8.2 * VICTORIA * LESSIVE EN BOÎTE
V.R.de.SC
* *
*
30.10.22
01 : 45
♪♫ ??? — ??? ♪♫
Une dose de lessive. Une autre d’adoucissant. Programme 3 enclenchée, quarante degrés, essorage modéré. L’art du soin textile, version clubbing. Pendant que le monde explose en décibels et ivresse, moi, je fais mumuse avec une interface de machine à laver. Les plaids du rooftop, encore gorgés de pluie, s’entassent dans le tambour. Le monstre d’acier se met en branle, râle, soupire, puis ronronne sa symphonie laborieuse : l’ode au lavage intensif.
La chemise blanche de James tourne déjà dans le sèche-linge : délicatesse et chaleur tempérée pour elle. Prélude à sa renaissance. Huit minutes et trente-deux secondes avant qu’elle ne réapparaisse, chaude et sans pli.
Mains sur les hanches, j’observe les chiffres clignoter. Mission buanderie : en cours. Statut ? Absurdement solennel.
— Tu fais souvent des lessives dans des clubs de nuit ?
Son français roule dans sa bouche comme un whisky doux qui transforme une simple question en demi-caresse.
Je lui lance un coup d’œil en coin, indifférent en apparence, torride s’il lit entre les lignes.
— Quand l’occasion se présente, pourquoi pas, je réponds en haussant une épaule.
Bras tendu, je calibre la température du sèche-linge. Un petit bip confirme l’ajustement.
— On ne va quand même pas laisser traîner ces plaids tous mouillés. Et ta chemise mérite mieux qu’un sac plastique oublié sous une banquette.
Il rit. Un son feutré, qui se perd dans l’océan des basses pulsées.
— J’aime bien, ajoute-t-il. Te voir dans ton élément.
S’il s’émerveille d’un rien, même d’une lessive nocturne, il est plus atteint que moi.
— Mon élément ? Une buanderie carrelée avec trois machines et des effluves de savons de synthèse ?
Il valide d’un mouvement du menton, les prunelles brillantes de malice.
— Exactement. La prêtresse du cycle délicat, déclare-t-il.
Je dévisage le plafond, les lèvres hantées d'amusement.
Il est quasi 2 h du matin, le club bat son plein. Mes invités, cette bande de traîtres d’élite, m’ont lancé des regards mi-ahuris, mi-morts de rire en m’apercevant filer vers le rez-de-chaussée sans autre explication que les deux couvertures en boules dans mes bras et un revenant sexy à mes basques. Je parie que personne n’avait prévu un épisode de « Lessive en boîte » en guise d'apothéose mousseuse pour mon anniversaire. Ironie du sort : me voilà occupée à bidouiller des programmes de séchage en robe de soirée. Le tableau est pour le moins insolite.
Que ferait une héroïne de roman à ma place ? Transformer ce local technique en haut lieu érotique en s’envoyant en l’air au rythme du tambour en furie. Ouais, ouais. Je fixe la machine un instant, puis tourne trèèès lentement la tête vers le magnifique spécimen mâle parfaitement calibré à mes côtés, histoire de laisser mon hémisphère lubrique s’offrir un détour interdit bien mérité. Rien de criminel, juste un écart. Après tout, Monsieur s’est autoproclamé disciple du néant charnel, grand bien lui fasse. Moi, je reste païenne, aucune promesse au compteur, aucune clause de sobriété charnelle. Et s’il croit que ça me refroidit, il se fourre le tartan dans l’œil.
À distance réglementaire, ledit revenant sexy sourit. Il est adossé au mur carrelé, les bras croisés, mine de trouver tout ce manège étrangement fascinant. Son regard me fouille, comme s’il tentait de deviner mon code génétique. Ça me donne l’impression d’être une espèce rare tout juste découverte… Allons le titiller.
Je saisis une perche imaginaire et m’en sers pour l’ébranler :
— Dis-moi, t’as déjà exploré le cycle très chaud de la lessive érotique ? C’est une tradition urbaine, paraît-il.
Pris au dépourvu, il cligne. Micro latence dans le système. Puis, il change de pied d’appui, incline le menton vers le sol, secoue la tête, avant de se marrer à mi-voix.
— Déjà testé. Mais je prends les suggestions.
Déjà ? Bah, oui, évidemment. Ce mec a déjà dû faire l’amour au sommet d’un phare, au clair de lune, avec une cornemuse en fond sonore… Les trois en même temps.
— Et toi ?
Je relève mes mirettes du hublot. Bien sûr qu’il allait me renvoyer l’ascenseur. Fuite, franchise ou provocation ? Un mix des trois. À sa sauce écossaise impénétrable.
— Pas encore…
Je tends le silence comme un drap fraîchement tiré, puis en profite pour afficher une bouille de sainte-nitouche en opération de séduction discrètement toxique.
— Regarde-la un peu, cette brave machine, on dirait pas qu’elle nous fait de l’œil ? Tu sais, je suis une étudiante modèle : appliquée dans l’effort, rigoureuse dans la répétition… avec un sens aigu du devoir accompli.
Il expire un ricanement étouffé, se redresse. Besoin de verticalité, d’oxygène ou d’un mur rassurant, je suppose. Mmh. Prends de la hauteur, Highlander. La chute n’en sera que plus savoureuse…
— Tu lâches jamais l’affaire, toi.
Ma ténacité ? Semblable à la sienne. De l'orfèvrerie. Poli à la langue, sertie d'un rictus suggestif.
— T’as rechargé ta mémoire avec un câble lent, ou quoi ? Ça a fait tilt à quelle étincelle ? Premier flash ou troisième soupir ?
Un sourire me pétille aux lèvres, mousse légère, indocile. Le sien vient en réponse, synchronisé comme une gorgée volée dans le même verre.
En mode patronne sadique qui compte les secondes de retard, je lève mon bras, la montre en arbitre.
— Dis-moi… à quelle minute précise t’as entériné l’arrêt de nos réjouissances ? T’es certain de ton horodatage ? Moins d’une heure ? Vraiment ?
Je tapote le cadran du bout de l’ongle. Rappel à l’ordre.
— L’aiguille tourne James…
Tic-tac, mon grand.
— T’es insatiable, ma parole !
— J’ai pas signé pour l’éternité contemplative, moi.
Avant même que la fin de la phrase ne quitte mes lèvres, il est déjà là — au-dessus, autour, partout. Je hoquète de surprise, recule d’un pas, mais le carrelage froid dans mon dos me cueille en traître. Ses doigts cinglent mes poignets, m’entravent, me clouent. OK. Pas besoin de menottes, le chaton montre les crocs. J’espère qu’il n’a pas juste prévu de miauler.
D’un geste, il me gouverne. Lentement, avec une maîtrise qui frôle l’indécence, il m’étire, bras au ciel, enchaînée par sa seule paume. Cette assurance ? Arrogante. Méritée. Mon absence de culotte plaide coupable.
James, c’est un lion de brume : silencieux, patient… terriblement efficace quand il attaque. L’ombre n’a jamais eu d’odeur plus enivrante. Que me réserve-t-il, maintenant que ses griffes frémissent sous la fourrure ? J’ai hâte qu’il croque. J’ai envie d’être marquée.
Naturellement, je me laisse faire. Mieux : je participe. Reins fléchis, mon bassin parle son dialecte, ondule, renoue les présentations, réclame. Il croit mener. Il oublie que je guide. En douce. Avec les hanches. Autant l’encourager pour sa prise, non ? Faut qu’il sache que je suis un trophée bien vivant qui vibre, qui veut, qui vaut la lutte.
— Vas-y, fais-toi plaisir, qu’est-ce que t’attends ? Mon feu vert ? Tu l’as depuis des kilomètres.
Un rire guttural, dense, roule entre ses dents et vient s’épancher dans le creux de mon ventre.
Il abaisse le visage vers mon oreille, souffle contre ma peau :
— Putain, t’as pas froid aux yeux… ni ailleurs, à ce que je vois.
Son regard chute brièvement, allusion claire à l’absence de tissu stratégique. Il arque un sourcil.
— Elle est toujours au chaud dans ma poche. Je pense que je vais te l’enfiler moi-même. À ma façon. Avec les dents.
Mes joues chauffent. Mes neurones surchauffent. Mes ovaires entament leur happening. Si cet homme s’avise de… de… Nom de dieu… Manquerait plus que sa tête entre mes cuisses, sa barbe piquante, sa langue joueuse pour que je hurle à la lune — pleine ou pas — comme une louve en chaleur.
— Non… non, c’est bon ! bafouillè-je, à moitié paniquée, à moitié excitée.
Sa gaieté se déploie contre ma tempe. Un éclat tropical, à peine audible, mais diablement sonore. Il me lâche sans vraiment me rendre la liberté : mes poignets flottent pendant que sa main trace un chemin tout en légèreté — version plume carnivore uand même — le long de mon bras. Juste avant mon aisselle, il s’engage avec une clairvoyance rétrospective et prémonitoire vers ma poitrine — un réflexe salutaire, évitant d’un cheveu une fin brutale pour son patrimoine génétique. Une seule chatouille et je le castre sur place. C’est mon talon d’Achille, mon allergie, mon déclencheur et ce beau diable le sait parfaitement bien. Garder le contrôle, toujours. Enfin, le plus possible.
Je prends une inspiration un peu trop saccadée, un coup de fouet au calme, avant d'affûter ma langue :
— T’as l’art de viser à côté, James. C’est pas ma culotte que je veux sentir entre mes jambes.
Il grogne… Non, il avertit. Cette vibration rauque et profonde résonne dans sa cage thoracique et s’écrase contre mes défenses.
— T’as raison, Vi. Le coton, très peu pour moi. J’ai autre chose à introduire là-dessous. Plus rugueux. Bien plus vivant.
— Promis ?
Ah, ce sourire… il a le goût de la foudre avant le tonnerre. Y a plus de sécurité nulle part.
Un souffle plus tard, il est sur ma gorge. Ses lèvres s’y plaquent sans prévenir, voraces, fiévreuses. Il mord, lèche, boit. À croire que je contiens son antidote. Sa paume atterrit sur mon sein, le dénude, le palpe avec frénésie. J’aurais dû m’y attendre et pourtant… Cette secousse, lorsqu’il happe mon téton, m’éclate les nerfs, efface toute logique. Mon crâne heurte la paroi derrière moi, mes genoux flanchent, un couinement — classe, très maîtrisé — m’échappe, aussitôt noyé dans un râle qui vacille entre extase, effondrement et la promesse d’un sale quart d’heure pour ma vertu. Mes mains retombent, s’agrippent à lui à l’aveugle : ses épaules, son col, la moindre parcelle que je peux atteindre. Rotation. Friction. Montée en température. Il est temps d’essorer les dernières résistances. Il me mange. Littéralement. Il absorbe tout : ma texture, ma respiration, mes tremblements. Plus rien n’existe que sa bouche et ce feu rampant sous mon derme qui réclame la combustion totale. Sans drapeau, sans condition, je me rends. Une offrande emballée de moiteur et d’impatience.
Plutôt que de me submerger, mon amant réfrène l’assaut. Ses paumes attrapent les miennes. Il tresse nos doigts ensemble, nous enchevêtre et guide nos poignets vers les hauteurs, au-dessus de nos têtes. Il ne me bride pas. Il m’arrime, profondément, comme s’il m’implantait là, contre lui. Et je m’ancre à nous.
Nos fronts se rejoignent, se frottent. Peau contre peau, sueur mêlée, pulsation commune, pure tendresse. Mon cœur cogne à dix mille à l’heure. Lui aussi peine à reprendre son souffle, son torse bat des ailes contre le mien, écho parfait de mon chaos. Sa bouche a retrouvé la délicatesse. Elle explore à petits pas : une caresse sur ma tempe, un baiser effleuré au coin des lèvres, un frôlement sur l’arête de mon nez. Ses paupières sont closes, il débranche tout, se laisse porter par l’instant. Pas moi.
Moi, je le scrute à m’en crever les yeux. Il est trop beau. Trop vrai. Trop tout. Je l’inhale par tous les pores. Je l’inventorie comme une relique : chaque cil, chaque tressaillement, chaque bruit de gorge m’apparaît sacré. Il devient mon paysage. Mon silence. Ma faim. Il me soumet l’essentiel, sans vernis et je m’y vautre, allouvie de ce que je n’ai jamais su nommer. Mais là, maintenant, j’en ai presque une idée. Et ça me fout les jetons.
Annotations