7.5 * JAMES * NON C'EST NON
J.L.C
30.10.22
01 : 00
♪♫ ??? — ??? ♪♫
D’un coup de tête brusque, ma main se retrouve orpheline de ses cheveux. Ses doigts désertent mon torse pour happer mon bras et l’arracher à sa hanche. OK. Message reçu. Plus de tendresse. Plus de proximité. T’es prié de quitter le navire, mec. Putain, ça fait mal… Mon dos se contracte, mes épaules se referment. Une armure de fortune pour encaisser le choc.
— Tu te ramènes, tu me balances que tu m’aimes et tu crois balayer le sillage de cendres que t’as semées ?
Merde… elle me déteste ou elle souffre ? Je ne sais plus démêler le casse-tête de ses émotions. Je chavire dans ce dilemme, incapable d’ancrer la vérité, hésitant entre lâcher ce qu’elle a besoin d’entendre et me taire pour ne pas enflammer le bail.
— Un homme qui se déclare puis se retracte, t’appelles ça comment, toi ?
Je baisse les yeux : un type sans colonne, un froussard, un…
— Un connard.
…Oui. Ça aussi. Bim. Crochet au plexus.
— C’est ça, ton amour ? Un coup de force, puis la fuite ?
Sa voix vacille, puis se durcit. Comme si elle se battait pour ne pas trembler. Si elle pouvait juste percevoir la guerre qui fait rage sous ma peau… celle que je perds autant que je mène, et en solo…
— T’as pas idée de ce que ça m’a coûté de revenir, confessè-je, écorché.
— Putain, mais c’est toi qui es parti, James !
— Ouais, et là, je me démonte pour t’atteindre, je t’avoue que je t’aime et toi tu… tu me mords.
Son rejet me lacère plus profondément que la distance ne l’a jamais fait.
— Oh, le grand retour du héros amoureux… Combien de verres t’as descendus pour gonfler cette nostalgie que tu confonds avec l’amour ?
Ah si seulement une bonne vieille cuite suffisait à noyer ma douleur au lieu de la raviver. Sérieux, j’aurais préféré que ce soit de la nostalgie, ouais, plutôt que ce trou noi qui me digère. Je pousse un soupir exaspéré. Mes mains se crispent nerveusement derrière ma nuque. Elle me croit pas, bon sang… Si j’étais elle, je me méfierais aussi de ce clown désespéré.
— Non. C’est ce manque. De toi. De nous. De cet été. Ton absence me broie la cervelle depuis des semaines. Vivre sans toi est un putain de calvaire. Même si ta colère aveugle ton jugement, rien n’est plus sûr que mes sentiments pour toi, Victoria. Je t’aime vraiment. Le cratère béant dans ma poitrine me le prouve à chaque respiration, à chaque battement.
Ses cils frémissent. Surprise ? Confusion ? Je ne sais pas, alors je renchéris aussitôt :
— Vi, mon retour ici porte ton nom et rien d’autre. Et dire que tu t’imagines que je rapplique pour te sauter ! Peut-être que je suis un queutard, mais pas avec toi. Je ne t’ai jamais prise pour un simple corps et il n’a jamais été question de baise entre nous. Enfin… pas de mon côté.
Sourcils froncés, lèvres pincées, elle secoue sa frimousse ravagée.
— Tu ne me crois pas, hein ?
Je baisse la voix. J’ai plus rien à défendre, juste l’aveu brut, pur.
— Victoria, mo cuishle[1], je t’ai rêvée nuit après nuit, jusqu’à l’épuisement. J’ai inventorié les jours, les silences, les textos jamais expédiés, les appels morts-nés. Je…
Comment extorquer un oui à son regard ? Et, par quel miracle je me dépêtre de là sans tout fracasser, bordel !?
— Si je te prends maintenant, brutal, comme tu le réclamais, et que demain, sobre, tu regrettes, je passe pour quoi ? Un prédateur ? Un salaud ? Comment je croise mon reflet après, hein ?
Mes yeux l’aimantent ; elle tressaute.
— J’en crève, putain… J’ai envie de t’arracher tes fringues avec les dents, Victoria. De te bouffer comme si j’avais jamais connu ton goût, de te soutirer des cris que t’as jamais lâchés, de te faire trembler rien qu’en te mordant la hanche, puis de t’emplir jusqu’à ce que t’en oublies ton prénom et moi le mien. T’entendre gémir contre ma bouche encore et encore et t’emmener si haut que tu me supplieras de jamais redescendre. C’est ça que tu veux ? Je continue ? Tu sais très bien comment ça explose entre nous au lit.
Elle est là, haletante, pupilles incandescentes, silhouette à peine découpée dans la pénombre environnante. Le battement sourd d’un morceau étouffé résonne sous nos pas. Je la revois lors du flash inaugural, le moment zéro : foutrement belle, foutrement vivante, et si proche que j’en perds le nord, l’oxygène, la raison.
— Et moi alors ? Ce que je veux moi ?
Je croasse presque, tant ma gorge est sèche.
— Pas d’un corps en vrac, non. Il me faut l’accord de ton cœur, pas juste ta peau qui cède sous mes mains fébriles. Et crois-moi, elle sont pas farouches, plutôt impatientes. Je me retiens pour toi Victoria. Ce feu en moi, il brûle plus fort que tu ne l’imagines.
Son pied glisse en retraite, son menton se cabre. Son parfum m’arrive en rafale. Elle contre-attaque :
— Bon, je vois qu’encore une fois, j’ai pas voix au chapitre. Tu comptes mettre mes envies sous tutelle et corseter les tiennes ?
Je t’en prie, pas un débat sur les droits syndicaux des désirs… Je soupire. Mon propre rire fait naufrage au fond de ma poitrine.
— Ton programme me plait énormément, James Cameron… Mais tu n’as pas le monopole des plaisirs…
Elle appuie chaque mot en me vrillant les yeux, presque le sourire aux lèvres. Mon ventre se noue, mes reins s’enflamment comme jamais. Qu’est-ce qu’elle a à tenter de me provoquer ? Ce sont des phrases à me faire dérailler ça… Pas de bol pour ma fée lubrique : j’active le pare-feu. Du moins, je le mets en chauffe. Je veux de l’authentique pas des manœuvres érotiques.
— J’ai pigé le délire. Séduction en panique pour brouiller les pistes. Je vais pas jouer à cache-cache avec nos blessures.
— Merci pour ton diagnostic, docteur. Prochaine consultation, j’apporte les radios de mes traumas et on écrit une thèse sur les bienfaits de ta queue en moi, d’accord ?
Allez... ma verge se tend dans un frisson nerveux. Elle m’agace à jouer les dures, mais merde, cette façon qu’elle a de dire ces conneries… ça me bout le sang. Même quand elle me cherche, elle m’allume comme personne.
— T’as pas idée de ce que j’ai vécu pendant que Monsieur boudait dans son coin. Alors, ton analyse à deux balles, tu te la gardes. Par contre, la thérapie par le sexe, je pensais pas avoir à te la vendre.
— Je vais quand même pas m’excuser d’être clairvoyant sur ta… situation ?!
Je sais plus si je suis excédé ou blasé…
Un pouffement estomaqué lui jaillit des lèvres et me claque aux oreilles. Cible désignée par son index pointé droit vers ma poitrine, je me passe une main dans les cheveux.
— Ne me sers pas le numéro du protecteur héroïque. Pas ce soir, sûrement pas. T’as une cargaison entière de pardons à solder, James.
Ses mots me vrillent l’estomac, me rappellent les promesses non tenues…
— Pourquoi tu ne règles pas d’abord le niveau un, hein ? Satisfaire la femme qui t’attend depuis des semaines. J’ai le droit d’avoir envie de toi même si tout est bancal, non ? C’est peut-être le seul truc qui me paraît encore réel.
Donc, pour elle, le niveau un, c’est le cul ? Le cheval blanc pour une chevauchée sauvage ? Vraiment ? Si « commencer simple » c’est passer direct en mode rodeo sur moi, on a un petit souci.
— Tu m’avais déjà à demi nue sur tes genoux il y a cinq minutes et j’ai très bien vu que ton corps, lui, n’obéit pas à ta politique de retenue. Je suis con-sen-tan-te, James. Bourrée ou pas, je veux te faire l’amour, pas toi ?
Ouais… la douceur de ses courbes à demi dénudées au-desus de moi, une brûlure que ma raison peine à calmer. Je suis pas sûr d’apprécier cette demande par contre : réduire notre merdier existentiel à un échange de fluide… ça me file un goût amer.
Et pourtant, dès qu’elle flanque son « pas toi ? », mon cerveau crame l’affaire, et mon bas-ventre déclare : coupable, en chien et irrémédiablement dans la mouise.
Bien sûr que je veux. Je la veux même quand elle me jette ses fléchettes empoisonnées ou quand elle me fusille du regard ou m’insulte à moitié. Mes poings se serrent, mon souffle se raccourcit, mais l’envie ne faiblit jamais. C’est pathétique. Putain, je suis un mec si foutrement amoureux que je pourrais durcir en plein enterrement rien qu’au son de sa respiration. Les lois de la logique sont clairement en vacances lorsqu’elle m’arrose de ce regard couleur whisky en feu.
— Si je plonge maintenant, je te lâche plus. Et j’ai besoin que ce soit toi qui sautes, pas ton taux d’alcoolémie.
Mi-contrariée, mi-séduite, elle soupire, s’avance à peine. Ses yeux cherchent les miens, trahissant une lueur fragile sous l’assurance.
— Que tu ne me lâches plus, c’est bien ce que j’espère.
Alors j’ose un compromis boiteux.
— Reste contre moi. Une heure, une seule. Et si tu me veux encore après, je largue les amarres.
Soixante minutes à jouer le raisonnable, je meurs d’anticipation…
Elle me scrute, ses prunelles plantées dans les miennes. Le temps semble s’étirer tandis que je me noie dans la teinte automnale de ses iris. Puis elle penche légèrement la tête, une moue faussement pensive au coin des lèvres.
— T’es vraiment, vraiment têtu, hein ?
Un rictus m’échappe, suivi d’un souffle nerveux, presque soulagé.
— Comme tout Écossais qui se vaut…
— Au moins, ça prouve que tu ne comptes pas sur la magie de l’ébriété pour te faire pardonner… Mais sache un truc, James : même en coma éthylique, je serais incapable de t’oublier.
[1] mo cuishle : mon sang
Annotations