrocher la Lune. Pourtant, des plus sûres d’elles, plus délurées, plus expérimentées, je pourrais en avoir sans peine, sans me briser la voix à dire je t’aime.
Ce n’est qu’au contact de sa poigne conquérante, s’abattant avec fermeté sur ma queue — prête à m’orienter droit en elle — que la lucidité me percute comme un retour de boomerang. Ma langue se délie :
— Arrête !
L’ordre éclate, sauvage et suppliant. Je réagis avant de réfléchir : brusque torsion de son bassin, mains en barrage, je la repousse sur le côté. Ses yeux s’écarquillent, incrédules. Dans un ballet nerveux, je remballe précipitamment mon paquet, remonte le boxer, zipe en vitesse, reclipse la boucle. Autant d’actes maladroits, de mouvements presque honteux qui trahissent mon désarroi. Recourbé sur moi-même, je m’efface un instant, plaque mes paumes sur mon crâne et mes coudes sur mes genoux. Bon sang… Elle était sur le point de s’offrir à moi, vulnérable, sans même se préoccuper de se protéger. Depuis quand Victoria joue-t-elle sa peau de la sorte ? Elle fait ça souvent, baiser sans se soucier des conséquences ? En plus de la picole et la défonce ?
Je rassemble mon courage et relève la tête : elle s’est recroquevillée sur elle-même et j’essuie le tir nourri de sa surprise blessée.
Tel un gong assourdissant, le silence entre nous tonitrue. Cloué sur la croix de ma propre réticence, je l’interpelle d’une voix brûlante :
— Vi, t’allais coucher avec moi sans capote… tu as pensé à ce que ça impliquait ?
— Je… je…
Une fissure. Je l’entends craquer, là, sous son hésitation. Un demi-gémissement étranglé, écho d’un sanglot avorté, tout en nerfs et en feu, s’échoue de sa gorge. Elle referme les bras sur sa poitrine, chancelle, comme si je venais de lui ôter le sol sous les pieds.
— T’es vraiment pas en état. Ou alors t’es devenue totalement inconsciente.
Sur ses traits, la réalité se grave en filigrane : elle percute et c’est brutal. Eh merde. Pourquoi j’ouvre la bouche ? J’essaie de la protéger ou de la punir ? Quel con ! Parfois, dans la vie, on appuie sans le capter sur la seule plaie encore palpitante — et l’instant d’après, plus rien n’endigue le saignement.
— Inconsciente ?!
Sa voix claque violemment. Bravo, James. Feu, poudre, allumette.
— Pour qui tu te prends ?! Tu crois avoir une quelconque autorité sur moi ?! Ou le droit de me juger ?!
Elle bondit du canapé, fléchit sous la colère, puis empoigne sa robe qu’elle déroule sur sa nudité.
— Tu me bazardes ton rejet en pleine face, et maintenant tu me causes comme à une gamine ?! J’ai paniqué, OK ? Je pensais que si on… que si on... couchait, eh bien, ça gommerait… ton absence et.. et tout ce bordel !
Ses bras se crispent, elle presse ses paumes contre ses tempes.
— J’ai la tête en vrac, j’ai besoin de sentir que je compte encore, qu’on me prouve que j’existe. Et toi… toi... toi tu me repousses !
Du plat de la main, son geste accompagne sa parole : elle m’envoie valdinguer en arrière. Je recule sans mot dire. Pas par réflexe, par respect. Une baffe, un crachat ou un poing, j’aurais tout enduré pareil, sans résistance.
— Tu t’imagines que je fais ça souvent, peut-être ? Jouer les idiotes en chaleur, prête à grimper sur le premier venu sans l’ombre d’un scrupule ? J’ai qu’à tester la théorie tout de suite, tiens ! Deux étages plus bas, y a une file d’attente. Je descends, je tends la main, et j’en ramasse un au hasard. T’en penses quoi ?
Elle est folle ou quoi ?!
— Pas quest –
— Je dénicherai bien un volontaire ravi de prendre ta place, non ? me coupe-t-elle, provocante. Les candidats ne manquent pas, tu sais, et ils ne feront ni la fine bouche, ni la morale, comme toi !
— Pas question qu’un autre te touche ! Même pas en rêve.
Aucun enculé vivant sur cette planète ne la revendiquera sans me trouver sur son chemin. Pas tant que son nom grésille dans mes veines, que son souvenir tient mes nerfs en joue, qu’elle orchestre chacune de mes pulsations — loi martiale. J’ai l’air du crevard jaloux et possessif ? Je m’en bats les couilles.
— Oh, pardon, Monsieur a marqué son territoire ? Tu m’estampilles « propriété privée » ? Adorable. Tu comptes pisser autour de moi, m’attacher à un piquet et grogner sur les passants ?
— Ouais… comme un putain de chien de garde mal élevé !
Elle déborde. Moi aussi. D’amertume, de rage, de cette fièvre contractée quand le cœur encaisse gifle sur gifle. Ses yeux crépitent, ses bras se croisent. Elle a la rancune d’un cyclone et le souffle d’un volcan. Et moi ? J’ai pas fini.
— Tu m’annonces, tranquille, vouloir aller t’envoyer en l’air avec un autre, gesticulè-je, hors de moi, et tu… tu t’imagines que je peux l’entendre et continuer à respirer normalement ?
Elle ricane, puis vacille d’un millimètre : chuchotement aigu, thorax qui se vide, larme écrasée à la hâte avant la cascade. Ce frémissement minuscule — vu, ravalé, nié — trahit la panique sous la carapace acide. Elle est l’alliage improbable de la force brute et de la fragilité nue. Alors, pour colmater la brèche, elle bombe le torse, renverse la tête et m’assassine, venimeuse :
— Fallait verrouiller le contrat avant de céder la licence, chéri. Mais ne t’inquiète pas, j’aurai une pensée émue pour ta vanité quand je jouirai.
Foutre de Dieu ! Jouirai ?! Jou-i-rai ?! Je t’en foutrai de la jouissance, moi ! À t’en faire perdre la tête !
Annotations