8.3 * VICTORIA * LESSIVE EN BOÎTE

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CHAPITRE 8.3


LESSIVE EN BOITE


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V.R.de.SC

30.10.22

01 : 20


♪♫ ??? — ??? ♪♫



Une dose de lessive hypoallergénique, une autre d’adoucissant couleur brise marine. Programme 3 enclenchée, quarante degrés, essorage modéré. L’art du soin textile, version clubbing. Pendant que le monde explose en décibels et ivresse, moi, je fais mumuse avec une interface de machine à laver. Les plaids du rooftop, encore gorgés de pluie, s’entassent dans le tambour. Le monstre d’acier se met en branle, râle, soupire, puis ronronne sa symphonie laborieuse : l’ode au lavage intensif.

La chemise blanche de James tourne déjà dans le sèche-linge : délicatesse et chaleur tempérée pour elle. Prélude à sa renaissance. Huit minutes et trente-deux secondes avant qu’elle ne réapparaisse, chaude et sans plis.

Mains sur les hanches, j’observe les chiffres clignoter. Opération buanderie : en cours. Statut ? Absurdement solennel.

— Tu fais souvent des lessives dans des nightclubs à 1h du mat ?

Son français roule dans sa bouche comme un whisky doux qui transforme une simple question en demi-caresse.

Je lui lance un coup d’œil en coin, indifférent en apparence, torride s’il lit entre les lignes. Monsieur est appuyé contre le mur, posture détendue et magnétique, jambes légèrement croisées, une main dans sa poche l'autre pianote le capot vrombissant. Je pousse mon regard vers les étoiles, espérant qu'elles interviennent : avis à la population, affiche publicitaire ambulante pour la loi vivante de l'attraction fatale en vadrouille. Tous aux abris : impact immédiat sur les cœurs et les pupilles garanti !

— Quand l’occasion se présente, pourquoi pas, je réponds en haussant une épaule.

Bras tendu, je calibre la température du sèche-linge. Un petit bip confirme l’ajustement. Pour ne rien révéler de mon trouble, je continue à déblatérer logistique.

— On ne va quand même pas laisser traîner ces plaids tous mouillés. Et ta chemise mérite mieux qu’un sac plastique oublié sous une banquette.

Il rit. Un son feutré, qui se perd dans l’océan des basses pulsées.

— J’aime bien te voir dans ton élément.

S’il s’émerveille d’un rien, même d’une lessive nocturne, il est plus atteint que moi.

— Mon élément ? Une buanderie carrelée avec trois machines et des effluves de savon de synthèse ?

Il valide d’un mouvement du menton, les prunelles brillantes de malice.

— Exactement. La prêtresse du cycle délicat, déclare-t-il.

Je dévisage à nouveau le plafond, les lèvres hantées d'amusement.

À l'heure où la lune culmine, le club bat son plein. Mes invités, cette bande de traîtres d’élite, m’ont lancé des regards mi-ahuris, mi-morts de rire en m’apercevant filer vers le rez-de-chaussée sans autre explication que les deux couvertures en boules dans mes bras et un revenant sexy à mes basques. Je parie que personne n’avait prévu un épisode de « Lessive en boîte » en guise d'apothéose mousseuse pour mon anniversaire. Ironie du sort : me voilà occupée à bidouiller des programmes de séchage en robe de soirée. Le tableau est pour le moins insolite.

Que ferait une héroïne de roman à ma place ? Faire de ce local technique un temple érotique en s’envoyant en l’air au rythme d'un tambour furieux — et un brin de rodéo Jamesien ne me déplairait pas non plus. Je fixe la machine un instant, puis tourne trèèès lentement la tête vers le magnifique spécimen mâle parfaitement calibré à mes côtés, histoire de laisser mon hémisphère lubrique s’offrir un détour interdit bien mérité. Rien de criminel, juste un écart. Après tout, Monsieur s’est autoproclamé disciple du néant sensuel, grand bien lui fasse. Moi, je reste païenne, aucune promesse au compteur, aucune clause de sobriété charnelle. Et s’il croit que son attitude me refroidit — certes, dans des circonstances moins exaltées, si ma raison commandait, peut-être que je méditerais plus longuement — mais en l'état, il se fourre le tartan dans l’œil.

À distance réglementaire, ledit revenant sexy sourit, mine de trouver tout ce manège étrangement fascinant. Son regard me fouille, comme s’il tentait de deviner mon code génétique. Je suis donneuse universelle et toi ? Si tu es receveur compatible, prépare-toi à des transfusions intensives.

Son insistance me fait passer pour une espèce rare tout juste découverte… Allons le titiller.

Je saisis une perche imaginaire et m’en sers pour l’ébranler :

— Dis-moi, tu as déjà exploré le cycle très chaud de la lessive érotique ? C’est une tradition urbaine, paraît-il.

Pris de court, il cligne. Microlatence dans le système. Puis, changement de pied d’appui, inclination du menton vers le sol, secouage de tête, avant riposte.

— Déjà testé.

Déjà ? Bah, oui, évidemment. Ce mec a dû faire l’amour au sommet d’un phare... Au clair de lune... Avec une cornemuse en fond sonore... En jonglant avec des torches enflammées... Kilt flottant au vent...Tout en même temps.

— Et toi ?

Je relève mes mirettes du hublot. Bien sûr qu’il allait me renvoyer l’ascenseur. Fuite, franchise ou provocation ? Un mix des trois. À sa sauce écossaise impénétrable.

— Pas encore… j'attendais juste un volontaire motivé pour qu'on s'entraîne ensemble.

Je tends le silence comme un drap fraîchement tiré, puis en profite pour afficher une bouille de sainte-nitouche en opération de séduction discrètement toxique.

— Regarde-la un peu, cette brave machine, ne dirait-on pas qu’elle nous fait de l’œil ? Tu sais, je suis une étudiante modèle : appliquée dans l’effort, rigoureuse dans la répétition, avec un sens aigu du devoir accompli.

Il expire un ricanement étouffé, se redresse. Besoin de verticalité, d’oxygène ou d’un mur rassurant, je suppose. Mmh. Prend de la hauteur, Highlander. La chute n’en sera que plus savoureuse…

— Tu lâches jamais l’affaire, toi, lance-t-il.

Ma ténacité ? À la mesure de la sienne. De l'orfèvrerie. Poli à la langue, sertie d'un rictus suggestif.

— Aurais-tu rechargé ta mémoire avec un câble défectueux, James ? Je pensais que tu aurais au moins compris ça de moi.

Un sourire me pétille aux lèvres, mousse légère, indocile. Le sien vient en réponse, synchronisé comme une gorgée volée dans le même verre.

Telle une patronne sadique qui compte les secondes de retard, je lève mon coude, montre en arbitre.

— Dis-moi… à quelle minute précise as-tu entériné l’arrêt de nos réjouissances ? Es-tu certain de ton horodatage ? Moins d’une heure ? Vraiment ?

Je tapote le cadran du bout de l’ongle. Rappel à l’ordre.

— L’aiguille tourne James…

Tic-tac, mon grand.

— T’es insatiable, ma parole ! À croire que t'as pas...

Il musèle sa conclusion. Qu'allait-il prétendre au juste ? La curiosité me pique le palais.

— Oui ? Va au bout de ta pensée, je te prie.

— Non, rien.

— Mmh. Que tu continues de provoquer mes envies inavouables. Rien de neuf sous le soleil. J’ai pas signé pour l’éternité contemplati...

Avant même que le point final ne quitte mes lèvres, il est déjà là — au-dessus, autour, partout. Je hoquète de surprise, recule d’un pas, mais le carrelage froid dans mon dos me cueille en traître. Ses doigts cinglent mes poignets, m’entravent et me clouent bras au ciel, enchaînée par sa seule paume. OK. Pas besoin de menottes, le chaton montre les crocs. James, c’est un lion de brume : silencieux, patient… terriblement efficace quand il attaque. Que me réserve-t-il, maintenant que ses griffes frémissent sous la fourrure ? J’espère qu’il n’a pas juste prévu de miauler. J’ai hâte qu’il croque. J’ai envie d’être marquée. Son assurance ? Arrogante. Méritée. Mon absence de culotte plaide coupable.

Naturellement, je me laisse faire. Mieux : je participe. Reins fléchis, mon bassin parle son dialecte, ondule, renoue les présentations, réclame. Il croit mener. Il oublie que je guide. En douce. Avec les hanches. Autant l’encourager pour sa prise, non ? Faut qu’il sache que je suis un trophée bien vivant qui vibre, qui veut, qui vaut la lutte.

— Vas-y, fais-toi plaisir, qu’est-ce que tu attends ? Mon feu vert ? Tu l’as depuis des kilomètres.

Un rire guttural, dense, roule entre ses dents et vient s’épancher dans le creux de mon ventre.

De chatouille à frisson, la caresse furtive de ses ongles qui glissent audacieusement sous le coton de ma robe, tracent des arabesques insolentes sur mon épiderme dérobé, dicte la cadence de mes halètements.

James abaisse le visage vers mon oreille, souffle contre ma peau :

Crap, t’as pas froid aux yeux… nor upstairs nor downstairs, lass[1].

Son regard chute brièvement, allusion claire à l’absence de tissu stratégique dans ma zone turbulente. Il arque un sourcil.

— Ton petit accessoire fantôme traîne toujours au chaud dans ma poche. Par simple formalité, je pense que je vais te le réenfiler. À ma manière... With my teeth, nice and slow[2].

Mes joues chauffent. Mes neurones surchauffent. Mes ovaires entament leur happening. Si cet homme s’avise de… de… Nom de dieu… Manquerait plus que sa tête entre mes cuisses, sa barbe piquante, sa langue joueuse pour que je hurle à la lune — pleine ou pas — comme une louve en chaleur.

— Non… non, c’est bon ! bafouillè-je, à moitié paniquée, à moitié excitée.

Un éclat tropical, à peine audible, mais bigrement sonore se déploie contre ma tempe — preuve manifeste que Monsieur considère mon « non » comme une adorable hypothèse de travail. Il consent à me délier — poliment. Mes poignets demeurent toutefois dans cet état transitoire où la liberté reste une notion théorique, pendant que sa main trace un chemin tout en légèreté — version plume carnivore tout de même — le long de mon bras. Juste avant mon aisselle, il s’engage avec une clairvoyance rétrospective et prémonitoire vers ma poitrine — un réflexe salutaire, évitant d’un cheveu une fin brutale pour son patrimoine génétique. Une seule chatouille et je le castre sur place. C’est mon talon d’Achille, mon allergie, mon déclencheur et ce beau diable le sait parfaitement bien. Garder le contrôle, toujours. Enfin, le plus possible.

Coup de fouet à mon faux calme, je prends une inspiration un peu trop saccadée, avant d'affûter ma langue :

— Tu as l’art de viser à côté, James. Ce n’est pas ma culotte que je veux sentir entre mes jambes.

Il grogne… Non, il avertit. Cette vibration rauque et profonde résonne dans sa cage thoracique et s’écrase contre mes défenses.

— Tu as raison, Vi. Le coton, très peu pour moi. J’ai autre chose à introduire là-dessous. Plus rugueux. Bien plus vivant.

— Promis ?

Ah, ce sourire… Il a le goût de la foudre avant le tonnerre. Il n’y a plus de sécurité nulle part.

Un souffle plus tard, il est sur ma gorge. Ses lèvres s’y plaquent voraces et fiévreuses. Il mord, lèche, boit. À croire que je contiens son antidote. Sa paume atterrit sur mon sein, le dénude, le palpe avec frénésie. J’aurais dû m’y attendre et pourtant… Cette secousse, lorsqu’il happe mon téton, m’éclate les nerfs, efface toute logique. Mon crâne heurte la paroi derrière moi, mes genoux flanchent, un couinement — trés classe, très maîtrisé — m’échappe, aussitôt noyé dans un râle qui vacille entre extase, effondrement et la promesse d’un sale quart d’heure pour ma vertu. Mes mains retombent, s’agrippent à lui à l’aveugle : ses épaules, son col, la moindre parcelle que je peux atteindre. Rotation. Friction. Montée en température. Il est temps d’essorer les dernières résistances. Il me mange. Littéralement. Il absorbe tout : ma texture, ma respiration, mes tremblements. Plus rien n’existe que sa bouche et ce feu rampant qui réclame la combustion totale. Sans drapeau, sans condition, je me rends. Une offrande emballée de moiteur et d’impatience.

Hélas, plutôt que de me submerger, mon amant réfrène l’assaut. Ses paumes attrapent les miennes. Il tresse nos doigts ensemble, nous enchevêtre et guide nos poignets vers les hauteurs, au-dessus de nos têtes. Il ne me bride pas. Il m’arrime, profondément, comme s’il m’implantait là, contre lui. Et je m’ancre à nous.

Nos fronts se rejoignent, se frottent. Peau contre peau, sueur mêlée, pulsation commune, pure tendresse. Mon cœur cogne à douze mille à l’heure. Lui aussi peine à reprendre son souffle, son torse bat des ailes contre le mien. Sa bouche a retrouvé la délicatesse. Elle explore à petits pas : une caresse sur ma tempe, un baiser effleuré au coin des lèvres, un frôlement sur l’arête de mon nez. Ses paupières sont closes, il débranche tout, se laisse porter par l’instant. Pas moi.

Moi, je le scrute à m’en crever les yeux. Il est trop beau. Trop vrai. Trop tout. Je l’inhale par tous les pores. Je l’inventorie comme une relique : chaque cil, chaque tressaillement, chaque bruit de gorge m’apparaît sacré. Il devient mon paysage. Mon silence. Ma faim. Il me soumet l’essentiel, sans vernis et je m’y vautre, nanti de ce que je n'ai jamais su vraiment nommer. Mais là, maintenant, j’en ai presque une idée. Et cette... cette tornade me flanque les jetons.


[1] Ni en haut ni en bas, ma belle.

[2] Avec mes dents, tout doucement.

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