8.1 * VICTORIA * TPE : TREMPÉE, PERDUE, ENFIÉVRÉE
V.R.de.SC
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30.10.22
01 : 30
♪♫ ??? — ??? ♪♫
À peine Mati a-t-il refermé la porte de son bureau que je me retrouve en huis clos avec James, cernée de silence et de chaleur. Chaleur, assurément — celle qui te fait sentir vivante… ou grillée façon tête-à-tête avec un whisky écossais bien enfiévré…
La pluie n’est désormais plus qu’un lointain frisson dans mon dos, une sensation évanescente reliquat de mon lâcher-prise. Sur ma langue flotte encore le goût illicite, piquant et sirupeux, de cet instant volé. Pourquoi ? Pourquoi ce vertige ténébreux, cette folie douce qui m’a précipité si bas dans ses mains ? Parce qu’une flamme affamée consumait chaque parcelle de mon être. Parce qu’un désir déchaîné, archaïque avait éteint ma raison. Cet appel du feu, irrésistible, impérieux, je l’ai convoqué, volontairement, avec une sorte de jubilation animale. J’étais cette lionne en cage, l’instinct à fleur de peau. Je me suis livrée à lui parce que je le voulais. Ma tête l’analyse en faiblesse, mon cœur, en honnêteté. À présent, ce paradoxe me laboure l’esprit tout en semant une étrange clarté.
La lumière tamisée dessine des fantômes sur les murs, légèrement moirée par les reflets bleutés et roses venus des néons derrière la vitre. Des lasers verts fendent l’espace comme des flèches déjantées tirées par un Cupidon électro. Le souffle du club vibre autour de nous, en murmures syncopés. Dans mes tempes, un martèlement chamanique : la musique me convie dans ses ondes.
Je suis consciente de ma dérive alcoolisée. Et herbacée. Pas au point de tituber, mais assez pour embuer mon discernement et provoquer foutoir cérébral et raz-de-marée affectif. J’aimerais poser des mots nets, lui parler réellement, pas juste avec mes mains ou mes soupirs. Déballer le vrai, dénuder les intentions, lui demander tout ce que je garde sous clé. Hélas, là, maintenant, je suis en plein chantier émotif et un brin floue. Pas stable. Pas droite sur mes jambes intérieures. Trop de questions se bousculent, se chevauchent, se dérobent. Et je me noie dans ma compulsion à tenter de les résoudre toutes en même temps.
Pour l’heure, ce qui crie plus fort que tout, ce n’est pas la vérité. C’est lui. Sa présence. Son odeur. Sa chaleur. Mon urgence de me reconnecter. De dompter les nœuds, les déchirures, les vertiges. D’enfouir mes doutes entre ses bras, respirer dans son monde. L’y trouver. M’y perdre. Oublier l’impasse. Je le veux, mais pas que pour le contact. Je veux ce qu’il y a après. Le lien et le reste. On dirait pas, hein ? Et pourtant… Je me suis jetée sur lui façon lycéenne désespérée, pulsion en avant, sexe en ordonnance improvisée pour plaies béantes, croyant que l’abandon ferait office de baume au cœur, apaiserait le bancal, recoudrait les souvenirs. Comme si sa peau pouvait repeindre l’absence… Comme si le désir savait boucher les trous que l’amour a creusés…
L’air vibre d’une essence persistante, un sillage sec et musqué qui n’appartient pas à James, mais à Mati. Lui, il exhale le luxe maîtrisé, une fragrance chic et racée, mélange d’ambre, de cuir et d’élégance. James sent bon le soleil brûlant, le sable chaud soulevé par le vent marin, l’électricité d’un orage d’été. Et en filigrane, plus discrète, mais tenace, l’odeur de la pluie, fraîche et naturelle, s’attarde sur nos vêtements,. Cette senteur me ramène aux instants précédents, au dehors qui résiste encore. Il y a à peine cinq minutes, je grelottais sur le rooftop. Maintenant, j’ai l’impression de suffoquer. La faute à qui ? Lui. James, debout à quelques pas, condensé de magnétisme brut, de tension animale et de sex appeal sans filtre.
Face à moi, mon aphrodisiaque du jour, du mois, de l’année se départit de sa chemise, bouton après bouton, avec une lenteur exaspérante. Tranquillou, sans se presser, comme s’il prenait le temps de compter mes pulsations. Il parait détaché, plongé dans ses propres pensées tandis que ses doigts répètent leur danse.
Vous savez ce dont je rêve ? Oui, bon, faire l’amour avec lui, évidemment. Pas un scoop, mais avouer ses fantasmes, ça soulage. Toutefois, ce feu-là n’est que la surface de l’iceberg. Je rêve de glisser dans le sommeil bercée par son étreinte. Je l’imagine chez moi, dans mes draps, dans mes bras. Je le devine au réveil, dans la lumière matinale de ma cuisine, nous préparant un café. Et pourtant, je revis aussi toutes ces nuits sans fin, tourmentée par son absence et le venin de la colère acidifie soudain mon estomac.
Je devrais détourner les yeux de ce corps ensorcelant, me concentrer sur autre chose que son torse luisant, ses muscles gourmands dont ma bouche s’est régalée tout à l’heure. Sauf que mon cerveau a sauté l’épisode « contrôle » et mes pupilles font la queue pour un second round de binge watching effréné. Alors, je reluque et je sens à nouveau une fièvre familière grimper de mes reins à ma nuque et me catapulter des images torrides de nos silhouettes sculptées l’une à l’autre, là-haut, sous la pluie battante, contre la porte close, entre le moelleux du canapé, puis le métal bancal du tabouret.
Il est sublime. Je suis tenue en haleine par le moindre détail : la ligne de ses clavicules, la puissance de ses biceps, ce V abyssal qui s’enfonce dans l’ombre de son pantalon. Même ses poils — discrets filaments qui projettent un chemin depuis son sternum jusqu’à son bas-ventre — me font tourner la tête. C’est ridicule. C’est ridicule et délicieux. On en parle du tatouage apparu sur l’os de son bassin ? Mon initiale style gothique. Je n’en reviens toujours pas…
Quelque chose en moi grince, m’aboie dessus : ressaisis-toi. Il est temps d’arrêter cette comédie de midinette affamée d’un frisson qui ne guérit rien. Pourtant, c’est plus fort que moi. Je le veux encore. En dépit des éclats de voix passés, des questions en suspension, des comptes à régler. Et surtout parce que, bon sang, cet homme m’a balancé un « je t’aime » cataclysmique. Ce ne sont pas ses caresses ni les vestiges de sa bouche sur ma peau qui se répètent en boucle dans mon crâne. C’est mon éclat de rire, strident, convulsif, érigé en négation, en refus. Il a dit « je t’aime », et moi, j’ai plaqué son sérieux contre le mur de ma légèreté, avec mes trois grammes d’imbécilité. N’importe quoi. Parce que ça dépassait l’entendement, j’ai cru à une erreur, une illusion, un piège. Mon cœur a buggé et… j’ai paniqué…
Un bruit assourdi, électronique et insistant, se fraie une voie dans le mutisme dense qui nous enveloppe. Son portable vibre attirant son attention. Il y jette un œil fugace, sans même m’offrir un regard, sourcils contrariés. Le message lui pince un nerf, dirait-on. Une ombre traverse sa mâchoire, infime, vite chassée, et déjà ses doigts pianotent l’écran. Intriguée malgré moi, je l’observe. Une question monte, insidieuse, mais je la refoule avec la même discrétion qu’un frisson sous une pluie froide.
Soudain, il lève le bout du nez, me scrute par-dessous ses cils, l’air de s’excuser à moitié. Dieu qu’il est beau !
— Isla, souffle-t-il.
Un mot, pas plus. Mon hochement de tête silencieux suffit à relâcher la pression qui serrait mes tempes. Mes épaules s’abandonnent à une détente bienvenue.
Sa sœur s’interroge probablement sur ce qui retarde ainsi son frère… Bah non, nigaude, elle avise sans peine que je suis la raison. Alors, elle doit se demander ce qu’on mijote ensemble, ce… oh ! Est-ce qu’elle imagine que… Oh, mince. Bien sûr. Et mes amis ? Bah oui aussi, forcément. Entre évidences et déductions, tout le monde a sans doute tiré la même conclusion : la reprise des hostilités version fiesta olé olé.
Comment je me sens ? Idiote… mais inexplicablement exaltée. Le combo impudeur brûlante et fausse indifférence me traverse. J’ai l’impression d’être une bête curieuse exposée : coupable sans crime, fière d’un triomphe insensé. Le creux de mon ventre se contracte, ma tête voudrait se carapater, mon corps dérive encore dans le coton diffus du plaisir. Peu importe ce qu’ils pensent. En fait, si, mais, pas maintenant. On mettra ce micmac au menu des débats d’après et je rangerai l’embarras au placard… plus tard, très très plus tard.
Eh bien, eh bien, je devrais moi aussi consulter mon téléphone, sait-on jamais. Sauf que je l’ai paumé quelque part. Ma robe de ce soir n’offrant aucun recoin stratégique, j’ai dû l’égarer dans le triangle des Bermudes du carré VIP entre deux verres et ma tête en l’air…
Pendant ce temps, celui de James disparait dans sa poche de pantalon tandis que ce Dieu incarné s’affaire à ôter la chemise trempée qui colle toujours à sa peau. Il la tient dans son poing, sans savoir quoi en faire, genre je-la-plie-je-la-jette ? Je souris. Il est perdu, un peu gêné.
— On passera au local technique, tout à l’heure. Y a un sèche-linge, ça ira vite.
Il acquiesce, sans rien dire. Je m’empresse d’avancer vers lui.
Aussitôt dans son périmètre immédiat, une secousse m’agite le bas-ventre : son odeur musquée m’expédie une rafale sauvage en plein sinus. Je frôle l’absurde envie de m’éventer du plat de la main, pour conjurer la fuite progressive de mon sang-froid. Lutter contre un tsunami avec un éventail, voilà mon destin.
Je récupère la veinarde toujours imbibée de sa chaleur. Non, mais franchement, n’importe quel tissu rêverait d’épouser pareil relief musculaire. Elle a eu son moment de gloire, la chanceuse. Je reprends le flambeau : c’est à mon tour d’être au contact rapproché.
Paumes à plat sur son abdomen, j’inspire profondément, hume son parfum, érige mes talons à la verticale et dépose un baiser sage sur le coin de sa bouche, pour goûter, signifier.
James se statufie. Ses iris bleus s’affolent. C’est moi ou il vient de faire un double backflip mental ? Je m’abreuve de ce pouvoir tacite, ce courant invisible distillé par son regard fébrile. Mon pouls s’accélère. Plonger dans ses yeux, c’est comme se brancher sur une prise 220 volts. Sérieux, un truc de fou, cette alchimie silencieuse. Mais je m’arrête là. Je glisse un pas en arrière, réinstaure un espace vital, me réapproprie mon calme.
Tandis que je m’éloigne, James s’enroule dans l’autre chemise — celle que Mati a sortie de son chapeau magique. Je repense à la tête de ce dernier lorsqu’il est entré dans le bureau. Je venais tout juste de déclencher mon SOS vestimentaire qu’il débarquait et nous trouvait, James et moi, dégoulinants sur les lattes de son parquet d’ébène, tableau vivant du désastre érotique. Il a roulé des yeux, enchaîné avec un demi-sourire de conspirateur, et ponctué le tout d’un clin d’œil bavard, genre « je juge pas… je note ».
En revanche, le vrai pic de tension ne m’était pas destiné — il visait James. Un éclair. Du style test muet, un truc instinctif, brut, façon code de reconnaissance entre mâles ou grammaire animale. Mon amant n’a pas bronché. Il a tenu le regard, impavide, frontal, sans l’ombre d’un recul. Deux fauves qui se jaugent, voilà à quoi j’ai assisté. J’ai senti l’onde passer entre eux comme s’il y avait eu de la foudre dans la pièce. Je les ai dévisagés tour à tour, plantés là à se renifler les rétines. Leur duel de testostérone m’a arraché un rictus — pas moqueur, juste hilare, ou consterné. Franchement, quelle scène ! Ah ces chers spécimens XY… Toujours ce besoin atavique de hiérarchiser, mesurer, cocher les cases dans leur bingo viril du « qui a la plus grosse ». Je pourrais les départager, moi — j’ai tâté les deux marchandises. Verdict : du haut de gamme… et du millésimé collector. OK, non. Non. Victoria, arrête. Tout. De. Suite. T’es pas au Salon de l’Agriculture des teubs, bordel. Va falloir sérieusement penser à une cure de désintox érotique. T’as plus de filtre. C’est indécent. Inconvenant.
Bon, trêve de bêtises, moi aussi, faut que je fasse peau neuve. Je tape dans mes paumes mentales, pour me remettre les idées en place, avant de filer vers l’angle où Mati me laisse entreposer mon bric-à-brac quand je bosse ici. En farfouillant, je déniche pile ce que je cherchais : les tenues d’anges que Nina et moi avions arborées pour les vidéos teasing de la soirée d’Halloween. Une robe blanche à larges bretelles, tissu côtelé, décolleté ample, super confortable, élégante, sensuelle — pour pas dire tout à fait aguicheuse. La seule embûche : convaincre mes dessous que c’est pas leur jour de gloire. Mon shorty noir n’est absolument pas adapté. Impossible de le glisser sous cette maille, le contraste s’avèrerait trop criard. Je n’ai guère d’autre choix que de me promener au naturel. D’ordinaire, flâner cul nu dans un club, jamais de la vie — un coup à me fourguer des sueurs froides. Pourtant, ce soir, je cède à la nécessité. Mon moi rebelle fait du trampoline imaginaire : il sort pas souvent du tiroir celui-là. Pour tout avouer, ce frisson de transgression me galvanise. Pourquoi ? Parce que James saura.
L’envie de jouer, de rallumer l’électricité qui a toujours crépité entre nous me démange. Il aime ça. Et moi aussi. Je me permets un petit coup d’œil par-dessus l’épaule. Il m’ignore superbement, campé face à la fenêtre panoramique, absorbé par le manège des corps en contrebas. Comment ça il me regarde pas ? Tant mieux. Je préfère. Vraiment. Je m’en fiche. Au moins, je glane un peu d’intimité pour me changer.
Je retire ma robe : elle s’effondre à mes pieds dans un froissement humide. La fraîcheur mord mon épiderme, et dans ce soubresaut, j’hésite une seconde. Dans le meuble d’en face, Mati stocke des serviettes pour ses séances de… plein de trucs, je suppose, mais ça voudrait dire me retourner, totalement nue, et risquer le contact visuel avec James. Hélas, mon audace antérieure a levé le camp — décidément, je suis bien plus courageuse si je ne réfléchis pas ou… quand un Highlander au sang chaud me prodigue des attentions très manuelles. Ce qui, convenons-en, est tout de suite plus motivant.
J’enfile ma tenue de secours tant bien que mal, la matière s’accroche à ma peau moite, mène sa petite insurrection, chiffonnant mes efforts. Sérieux… M’habiller devient un vrai sketch. Je suis à deux doigts de hurler « costume numéro trois ! » à un régisseur imaginaire. Néanmoins, le triomphe est là : me voilà au sec. Mon moral m’ovationne. Oscar de la meilleure performance dans la catégorie « survie textile sous influence ».
Toute fière de moi, je me redresse, lisse rapidement les derniers caprices du tissu contre mes hanches, ravive mes boucles d’un geste expert, puis pivote, prête à annoncer mon grand retour. Sauf que James ne lorgne plus la piste : son attention est tout entière braquée sur moi. Ça me stoppe net. Pendant une seconde, je ne sais plus très bien quoi faire de mes bras ni de mon sourire. Y a-t-il une formation express pour réapprendre à se tenir debout face à un homme torride ?
Pris au dépourvu, je choisis la parade que je maîtrise le mieux : l’humour. Après une rébellion légère des épaules et un rictus naïf, je déploie une pose gracieuse, à la fois chic et pudique. Scène 14, prise 2 : Victoria fait semblant d’être divine et pas du tout en panique intérieure.
— Tadam !
Aucune réaction immédiate. Il me dévisage, lentement, méthodiquement, de la tête aux pieds, sans la moindre hâte. Puis, un mot — le verdict :
— Fuck.
James oscille la tête, surpris mais visiblement conquis. Un frisson crapule zigzague le long de ma colonne, fugace et traitre. Mes ovaires lèvent leurs pouces. Super, point pour moi. Mission séduction réussie : merci la robe. Et maintenant quoi ?
Mes doigts remontent machinalement ajuster la lanière sous ma poitrine, autant pour occuper mes mains que pour canaliser les papillons sous le nombril. Bon, il va me scanner encore longtemps comme s’il décodait un dossier confidentiel ?
Je me racle la gorge et embraye :
— Tu vas rester planté là à buguer, ou tu comptes me dire si l’effet « ange » fonctionne ?
— Ange ?
— Oui, c’est la tenue que je porte sur la vidéo promo de la soirée Halloween. C’est dans deux jours.
D’un coup de menton, je pointe les ailes posées au sol.
— Elles vont avec… mais je vais éviter de les enfiler.
Parce qu’à tous les coups, j’allais les coincer dans une enceinte ou assommer un serveur.
— Faudrait pas que tu te mettes à croire que je suis là pour t’emmener au paradis, lancè-je, mutine.
Il esquisse une moue joyeuse, une vrai, qui creuse une fossette au coin de sa joue. Trop craquant.
— T’es sûre que t’es pas tombée du ciel, toi ? réplique-t-il.
Je mords l’intérieur de ma lèvre, tiraillée entre sourire et soupir. Typiquement le genre de phrase qui, chez n’importe qui d’autre, me ferait fuir. Mais dans sa bouche, ça m’arrache un frisson. Allez comprendre. Avec lui, même les clichés ont du charme. Alors je le prends, sans chipoter, et franchis les trois mètres qui nous séparent.
— J’ai remarqué le nouveau tatou. Et ce petit coup de ciseaux ? Crise identitaire ou besoin de renouveau ?
— Disons que j’avais besoin d’un vent frais. Changer de tête, c’est plus simple que changer de peau…
Il glisse cette phrase d’un ton calme, au reflet taquin, pourtant, son regard agrippe un non-dit. J’y décèle un accroc, une fêlure, une faille maquillée qu’aucune coupe de cheveux ne saurait dissimuler. Il y a là-dessous du rentré, du tassé sous le plexus, de l’inhumé à la va-vite. Ce « vent frais » sonne davantage échappée que renaissance.
Le James de maintenant porte les contours de celui de l’été passé. Même regard. Même posture. Mêmes tics familiers. Mais quelque chose en lui semble avoir été décanté, déplacé en souterrain. Est-il en train de devenir quelqu’un d’autre ? Est-il toujours lui ? J’en sais rien… Je n’ai que des points d’interrogation coincés dans la gorge. Aucun ne trouve la sortie. Je pourrais creuser. Tirer le fil, forcer le coffre fort. La vérité m’effraie plus que ses silences. J’emmure donc mes questions et les recouvre d’un voile volontaire. Elles attendront. Demain. Ou jamais. C’est confortable, le jamais, parfois.
Je lui adresse un sourire, ténu, un peu vacillant, mais sincère.
— Monsieur Cameron, puis-je vous demander une faveur ?
Mes doigts frôlent les siens, avec la prudence d’un battement de cils. James abolit l’hésitation, enlace nos paumes, nous lie.
— Toujours.
Danser me parait être la seule chose sensée à faire. Bouger, se laisser porter, sentir son regard sur moi, retrouver cette connexion charnelle sans avoir à parler tout de suite. La parole peut mentir. La peau, non. J’aimerais qu’on s’effleure autrement, qu’on se lise avec les mains. Dans le rythme.
— Embrasse-moi. Et danse avec moi, tu veux bien ?
Ce soir, il suffit. Pas de discours. Juste la pulsation d’exister à deux.
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