7.2 * JAMES * BRAGUETTE EN DÉTRESSE
J.L.C
30.10.22
00 : 30
♪♫ ??? — ??? ♪♫
Je traverse le rooftop à grandes enjambées, la flotte dégorge de mes vêtements à chaque pas. Slalomant entre les îlots lounge, les tables en teck constellées de gouttes, un labyrinthe végétal fait de vases XXL soutenant des arbustes exotiques dont les feuilles luisent sous les lampions, je nous mène vers la zone plus reculée de la terrasse, là où une pergola d’acier se prolonge sous un dôme de verre. Un large sofa d’extérieur couleur désert miraculeusement intact nous tend ses coussins. J’y dépose Victoria. Canapé, fais honneur à ta vocation.
Pas le temps de faire les présentations : ma mini-tornade touche à peine l’assise qu’elle m’agrippe le col et m’enfourche, claque ses genoux contre mes cuisses, et déploie le plaid sur nos têtes. Son corps prend la barre : elle cueille mes lèvres dans la seconde, vole mon retour d’oxygène, trouve sa place. Y a des orages qu’on attend toute sa vie sans le savoir.
D’un coup, plus de décor, rien que mes côtes incendiées par le brasier compact de sa silhouette. Tout mon champ visuel se contracte à ce petit bout de femme emmitouflé, cheveux ruisselants, perles d’eau cramponnées à ses cils. Son bassin s’ajuste, appuie, rejoint l’orbite insatiable qui l’implore depuis l’aube du manque. Mes mains cernent sa ceinture, glissent sous la robe mouillée, recouvrent ses jolies fesses rebondies. Même pas sûr que j’aie le droit, en vrai.
On est deux éponges humaines et, dans cet état, mauvais ratio pour réchauffer qui que ce soit. Reste une option : faire sauter fermoirs et boutons. Sauf que voilà : se retrouver à poil sur le toit‑terrasse d’un night-club, accès verrouillé ou pas, c’est coton. Et puis soyons lucides deux secondes : si cette déesse finit nue sur moi, dans cette position, avec ses yeux vissés aux miens, ses seins écrasés contre mon buste et ses hanches prêtes à dégainer… le bouton pause n’existe plus. Je la prends. Là. Profond. Avec toute la détresse qu’elle attise et l’amour que je tente de contenir. Mais merde… museler ce feu qui me crève les veines, l’enjeu est démentiel. D’un côté, l’instinct : lui faire l’amour. En contrepoids, l’impératif : éviter qu’elle se brise. Coincé entre fièvre et conscience, je reste gardien. Parce que ma sirène est bien éméchée. Et que, si je franchis ce seuil maintenant, même avec tout l’accord du monde dans ses gestes, malgré ses gémissements, ses supplications, je cours le risque de lui causer une nouvelle blessure.
Mais… m’abstenir relève du supplice : chaque note qu’elle fait vibrer sur moi m’enlise plus bas et je rame à contre‑courant. Ou à contre nature… Ses paumes tracent des itinéraires sensuels de ma nuque à mes épaules, reviennent se lover derrière mes oreilles. Je mime son murmure tactile. Mes doigts harponnent sa queue de cheval, suivent la colonne de ses frissons, dérivent dans le creux fragile de ses reins. Fragile, mon œil : elle propulse les aiguilles au rouge droit dans le coeur du réacteur, et moi, je feins le calme, impassible, alors qu’elle me rôtit jusqu’à l’os, pavillon auditif inclut. Ses petits bruits de gorge, là ? Une putain d’embuscade sonore : ils me flinguent la vertu à bout portant. Franchement, si je me concentrais uniquement sur ses soupirs… y aurait moyen que je jouisse sans qu’elle me touche. C’est dire l’état du mec.
En vérité, ma volonté hurle pour une jonction véritable, une union brute. Mes lèvres se languissent de redécouvrir ses sillages et de croquer à nouveau ses sentiers secrets. Ce tempo lascif qu’elle nous impose ? Une torture. Sa langue tourbillonnante, ses respirations de velours, ses ondulations — sur mon torse, mon ventre, ma queue bandée et captive — me déchirent avec une douceur cruelle. Le cœur battant tambour, mes nerfs sur la ligne de crête, chaque friction de nos corps ravive la forge de ma passion. Bien sûr que je crève d’envie de l’engloutir tout entière à pleines mains, mais, je me plie à la loi de ses hanches et à leur bercement exaspérant, car je refuse qu’elle s’imagine que je suis ici pour posséder. Si cette femme me condamne à l’immobilité jusqu’au lever du jour, je m’exécute quoi qu’il en coûte. Point. Qu’elle me serre à m’étrangler, qu’elle se perde ou m’efface : je prends tout. Pourvu que je demeure près d’elle. En ce qui concerne le sexe par contre, je maintiendrai le cap. Pas tant qu’elle n’aura pas décuvé. Pas tant que je ne verrai pas, dans ses yeux clairs, qu’elle assume totalement ses actes. Entre manque et ivresse, elle n’est pas elle. Donc non. Définitivement non. Je me contenterai d’être là. Présent. À portée de cœur, pas de reins.
Putain… sauf qu’elle, elle a déjà enclenché la quatrième. Et moi, je plante les crampons, son appétit braqué tout droit sur ma braguette.
Avec la délicatesse d’une cambrioleuse des sens, Victoria désarme mes boutons : un, deux, trois — ma chemise capitule. Deux paumes ardentes se posent sur mon torse glacé, éveillant chaque centimètre carré de mon épiderme au frisson du contraste. Nom de Dieu, on dirait qu’elle me passe un courant haute tension sous la peau. J’en ai le palpitant qui cale. Sa bouche colonise ma mâchoire, se faufile dans mon cou, descend le long de mon tatouage avant d’établir son campement au-dessus de ma cage thoracique, piégeant mon pouls en déroute.
Pétrifié par ses éclairs de luxure, je bloque l’air, puis l’expulse, crâne en arrière, paupières plombées, dos échoué contre le coussin, mains à plat sur l’assise — bordel, halte au séisme. Le plaid, parfumé de tiédeur, de désir, d’un rien de menthe, retombe en demi‑cercle autour de nous. J’inspire, expire, enlace la retenue, la gouvernance, l’instant. Je me retrouve avec le cul entre deux volcans et y a pas de crème solaire pour ce genre de chaleur. D’un côté, je me répète : « Tranquille, vieux, c’est juste du corps à corps thermique, tu gères. » Spoiler : je gère que dalle, c’est elle aux commandes. De l’autre, je me maudis : garder la bride tandis qu’elle glisse plus bas, c’est vouloir dompter un ouragan avec un lasso — mission suicidaire.
Le dernier bouton succombe enfin sous ses doigts habiles, elle déloge les pans de ma chemise, les repousse sur mes flancs. Je devine ses intentions : elle défait les barrières. Et dire que je vais devoir l’arrêter ! Mon unique contre-attaque : la patience.
Langue légère, dents taquines, elle poursuit son voyage buccal le long de mes pectoraux, de mes côtes, goûte le sel de la pluie mêlé au mien, soupire lorsque mes abdos tressaillent au contact espiègle de ses griffes. L’embrasement gagne du terrain, quand, de ses lèvres humides, elle dessine une piste de feu vers mon nombril, puis dévale au-deçà. Elle se fige sur la bosse tendue sous le tissu, y imprime un baiser lourd de promesses — zone rouge, drapeau noir. Évidemment, cette diablesse semble avoir un plan précis derrière la tête. Bon sang… Stop ou amen ? Je me connais : d’habitude, à ce carrefour, je vote pour le péché à l’unanimité. La voix de la raison s’égosille dans un mégaphone crevé quelque part au loin. Entre le pour et le contre, je fais donc appel au comité d’éthique.
— Victoria…
Pour toute réponse, je reçois un grognement suggestif et un mordillement sur l’arc de mon bassin. Elle m’allume jusqu’à la démence et mon self-control couine déjà — un chouia de plus, du genre son souffle sur ma verge en détresse et l’inondation jaillit.
— Vi…
Elle m’a entendu, hein. Je parie qu’elle percevrait ma respiration à travers une vitre, mais là ? Comme toute bonne tentatrice qui se respecte, Madame pratique l’oreille sélective.
Au moment où elle s’apprête à me débarrasser de ma ceinture, j’invoque la discipline, me cramponne à la sobriété et redresse son visage vers le mien.
— Pas maintenant, mo chridhe.
Elle rechigne, un mmh revêche franchit ses lèvres. Telle une louve privée de proie, ses phalanges refusent de lâcher la boucle.
— J’ai envie de toi, moi, marmonne-t-elle clairement frustrée et… ivre.
Ça tombe bien : moi aussi, et pas qu’un peu. Mes radars saturent, la NASA doit déjà tracer nos signaux. Désirs alignés, alcool possiblement au même taux — sauf que, moi, j’essaie vaguement de faire le tri entre pulsion orgasmique et décence élémentaire. Pire équation du siècle sérieux !
La fougue d’une deuxième tentative la repique : ma prédatrice revient à la charge, déterminée à venir à bout de la lanière en cuir. Étonné moi-même de devoir résister pour la première fois de ma vie à l’offensive charnelle d’une femme, et complètement touché par la flamme sauvage qui danse dans ses pupilles, je lui saisis les poignets et bloque son élan.
— Hey, dinnae rush, love...[1]
Bon, avant de chercher à la calmer elle, faut peut-être que je dégivre mon propre cardio…
Elle ronchonne, mi-capricieuse, mi-farouche. Une vraie teigne délicieuse, insatiable et bornée. Et moi, abruti raide de désir, je tiens ma ligne comme un soldat sur une corde tendue.
— Heureusement que je te connais pas timide. Tu veux que je te signe un ordre royal pour bouger ?me chambre-t-elle.
Comme avant, elle me régale avec ses piques : j’ai une envie folle de lui répondre du tac au tac. Je m'asbtiens pourtant.
Sa bouche se tord, faussement fâchée, comme une gamine qu’on priverait de dessert. Puis elle lève le menton, insolente.
— Une fois, je laisse passer. Deux fois, je prends sur moi. Trois fois… je te déshabille de force et je te balance au milieu du club avec ta gaule de moine guerrier, compris, l’Écossais ?
Bordel, si elle savait la pression sous la vanne ! Et moi, j’ai la foutue prétention de jouer au sage ?
Je libère ses poignets et ma paume atterrit sur la courbe de sa joue, distillant à la fois tendresse et autorité :
— Regarde-moi une seconde.
Et là, nos prunelles s’arriment, aimants jumeaux. Le choc silencieux et magnétique me rappelle que ce qui subsiste entre nous, ce lien, cette alchimie, ce désir de l’autre n’est pas un hasard, mais une évidence gravée à même nos cellules.
Un ressac enfiévré me bourre le pharynx d’une lave mouvante, brûlante que mon âme identifie d’un claquement de cœur. J’allonge ma main et happe sa nuque chaude. Pas pour la contrôler, non. Pour la garder. Mon pouce caresse sa peau, puis invite son corps à se coller au mien. Front contre front, nos haleines s’enlacent en un même nuage tiède. Son nom s’échappe de ma gorge en un souffle discret, avant que nos lèvres se scellent pour fixer l’émotion qui menace d’éclater au grand jour.
Au terme d’un interminable duel buccal, Victoria libère nos soupirs embrouillés. Ses yeux flambent d’un éclair que je reconnais de suite : cette fougue qui, il y a cinq minutes à peine, promettait de faire fondre la nuit à notre mesure. Et merde, elle n’est toujours pas calmée… La voilà qui se cambre, haletante, pupilles noyées, en quête d’air, puis me ratisse du regard comme si j’étais sa seule source d’oxygène.
Sa voix fend la pénombre, rauque d’urgence :
— Ne m’oblige pas à me répéter, James.
Ses ongles s’enfoncent dans la peau de mon cou sans douleur, mais assez pour graver son désir pugnace.
— Ni à te supplier.
Sa langue effleure la mienne avec malice, tandis que ses mains sculptent mon visage en refuge.
— Je te veux.
Comment lui dire que je ne souhaite rien de moins que plonger en elle sans la moindre corde de rappel ? Cette fille est un incendie et mes lèvres portent l’empreinte de ces flammes depuis notre premier baiser en juin dernier. Pourtant, je freine direct, parce que Dieu… je brûle d’un appétit qui dépasse le vouloir brut. Si j’en avais le pouvoir, je la scellerais à moi à tel point que nul joint, nul interstice ne survive. Je l’imbriquerais jusqu’à l’indistinction, infuserais mes os, mes synapses, mon identité tout entière en elle — osmose totale. OK, procédure un peu invasive, voire méthode cannibale, j’en conviens et j’assume. Il ne s’agit pas de la consumer en passant, non. Mon corps, mon coeur, mon âme se sont ligués et l’ont choisie et je prie pour que rien ni personne, ni l’ombre d’un autre, ni le destin, ne puisse me l’arracher un jour.
— James ? Dis quelque chose…
Je cligne enfin, décolle mon regard de son ventre.
Mains verrouillées à ses hanches, souffle au bord du précipice, j’articule :
— Vi, mo leannan, je capte ton envie plus que bien. Mais… t’es pas tout à fait… sobre.
Elle glousse, griffe mes abdos, vient nicher sa bouche contre mon oreille :
— Toi non plus, Highlander. Le whisky qui traîne sur ta langue, je l’invente pas.
Bien sûr que ma sommelière sensorielle m’a grillé. Dois-je confesser qu’elle me rend fou, scotch ou pas ?
— Écoute… demain, je préfère que tu te souviennes que c’était nous, et pas l’alcool.
— On a déjà fait l’amour pompettes James, rien de nouv –
— Si, justement. Ça fait des mois qu’on s’est pas vus, Vi. Des mois qu’on n’a pas… euh... qu’on n’a pas…
Elle arque un sourcil en me dévisageant.
— Qu’on n’a pas… couché ? Eh bien, qu’est‑ce qu’on attend ? Un feu vert de Météo‑France ?
— Non, Vi. Je te parle de… de nous remettre à l’endroit avant –
Son doigt me plante un « tais-toi » juste entre les côtes.
— Les mots ? Les rires ? Le regard frontal et les aveux ? Oui, t’as raison. Demain, d’accord ? Là, l’unique constat que tu devrais faire c’est que le thermomètre descend et que ma fièvre monte.
Conclusion : je suis son bouillotte-boy attitré. J’aimerais être… autre chose.
Sa bouche escalade à nouveau mon cou, s’y déverse en un raz-de-marée chaud. Mes vertèbres s’évaporent une à une. Elle me détricote avec la langue.
— Tu m’as manqué, James.
Allez, bim. Trois mots. Et moi, décomposé, recomposé, juste à les entendre. Typiquement la densité d’une phrase à te mettre à genoux…
Ses paumes dégringolent, effleurent, convoquent ma reddition. Merde, les voilà sur... mon... ventre…
— J’ai juste envie de… toi en moi. Pour me rappeler. Pour me… soigner. Tu comprends ?
Putain… Bien sûr que je comprends. Trop bien, même. Mais justement…
— Tu… tu ne cherches que du réconfort en nous ? hasardè-je.
Elle s’immobilise soudain, se redresse, m’examine, sourcils froncés. Ses traits se brouillent d’une émotion que je ne déchiffre pas.
— Si je te dis oui, ça change quelque chose ?
Ça repeint la couleur du désastre, pas sa taille.
— Ce n’est pas que du sexe, pas pour moi.
— Bon sang, James, j’ai envie de coucher avec toi, basta ! Pourquoi on fait du sudoku ? s’énerve-t-elle.
Je me redresse à mon tour, cerné de frustration :
— Parce que je t’aime, et je refuse de te prendre si c’est pour que tu te réveilles avec du regret mélangé à la gueule de bois !
À cet instant, les aiguilles déraillent. Mes mots planent entre nous, trois syllabes à peine nées — mon premier « je t’aime » pour elle à voix haute. Incrédule, je constate : c’est sorti brut, sans calcul, sans tremblement, sans filet de sécurité. Et, putain… je me sens léger. Heureux.
Je sonde son regard, cœur en apnée, avide de la moindre étincelle de réciprocité. Elle cligne des paupières, pince les lèvres puis… recule, les épaules secouées d’un rire crispé.
— Arrête ton baratin ! Baise-moi qu’on en finisse.
[1] Hey, pas si vite, amour...
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