7.5 * JAMES * PARFAITE
CHAPITRE 7.4
PARFAITE
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J.L.C
30.10.22
00 : 40
♪♫ ??? — ??? ♪♫
Prête à détaler — sans sa culotte qui plus est ! — la voilà qui pivote. J’agis au quart de tour, me projette, l’agrippe par la taille et la plaque contre moi avec une énergie qui me surprend moi-même. Mes bottes raclent le plancher en teck. Merde, j’ai encore sorti la méthode bulldozer… Zéro subtilité. Pas mon meilleur moment diplomatique, mais bon…
Son dos frappe mon buste, ses bras se débattent un instant, tentent d’échapper à mon hold-up corporel façon sangsue paniquée et un poil en rogne, mais je la bloque contre ma poitrine en mode soupape hurlante.
— S’il te plait, ne fais pas ça, Vi…
Mon souffle incendie sa nuque, mes mains vibrent contre son ventre. Elle respire vite, ses muscles frémissent. Moi ? Je bous, je calcine, je bande parce qu’elle est flamme, tempête, mon foutu équilibre qui déraille. J’essaie pas de la carboniser sur place, hein, mais mon volcan interne me grimpe déjà dans la gorge. Éruption imminente dans 5, 4, 3...
— Tu crois que je veux pas de toi ? Victoria, je viens de te dire je t’aime et regarde ta réaction !
Sa queue-de-cheval détrempée fouette mon menton à chaque négation silencieuse de sa tête. Puis, son cou plie vers le sol, ses paumes enlacent mes avant-bras. Elle ne parle pas. Et moi, je me sens monstrueux, énorme, brutal, alors que j’espère juste la garder près de moi…
Je retiens ma douleur entre mes mâchoires. Comment lui faire comprendre que, le jour où je l’ai lâchement envoyée bouler, mon cœur s’est tiré une balle, ma carcasse s’est décomposée, mon âme s’est vautrée dans la honte et la crasse, gueule contre le bitume ? Que ce putain de matin où je me suis réveillé nu à l’hôtel avec Elaine à mes côtés, a tué mes espoirs dans l’œuf et réduit notre avenir à peau de chagrin ? Quelle femme encaisserait d'avoir été reléguée au placard sans rien dire ? Pas Victoria : son feu en cage ne le permettrait pas. Et son feu en cage… j’ai déjà vu une étincelle d’elle raser un ego plus solide que le mien. RIP mes bijoux de famille... Parce qu'au moment où je lui balance la vérité sur ma gloutonnerie psychotrope et, par ricochet, mes virées en levrette, même si je la convie à un barbecue de regrets, elle me décapsule vivant, me broie en confettis masculins, et m’expédie en orbite sans fusée.
Désormais, mes vieux démons, exfiltrés de leur cave humide, affamés, carnassiers, ravis de reprendre le festin, me décapent de l’intérieur. Je les ai laissés réaménager leur tanière, c'est vrai, je plaide coupable. Sauf que ce coup-ci, je n’ai pas sifflé le rappel ! Pas en mon âme et conscience. De toute façon, ça ne change rien. J’ai un bail à vie avec cette merde. Même clean, le désordre me mâche et me recrache jour après jour. Longtemps avant la lame d’Amy.
Je refuse de croire que mes désirs sont condamnés à flairer la garce. D'ailleurs, je refuse cette étiquette pour Victoria tout comme je refuse de la précipiter dans ma fange. Ma brillante stratégie — pure ironie — consistait à décrocher, me sevrer avant de reprendre contact avec elle, et, surtout, faire le tri entre obsession et vérité, voir si mes sentiments gagneraient en limpidité, en stabilité… Raté. Plus que raté même. Sans grande surprise, me voilà noyé jusqu’au cou. Aspiré dans l’œil du cyclone. Plus moyen de temporiser ni faire marche arrière. Faut assumer. Si je me débine encore, c’est pas juste moi que je crame — je l’entraîne elle aussi. Et elle a déjà l’air en ruines.
Ce soir, la fille dont je suis amoureux est à l’envers, éparpillée, à mille lieues de l’icône intrépide aux nerfs d’acier que j’ai découvert sous le soleil de juillet. J’y comprends rien. L’alcool n’explique pas tout. Pourquoi elle semble étrangère à elle-même ?
Mon torse reste collé à sa silhouette fragile, mais j’atténue la cage de mes bras. Chaque battement de mon cœur cogne son S.O.S contre ses omoplates. Elle doit le sentir, non ? Mes mains remontent sans bruit, de son ventre vers les arcades osseuses de ses côtes, bordent ses flancs d’une douceur protectrice. Faut pas qu’elle se dérobe. J’ai besoin d’elle — et je commence à avoir peur de moi, de mes réactions, de perdre les pédales. Travestir ma tendresse en piège, m’enrouler autour d’elle pour qu’elle cède, pas la bonne méthode et pourtant... Ce que je veux n’a de valeur que si elle le veut aussi. Parce qu’aimer, rien à avoir avec un jeu de pouvoir, mais une danse qu’on choisit à deux, à corps et cœurs égaux.
Je baisse la tête, presse mes lèvres dans la masse humide de ses cheveux, là, juste au-dessus de son oreille. La fraicheur abricotée mord ma bouche. Je ferme les yeux. Elle sent le sel marin, la nervosité, et un écho de shampoing tout doux.
— Vi… qu’est-ce qui t’arrive ? J’ai du mal à te reconnaître…
Ma paume débusque la sienne, rigide, glacée. Je m’y accroche, tisse nos doigts un à un dans un murmure tactile. Mon autre bras cerne encore sa hanche. Elle peut partir si elle le souhaite.
Victoria ne bouge plus. J’attends. Son souffle tremble. Moi pareil.
— Tu t’y prends trop tard, James. J’ai plus confiance. Ni en toi. Ni en moi quand t’es là.
Merde… je l’ai vraiment flinguée jusqu’à ébranler ses fondations ? Nice work, ye absolute genius, ye’ve outdone yeself. Ye actually managed tao dig a crater richt intao her heart big enough for a Highland cow tae fall in.[1]Mes conneries ont transformé une étoile radieuse en une battante brisée qui doute de sa propre lumière ?
Je sens la sentence arriver, sans qu'elle ait besoin de me faire face. Sa réaction remonte en elle façon grondement étouffé.
— Tu... tu débarques ici, comme si tu... comme si tu avais le droit… Comme si tu n’avais pas tout anéanti derrière toi. Tu estimes qu’un « pardon » peut recoller ce que tu as réduit en poussière ? Abracadabra, le passé s’efface, la douleur s’évapore et l’amour nous rabiboche ? Han-han. J'y crois autant qu'au Père Noël, James.
Fuck ! Quoi répondre ? J’ai pas de baguette magique, putain ! Rien d’autre que mes mains tâtonnantes, criblées d’impuissance, mes tripes en l’air, un cœur éclaté et la gorge pleine de venin toxique. On a flirté avec la perfection, elle et moi, à deux grains de sable du jackpot avant que je me prenne pour une boule de démolition et appuie sur le bouton « ouverture du gouffre ». J’ai atomisé nos bases, trahi la seule âme qui a fait vibrer la mienne depuis des lustres — si ce n’est depuis toujours — et voilà où ça m’a conduit : à replonger dans cette saloperie de coke. Alors non, je ne peux pas redresser ce chaos d’un tour de poignet.
Malgré tout, renoncer à elle ? Un scénar que ma carcasse et ma caboche veulent pas exécuter. Ce serait m'amputer de ce qui tient encore debout, arracher la racine même de mon instinct. Y penser suffit à m'étrangler de l'intérieur. Après avoir re-goûté le miel de ses lèvres, re-respiré la brise enivrante de sa peau, re-ressenti chaque frisson projeté par nos corps liés. Maintenant que je vis dans la même ville, arpente ses rues, marche à quelques encablures de son monde, à portée de ses sourires et de ses éclats, comment je pourrais lui faire faux bond à nouveau ? Je suis foutu. Partir n’est plus une option. Elle m’a remis le grappin dessus — direct dans le cœur. Irrévocablement.
Mes phalanges se contractent sur sa paume, serment discret d’aller au bout. J’ai déconné, oui, mais je vais reconstruire et repeindre notre histoire à nos couleurs. Ce soir on m'a planté devant le fait accompli sans préparation ou avertissement. Si je me tire pour ressortir du bois dans quelques mois sans explications, elle me claquera la porte avec un fracas qu’on entendra jusqu'aux oreilles d'un moine tibétain en pleine méditation sur le toit du Potala à Lhassa. Est-ce que j'oserais lui demander de patienter sans dévoiler le pourquoi de ma fuite ? Pur égoïsme. Elle m’en voudra à mort de lui cacher cette part de moi. J'ai pas d’autre choix que de parier ma chemise sur son amour, sur cette flamme qui brûlait entre nous. Parce que, si elle m’aime pas assez pour accepter l’énorme poutre qui me traverse l’âme et les ténèbres qui m’avalent tout cru, alors je n’aurai jamais de seconde chance. Jamais. Encore faudra-t-il lui avouer le couteau planté dans le cœur de notre histoire… et prier qu'elle passe l'éponge dessus.
Nos silhouettes se confondent dans l’ombre, collées l’une à l’autre. J’entends son souffle, court, saccadé. Son poids contre ma hanche vacille — un soubresaut me parcourt. Mon propre équilibre menace de rompre.
— Laisse-moi me battre pour nous, Vi. Je ramasse chaque morceau que j’ai cassé et je les remets à leur place, d’accord ? Même si ça doit me pourrir l’âme pendant des années.
Ses doigts serrent les miens un peu plus fort — pas un geste franc, mais assez pour m’atteindre. Rien que le fait qu’elle tienne encore ma main signifie beaucoup à mes yeux. Vu mon score en reconnaissance d’opportunités, une ouverture dans sa muraille même minime ? Je prends.
— Dis-moi juste ce dont tu as besoin. De silence ? D’espace ? Des garanties ? Je ne te quitte plus, Vi. Pas cette fois. Je campe ici, au seuil de ton monde. Si tu veux de moi…
Sa cage thoracique se soulève sous le tissu tiédi de sa robe. Un soupir s’échappe — fragile, râpeux, comme si parler allait lui coûter trop cher.
— J’ai cru que j’étais pas assez. Pas assez belle… pas assez forte… pas assez importante pour que tu veuilles vraiment de moi.
— Hé, non, non… dinnae say that, mo chridhe[2].
Avec précaution, je la retourne dans mes bras. Ma paume cherche la douceur de sa hanche, s'y pose L'autre suit le chemin familier derrière son oreille, incline nos fronts. Ses yeux d’or, inquiets, brillants, m'attrapent au lasso de son désespoir.
— T’es belle à me foutre à genoux, Vi. T’es taillée dans du feu et du vertige. C’est moi qui n’en vaux pas la peine, pas toi. Toi… t’étais, non, t’es parfaite.
Les sourcils ourlés d’ombre, elle débite tout à coup, l’air plus énervé que jamais :
— Je ne suis pas parfaite. Je ne veux plus jamais entendre ce mot sortir de ta bouche à mon sujet. Pas ce mot. Pas parfaite. Il ne signifie rien pour moi. Il ne m’appartient pas.
Son regard s’encre. Plus rien ne s'en dégage. Un mur se dresse soudain entre nous et même le silence relatif de la pluie autour de nous paraît changer de texture. Sa voix froide, ciselée par la douleur, m’a éraflé les côtes. Qu’est-ce que j’ai dit de si grave, bon sang ?
[1] Bon boulot, espère de génie, tu t'es surpassé. T'as réussi à creuser un cratère assez grand dans son cœur pour y faire tomber une vache des Highlands.
[2] ne dis pas ça, mon cœur.

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