7.6 * JAMES * WELCOME TO SCHYZOPHRENIA

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CHAPITRE 7.6


WELCOME TO SCHYZOPHRENIA


* *

*


J.L.C

30.10.22

00 : 45


♪♫ J'AI ENVIE D'ELLE — LEJ ♪♫




D’un coup de tête brusque, ma main, expulsée sans ménagement, se retrouve orpheline de ses cheveux. Ses doigts désertent mon torse, se crispent sur mon avant-bras et le dégrafent de sa hanche. OK. Message reçu 5 sur 5, gravé, martelé au brise-roche hydraulique. Bang. Bang. Bang. Plus de tendresse. Plus de proximité. T’es prié de quitter le navire, mec. Putain, ça fait mal… Mon dos se contracte, mes épaules se referment. Je me mange son rejet en pleine gueule.

— Tu réapparais, tu affirmes que tu m’aimes quand bien même tu as choisi de m'écarter de ta route, tu me places sur un piédestal, uses de superlatifs à qui mieux mieux, et tu t'imagines réparer les dégâts avec du brillant et du grandiose ? Tu crois qu’un mot posé au sommet d’un autre efface l’absence, que tes belles phrases guériront les mois de silence ? Je n'ai rien contre les flatteries, James, et je te pense sincère, mais si cette façade me met la puce à l'oreille, la part invisible de l'iceberg me fait redouter bien pire. J'ose à peine deviner l'étendue des conséquences de tes actes.

Merde… ce ton... ce regard... Elle me crible de rancune ou elle souffre ? Impossible de démêler le casse-tête de ses émotions et d'ancrer une vérité. Lâcher ce qu’elle a besoin d’entendre ou me taire pour ne pas enflammer le bail ? Hell's bells… trapped in the same fuckin' dilemma[1]

Je... je sais pas quoi dire pour que ça suffise à te rassurer sur mes intent–

— Un homme qui se déclare puis se retracte, tu appelles ça comment ?

Je baisse les yeux : un type sans colonne, un froussard, un…

— ... un salaud, articule-t-elle d'une voix si calme qu'elle en devient tranchante.

Aye. That too. Straight tae the bloody ribs. Nae room tae breathe[2].

— C’est ça que tu nommes « amour » ? Un coup de force, puis la fuite ? Tu m'offres tes sentiments sur un plateau d'argent et aussitôt, tu me les arraches, puis… puis tu t’éclipses comme si rien n’avait compté, comme si ce qu'on vivait n'avait plus ni attrait ni intérêt pour toi. Ma colère, ma douleur... ton... ton absence, ton rejet... co... comment crois-tu qu’on puisse sentir autre chose que des braises dans la poitrine, quand la personne qui occupe toutes nos pensées depuis des mois réduit ce qui nous liait à néant ? Tu m'as... Tu m'as précipitée dans le vacarme de ton indifférence alors que je supposais bêtement qu'on allait être en... qu'on... était sur le point de... d'entrelacer nos espoirs et de... de poursuivre l'histoire qu'on avait commencée cet été...

Sa voix se fendille, puis se reconstruit, lame après lame. Indignation. Fierté blessée. Fragilité étouffée. Elle se bat pour rester droite. Elle est magnifique. Moi, j'entends chaque fracture comme si elle craquait sous mes doigts et je la regarde s’effriter en silence. Je me farcis son tourbillon verbal dans le bide façon blender, incapable de dire si elle me hache menu parce qu’elle me déteste, ou parce que je lui ai vraiment broyé quelque chose de vital. Aussi dramatique que ça puisse paraître, le salopard en moi espère à mort que ce soit la seconde option. Ça prouverait qu’elle m’a aimé assez fort pour que je mette son système à feu et à sang. Un putain de privilège, aye... Superbe victoire émotionnelle… pour un type qui joue surtout à exploser ses propres chances. Ach... si elle pouvait juste percevoir la guerre qui fait rage sous ma peau… celle que je perds autant que je mène...

— T’as pas idée de combien ça m’a coûté de revenir, confessè-je, écorché.

— Mais c'est toi qui a lâché la corde, James ! Pas moi ! m'inflige-t-elle, le cœur en travers de la gorge.

Aye… et voilà que je me démonte pour t’atteindre, que je te balance à nu ce que je ressens pour toi, et toi, tu... tu me mords.

Tête qui pique vers le côté. Pupilles en mode pointes de flèches. Bras repliés tels deux verrous sur sa goûteuse poitrine galbée... Quoi ? Elle les parade devant ma truffe aussi ! Je dois rester poli, et pas les mater, ces fichus tétons qui pointent sous le satin ? Damn it, cette torture à ciel ouvert me crame les rétines !

Posture ô combien maîtrisée, véritable drapé de contrôle avant le tir longue portée. Och... la décharge qui arrive va fumer mes certitudes. Merde, je commence à lire sa mécanique. Je fonctionne à elle. Je suis câblé sur elle.

— Oh, le graaaand retour du héros amoureux… Combien de verres as-tu descendus pour gonfler cette nostalgie que tu confonds avec l’amour ?

Éreinté du dedans, je renverse mon regard vers mes bottes, roulis de tête défaite. Ah si seulement une bonne vieille biture suffisait à ensevelir ma peine sous une marée ambrée au lieu de la raviver. Je pousse un soupir usé jusqu'à la moelle. Mes mains se figent en étau derrière ma nuque raide. Elle me croit pas, bordel de merde… À sa place, je me méfierais aussi du clown désespéré qui pue l'instabilité à trois bornes.

— T'as raison de garder le bouclier haut, Vi, je... je ferais pareil, j'admets en relevant le menton. Trust me, I've missed ye, us, this summer... more thant ye'll ever guess[3].

Je parcours son visage du coin de l'œil, détail après détail : ses prunelles d'automne, ses lèvres glossy, ses pommettes pimpées, sa mâchoire altière et tout mon corps se tend, tout feu tout faim.

— Ton absence me broie la cervelle depuis des semaines, Victoria. Vivre sans toi est un putain de calvaire. Ta colère peut bien aveugler ton jugement, mes sentiments pour toi restent incrustés dans le marbre. Je t’aime vraiment. Le cratère béant dans ma poitrine me le prouve à chaque respiration, à chaque battement loin de toi.

Ses cils frémissent. Surprise ? Confusion ? J'en sais rien, alors je renchéris du tac au tac :

— Vi, mon retour ici porte ton nom et rien d’autre. Et dire que tu t’imagines que je rapplique pour te sauter ! Peut-être que je suis un queutard, c'est vrai, mais pas avec toi. Je t’ai jamais vue comme un corps à conquérir et il a jamais été question de baise entre nous. Enfin, pas... pas de mon côté.

Sourcils froncés, lèvres pincées, elle secoue sa frimousse ravagée.

— Tu me prends pas au sérieux ?

Je baisse la voix. J’ai plus rien à défendre, juste l’aveu brut, pur.

— Victoria, mo aingeal[4], je t’ai rêvée nuit après nuit, jusqu’à l’épuisement. J’ai inventorié les jours, les silences, les textos jamais expédiés, les appels morts-nés. Je…

Comment extorquer un oui à son regard perçant ? Et, par quel miracle je me dépêtre de là sans tout fracasser, nom de Dieu !?

— Si je te baises maintenant, brutal, comme tu le réclamais, et que demain, sobre, tu regrettes, je passe pour quoi ? Un prédateur ? Le connard de service ? Comment je croise mon reflet après, hein ? Comment je te regarde, toi ?

Mes yeux l’aimantent : elle tressaute.

— J’en crève, putain… J’ai envie de t’arracher tes fringues avec les dents. Te bouffer comme si j’avais jamais connu ton goût. Te soutirer des cris que t’as jamais lâchés. Te faire trembler rien qu’en te mordant la hanche. T’entendre gémir contre ma bouche encore et encore. T’emmener si haut que tu me supplieras de plus redescendre. C’est ça que tu veux ? Du cul, en plein air sur le toit-terrasse d'une boîte de nuit avec des centaines de personnes derrière une porte même pas verrouillée ? Que je te démonte tellement fort que t’auras mon nom coincé dans la gorge demain matin ? Que je te soulève contre la balustrade jusqu’à ce que tu hurles assez fort pour que tout le quartier capte combien t'aimes m'avoir en toi ? Je continue ? Tu sais très bien comment ça explose entre nous, t'as pas besoin de dessin. Mais ça n'arrivera pas.

Elle est là, palpitante, pupilles brasero, silhouette à peine découpée dans la pénombre environnante. Le battement sourd d’un morceau étouffé résonne sous nos pas. Je la revois comme le jour du flash inaugural : foutrement belle, foutrement vivante, et si proche que j’en perds le nord, l’oxygène, la raison.

— Et moi ? On en parle de ce que je veux, moi, Victoria ?

Je croasse presque, tant ma gorge s'assèche.

— Un corps en vrac ? Non, merci. Il me faut l’accord de ton cœur, pas juste ta peau qui cède sous mes mains. Et crois-moi, elle sont pas farouches, plutôt impatientes ! Tu veux que je te dise ? Je me retiens à mort, Vi. Pour toi. Mes instincts préhistoriques bavent rien qu'à l'idée de te gober toute crue, je pourrais bastonner un mammouth pour t'avoir, et ma cervelle de Cro-Magnon grogne façon T-Rex privé du dernier steak de brontosaure. T'as l'image ? Ce feu en moi, il crame plus fort que tu ne l’imagines, Vi.

Sa cheville glisse en retraite, son menton se cabre. Son parfum m’arrive en rafale. Elle contre-attaque :

— Bon, je vois qu’encore une fois, je n’ai pas voix au chapitre. Tu comptes mettre mes envies sous tutelle et corseter les tiennes ? Il n'y a pas que ton côté primitif qui trépigne, je te ferai dire ! Le mien aussi prie pour qu'on le laisse assouvir ses propres désirs.

Aye… génial. J’ai foutu le pied dans le piège à louve. Bien joué, moi !

Je soupire. Mon rire jaune fait naufrage au fond de ma poitrine.

— Ton programme à base de morsures, de griffures, langues sans frein, bassins qui roulent, coups de reins à faire vaciller les étoiles et tutti quanti me plait énormément, James Cameron… On décolle dès que ton courage suit.

Elle appuie chaque mot en me vrillant les yeux, quasi sourire aux lèvres. Mon popolopo se hisse au garde-à-vous, mes lombaires s’enflamment comme jamais. Qu’est-ce qu’elle a à me provoquer, là, avec ses phrases dignes de propulser mes hormones en révolution générale ?

Pas de bol pour ma fée lubrique : j’active le pare-feu... Du moins, je le mets en chauffe. De l’authentique, pas des manœuvres érotiques !

Ehhh ! Retire tes serres de mes abdos, espèce d'harceleuse ventrale ! Non ! Continue ! Savonne-moi tout ton soûl si ça te chante, mo leannan ! Grrrh, salut moi, salut moi, welcome to Schizophrenia ! Mon moi scabreux se frictionne la centrale, Victoria en ligne de mire. La vraie de vraie, cette fois ! Pas un fantasme sous cristaux neige…

Nom de Dieu… Je fais comment au juste pour l'envoyer promener maintenant qu'elle se pétrit à nouveau contre mon torse façon tempête polie qui s'excuse avant d'arracher les tuiles ? Crap ! Cette fille est un putain de champ de mines et j'ai hâte de m'exploser les obliques dessus ! Et les ménisques aussi. Les trapèzes en détresse. Les deltoïdes en gruyère. Les adducteurs en procès. Objection ! Trop de baise sauvage ! Les couilles surtout. Aye, allons direct à la gâchette, au point névralgique, au monstre au fond du Loch. Poh lala, mec, pense à des trucs sérieux… des impôts… des assurances… Non, pas elle qui assure, bordel ! Des… des permis d'exploitation, des pneus crevés, des devis d'électricien, les normes incendie, les rats dans l'arrière-salle… Rien à faire — et comble de torture, sa langue miroite déjà un danger délicieux au-dessus de ma carotide.

Intervention obligée avant que l'ascenseur émotionnel parachute ma langue dans sa bouche.

— J’ai pigé le délire, Vi. Séduction en panique pour brouiller les pistes. Range ton arsenal. Je vais pas jouer à cache-cache avec nos blessures.

Ne pas la toucher. Ne pas la toucher. Ne pas– fuck, mes mains bougent toutes seules ! Paf : direct sur ses courbes de contrebande.

— Merci pour ton diagnostic, docteur, ronronne-t-elle et ses ongles égratignent ma nuque.

Frimousse à un nanomillimètre de la mienne. Talons hissés haut. Coudes sur mes épaules. Tout doux. Hors de question de finir en planche dans son feu ! Le compteur de sefl-control clignote rouge. On a un problème, Houston. Et le problème porte une robe mouillée qui me glisse contre les côtes.

— Prochaine consultation, poursuit ma petite manipulatrice en herbe, j’apporte les radios de mes traumas et on écrit une thèse sur les bienfaits de ta virilité en moi, d’accord ?


[1]  Bordel de merde… encore coincé dans le même foutu dilemme...

[2]  Ouais. Ça aussi. Direct dans les foutues côtes. Pas moyen de respirer.

[3]  Crois-moi, tu m'as vraiment manqué, nous, cet été... plus que tu ne pourrais jamais l’imaginer.

[4] Mon ange en gaélique écossais.

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