7.7 * JAMES * VIDONS LE CHARGEUR
CHAPITRE 7.7
VIDONS LE CHARGEUR
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J.L.C
30.10.22
00 : 50
♪♫ ??? — ??? ♪♫
Here we bloody go again[1] ! Ma verge se tend dans un frisson nerveux. Elle me gave à jouer les bombes ambulantes, mais merde, cette manière qu’elle a de dire ses conneries… ça me bout le sang. Même quand elle me cherche, elle m’allume comme personne.
— Quelle version de moi t'a le plus manquée, Scottish Man ? flirte-t-elle. Douce ?
Roulement de hanches suggestif.
... Hnnng !
— Ou sauvage ?
Mordillement labial.
... Ghhrr !
— Je peux être timide et vicieuse... ou juste vicieuse.
Frappe capillaire, mèches malmenées.
... Fshhh !
Bon sang, j’en suis à penser en bruitages crades et chauds de film de boules, là, oh ! Zéro phrase correcte. Elle m'a déglingué la glotte !
Soudain, j'intercepte un raid ninja pas du tout inopiné ! In extremis, je crochète sa menotte qui coulissait ostensiblement vers mon burrito en péril de guacamoler sévère.
— Wow, Lass ! Pas de pillage prématuré, on en a déjà discuté.
— Vraiment, James… tu me transformes en damoiselle sous étau. Pas très follement séduisant.
— Tu chines, mais je joue mon rôle à contrecœur et–
— Oh, stop le cabotinage et épargne-nous tes faux principes. Si tu voulais réellement me résister, tes mains seraient coucouche panier et pas en train de fureter sur mes hanches.
Très mauvais procès d’intention mais…
— … c'est pas ma faute. Le sol émotionnel est instable autour de toi. Je vérifie juste ton équilibre.
Ses yeux ambrés s'assombrissent illico et s'échappent aux miens. D'une voix à peine cousue d’audace, elle enchaîne :
— Instable, oui… mais c’est toi qui m’as enlevé mon point d’appui. Peut-être que… j’ai besoin de toi pour me rééquilibrer justement, pour cesser de vaciller, tenir droite, ne plus trébucher, trembler ou tomber.
Merde… Mes doigts harponnent sa mâchoire, la soulève, la fige dans mon viseur. Je prends le temps de lire le chagrin dans ses prunelles avant de poser des mots sur ce qui mitonne entre nous. J'ai envie d'elle à en crever. Mais je veux qu'elle vienne à moi les pensées nettes, pas embuées. Je veux qu'elle me choisisse avec mes failles. Pas qu'elle glisse sur le mirage flatteur qu'elle a de moi, alors que je suis surtout un type cabossé tenant debout de travers. Pfff, tu parles d'un appui ! C'est elle qui devra apprivoiser mes angles tordus et me remettre d'aplomb et non l'inverse.
— Si t’as besoin de moi pour te soutenir… je suis là. Mais pour brouiller nos repères avec de la chaleur et des hormones, je risque autant de te perdre que de te trouver.
Soupir. Lèvres pincées. Déglutition. Sa bouche croque l'air puis déballe un speech digne d'une révolutionnaire du plaisir qui transforme les règles en options :
— Ne peut-on pas se heurter à nos défauts et voir s'ils s’alignent ? Le sexe n'a pas toujours vocation à être un monument sacré, si ? Plein de gravité, plein de symboles et tout le tralala. Je veux dire… pourquoi en faire un rituel lourd de sens quand le désir est somme toute un langage, un territoire où on se découvre, se teste, s'amuse ? Tu ne couches jamais, toi, juste pour te faire du bien, sans tomber dans un rôle attendu, sans scénariser, performer, broder du romantisme ? Sans penser au pourquoi du comment ?
Relativiser. Dédramatiser. Intellectualiser. Vachement mature en vrai. Et sexy. Du Victoria pur jus : tout dans le contrôle. Sauf que. L'arrière-gout rance derrière mes dents m'empêche d'avaler l'idée de faire du sexe un prétexte pour ne pas affronter ce qui couve entre nous. Alors en vérité… arrêtons de tourner cent ans autour du pot : elle m'aime ou je m'autotape le film dans mon cerveau en solo ? That's the one an' only question that matters[2] . Évidemment, ce point crucial se carapate à la dernière seconde, signé : le mec sans couilles ni plan ! Pour sûr, elle, elle s'amuse en douce à dessiner la prochaine salve à la Scofield[3] , et moi je me cogne contre chaque mur de son dédale érotico-chaotique. Donc, plutôt que de poser mes boules sur la table et cracher le morceau, j'ose rouler mon pouce jusqu'à sa pommette et balance :
— Ton petit jeu c'est de me transformer en confit de canard sous hypnose ou tu improvises au feeling ? Tu me reluques comme ça et tu crois que je peux réfléchir à autre chose que comment t’embrasser... à l'infini ? Tu triches, Vi, c'est cruel.
Son sourire allume des étincelles dans ses iris. Magnifique. Magique. Aye. Je veux du conte de fées à m'en mordre les doigts. Sans doute mon côté old school d'aristo écossais bourru, j'ai mon code moral, mes manières, pas envie de bâcler cette fois.
— Je dois me méfier de tes idées fixes, Victoria ? T'es plus que cap de me faire perdre ma discipline, ça, c'est acté, mais est-ce que t'es du genre qui tient tête à tout, quitte à piétiner mes promesses sitôt sorties de ma bouche ?
Nez retroussé. Sourcils en rapprochement aigu. Colonne raide. La tension envahit chaque fibre d'elle. Aïe. J'ai mis les pieds dans le plat… Elle va me caviarder ! Ouais, bah, boycotter le dessert et critiquer la recette, c'est encore autorisé à ce que je sache !
— Tu n’as pas le droit de dire ça, James ! J'aurais préféré les entendre de vive voix, tes fameuses promesses d'avenir, au lieu de lire ton texto de rupture à la noix !
Ses doigts paument leur accroche. Plus de peau à peau. Elle se recapsule dans sa bulle, impose du vide entre nos silhouettes. Logique. Quoique déplaisant au possible, cet éloignement.
— Tu n’as pas idée de ce que j’ai vécu pendant que Monsieur boudait dans son coin. Alors, tes petites théories et tes conjectures précipitées, je te conseille de les garder. À moins que mes opinions ne payent pas de mine à tes yeux.
Wahou, si son avis sur moi est si bas, je touche le fond de son jugement.
— Faut que je sois vraiment déclassé dans ton estime, pour que tu penses une telle chose de moi...
— Au point où on en est ce soir, James... je me demande si je dois plus te considérer comme un taureau arrogant ou un âne bâté !
Ouch ! Elle y va pas du plat de la main morte !
— Si on m’avait dit un jour que je devrais vendre le concept de thérapie par le sexe à un type comme toi… Les femmes n'ont-elles pas la latitude de jouer selon leur tempo sans avoir à s’excuser ? Est-ce si scandaleux ? Non. Et moi, je ne suis pas prête à recevoir les leçons d'une tête dure comme toi sur mes envies !
— Et la tête dure en question va quand même pas s’excuser d’être… lucide sur ta… situation ?!
Un pouffement estomaqué lui jaillit des lèvres et me claque aux oreilles.
— Elle est consentante, la nana devant toi là, pauvre tâche ! Con-sen-tan-te ! Alors, ne me sers pas de cirque à la Mr Darcy[4]. Pas ce soir, sûrement pas. T’as une cargaison entière de pardons à solder, James. Mais pas celui de me prendre sans mon accord.
Cible désignée par son index pointé sur ma poitrine, elle me shoote du regard, genre étincelle sur poudrière, éclats rougeoyants en rafales épidermiques.
— Le pire ? J’ai envie de toi comme jamais je n’ai désiré qui que ce soit, en dépit de ce cœur que tu as fracassé et des malédictions que je t’ai lancées des jours durant.
Putain de grenades verbales ! Ses mots me vrillent l’estomac tout en me filant une gaule d’ego presque indécente. Je m'en carre les miches si je surinterprète, mais je le sens au plus profond de mes tripes : derrière son langage charnel, il y a un cœur qui flanche. Victoria m'aime.
— Pourquoi tu ne règles pas d’abord le niveau un ? me brime-t-elle encore. Commence simple : satisfais la femme qui t’attend depuis des semaines.
Je ricane.
— Lass, t'entends me faire gober que pour toi, le niveau un, c’est la baise ? Vraiment ? Si « commencer simple », c’est passer direct en mode rodeo, on a un petit souci. Pas de cheval fou pour la chevauchée sauvage. Ce soir, je préfère une balade en poney.
Elle ricane.
— Du poney ! Tu m’avais à demi nue sur tes genoux il y a cinq minutes et j’ai très bien vu que ta machinerie n’obéit pas à ta politique de retenue, s'encolère-t-elle.
Aye… la douceur de ses courbes à demi dénudées au-dessus de moi, une brûlure que ma raison peine à calmer. Mais sa requête obstinée, je l'apprécie de moins en moins : réduire notre merdier existentiel à un échange de fluide… ça me poigne l'âme.
— Mais soit. Ce qui est dit est dit. Ce qui est fait est fait. Grâce à toi, je viens de vivre la gifle sexuelle la plus embarrassante de mon existence, le jour de mon vingt-quatrième anniversaire, par l'homme le plus sexy de la Terre et je me sens ridicule et affligeante et idiote. Merci.
— Ne raconte pas de conn–
— Pas la peine, me coupe-t-elle, bras croisés, nez mutin. On n'est pas sur la même longueur d'onde, l'Écossais. Ça m'apprendra à mettre ma maîtrise entre parenthèses et jouer les filles spontanées, juste parce quun beau mec sait me voir.
La suite de sa sentence meurt dans un concert de murmures mi-agacés, mi-résignés, et tout retombe sur un unique jugement soupiré : naïve, se maudit-elle.
Espèce de triple buse, ye’ve mucked it up proper[5] ? Pousser la femme que t'aimes à douter d'elle-même alors que c'est un putain de fantasme cosmique cette fille, le genre que n'importe quel sac à pulsions de ce monde, de Mars à Andromède, et des quatre dimensions réunies rêverait d’avoir dans leur lit ne serait‑ce qu’une minute, histoire de graver le goût du paradis dans leurs foutues mémoires.
Ça me travaille de lui dire — non, de lui crier, que mon cerveau réclame de cramer l'affaire et mon distributeur de super sans plomb au chômage technique, écume aux lèvres, beugle en boucle sa culpabilité débauchée depuis plus d'une demi-heure. Je la veux. Je la veux même lorsqu'elle me siffle ses fléchettes empoisonnées. Ou me fusille du regard. Ou m’insulte à moitié.
Mes poings se serrent, mon souffle se raccourcit, mais la fièvre ? Faiblir ? Aye, that'll be right[6] ! Je suis si foutrement amoureux que je pourrais durcir en plein enterrement rien qu’au son de sa respiration. Les lois de la logique sont clairement en vacances lorsqu’elle m’arrose de ce regard couleur whisky en feu.
— Si je plonge maintenant, je te lâche plus. Et j’ai besoin que ce soit toi qui sautes, pas ton taux d’alcoolémie.
Lourd comme du métal trempé, un silence glacial débarque. Zéro syllabe. Zéro note. J'observe le sommet de son crâne blond, la seule parcelle d’elle qu’elle m’accorde pendant qu’elle bougonne dans son coin — une tirade miniature machée que je percute pas, dissoute sous le code Morse de la pluie contre le dôme vitré.
Je retiens mon souffle. Je refuse que mon non à la sauterie du soir m’offre un aller simple pour la porte d’entrée et un au revoir claqué. Je ferais n'importe quoi d'autre pour rester. Juste là. À portée de sa peau, de son foutu parfum qui m’arrache la raison. Pire encore : j'ai un besoin maladif de la kidnapper émotionnellement, la coller dans mes bras à la super glue et me perdre des jours entiers dans le brasier de ses yeux, à me consumer volontairement comme un joyeux demeuré sur un bûcher né de son seul regard. Alors j’ose un compromis boiteux.
— Une heure, une seule. On campe ici, on se toise dans le blanc des yeux, on vide le chargeur, on se roule comme des cochons sur le canapé, mais... sans jamais cambrioler ma ceinture. Option deux : on redescend, on trinque, on danse, à toi de voir. Et si, dans une heure, t'es encore chaude pour qu'on... qu'on... s'envoie en l'air, je largue tout. Sans négocier. Tu m'auras comme tu veux.
Soixante minutes à jouer le raisonnable, je meurs d’anticipation… Quel taré !
Elle me scrute, ses billes plantées dans les miennes. Le temps s'étire s'étire s'étire tandis que mon corps respire par nos deux paumes entremêlées. Puis, elle penche légèrement la tête.
— T’es vraiment, vraiment têtu, pas vrai ?
Un rictus m’échappe, suivi d’un souffle nerveux, presque soulagé.
— Comme tout Écossais qui se vaut…
— Au moins, ça prouve que tu ne comptes pas sur la magie de l’ébriété pour te faire pardonner… Mais sache une chose, James : même en coma éthylique, je serais incapable de t’oublier. Rendez-vous dans une heure, donc, pour le feu d'artifice. Par contre l'Écossais, une heure à attendre, une heure à savourer. Pas moins. Fais chauffer tes poumons, je te laisserai à bout de souffle.
[1] Allez, et c'est reparti pour un tour !
[2] C'est la seule et unique question qui vaille.
[3] Personnage principal de la série Prison Break, reconnu pour son intelligence stratégique, sa capacité à anticiper chaque mouvement et à planifier plusieurs coups d'avance.
[4] Personnage emblématique d'Orgueils et Préjugés de Jane Austen, célèvre pour son sérieux aristocratique, sa droiture, son flegme, ses manières impeccables et surtout son incapacité à passer à l'acte sans y réfléchir mille fois.
[5] T'as vraiment tout foiré.
[6] Quelle blague !

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