9.4 * VICTORIA * SOUS INFLUENCE
V.R.DE.SC
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30.10.22
03 : 10
♪♫ ??? — ??? ♪♫
Au bord de la surcharge, écartelée entre embrasement et saturation, je vacille. L’épicentre ? Un cœur au supplice, fendu de l’intérieur. Les murs tremblent avec moi, au rythme de mes battements disparates. Encore un peu et je m’effondre avec les cloisons : on pourra me ramasser à la petite cuillère, morceau par morceau.
Tout est crampé : ma gorge fait des nœuds en travers de mon souffle, mon estomac retourne sa bile dans tous les sens, mon cerveau crame au soleil noir de ses déclarations. J’ai mal à l’ego, mal à l’âme, mal au silence. Un vrai trois-en-un de la misère sentimentale. Et cette sirène d'alarme, en moi, qui hurle en continu sans le moindre bouton off... Elle a confisqué le gouvernail, transformé ma coque en passoire Le fond est en approche… Ma seule manœuvre de survie ? Larguer les poids morts…
Je me redresse d’un coup, crache presque les mots, incapable de les retenir.
— Il me demande une autre chance, Lauri ! Une putain de deuxième chance ! T’y crois, toi ?
Non mais oh ! Je fais office de centre de réclamation affective, peut-être ? Il s’imagine que mon amour fonctionne avec un programme de fidélité ? Très bien. Je vais lui remplir un joli formulaire : « Clause 1 — Prévenir avant de partir en stage Casper ». « Clause 2 — Ne pas confondre disparition et cliffhanger romantique ». « Clause 3 — Je ne suis pas une salle d’attente, encore moins un sanctuaire pour les touristes égocentriques paumés ». Qu’il cherche son AirBnB sentimental ailleurs !
Mes mains affolées codent dans l’air un dialecte que seul la folie sait lire. Quand ma bouche s’ouvre, c’est l’indignation qui articule.
— Il veut revenir… Sauf que j’ignore pourquoi il s’est barré ! Nada. Aucune raison. Juste ce trou — et moi au fond.
Sans notice, sans veilleuse pour les nuits noires. Top, niveau expérience immersive cauchemardesque.
Je quête mon souffle dans les décombres.
— C’est pas du pardon qu’il espère. C’est une issue de secours. Je suis censée jouer la poignée de porte, c'est ça ?
En voilà un allumeur de plus, persuadé que les gens servent d’extincteurs. Qu’il se trouve une autre serrure à forcer ! Je ne suis ni sa boîte à outils ni son paillasson. La quincaillerie est fermée pour maintenance psychique !
Lauri, impassible au cœur du fracas, glisse vers moi et enfonce son regard bleu polaire dans le mien.
— T’as les cartes en main, Vic. Il t’a laminée ? T’as le droit de le virer. Qu’il dégage.
Je sursaute.
— Non !
Ma voix s’éventre, aiguisée au-delà de l'intention. Mes jambes rouillées flanchent, écrasées sous le poids de l’aveu que je m’étais interdit.
— Non, Lauri… c’est justement ça le problème.
Bienvenue dans le merveilleux monde de la schizophrénie émotionnelle. Mon foutu besoin d’autonomie se prend les pieds dans le tapis de l'attachement maladif. Je cherche à le haïr et à le garder en même temps. Super combo, Vic : reine de la liberté revendiquée et de la dépendance rampante. Mon féminisme vient de démissionner dans un soupir las. Note laissée sur le frigo mental : « Inapte à la mission. Débrouille-toi avec ton autosabotage ».
Honteuse et en colère contre moi-même, j’abdique du regard, nuque ployée, lacérée par ma trahison intérieure.
— Je ne veux pas qu’il s’en aille. Je le veux encore. Je le veux malgré tout.
Même après l’explosion. Même après l’incendie, les cendres, les murs en ruines, le potentiel naufrage à venir. Y a plus rien qui tient droit là-dedans. Mes synapses désertent, mon cœur tape à l’économie. Pénurie d’énergie vitale. Je soupire. Longuement.
— S’il… s’il part maintenant… je m’effondre. Ou je me noie dans un verre. Ou deux. Ou dix.
Et je redeviens cette loque humaine qui sanglote sous la douche pour masquer les cris. Retour cellule 101.
— J’y arriverais pas…
Mes paupières piquent, réclamant leur ratio de tragédie quotidienne. Merde, mais qu’est-ce qui cloche dans ma cervelle de moineau lunatique ? Je suis complètement à la ramasse, bonne à interner, folle d’espérer et de trembler à l’idée qu’il tourne les talons. Ridicule jusqu’au vertige. L’amour-propre ? Je l’ai balancé par dessus bord à la première escale. Depuis, je fonce, poitrine offerte, vers le carnage.
Lauri, en parfaite sismographe, sent que je suis à une respiration de la crise de nerfs. Alors, elle envoie la blague comme une couverture de survie.
— Tu veux que je t’aide à cramer son prénom dans un rituel de sorcière ou on repart au front ? demande-t-elle.
Je relève la tête, clignements d'yeux désordonnés. Elle a ce demi-sourire sparadrap qu’elle dégaine dans les situations d’urgence.
Elle vient vraiment de dire ça ? Mon rire jaillit, rauque, déglingué, entre gorge et tripes. Voilà, le barrage a sauté. Pas de sanglots, pas encore, mais un spasme de soulagement.
— T’as déjà de la sauge ou on improvise avec des tampons parfumés ? pouffè-je.
Witchcraft & Co, sponsorisé par les flux abondants et les émotions dégorgeantes.
— Oh, avec un déo fruité et un zippo, je te concocte une offrande céleste et invoque des démons vengeurs en string si tu le souhaites.
Et je n’en doute pas. Lauri pourrait faire danser les Enfers en slip léopard si ça pouvait recoller mon cœur. Je l’aime à en pleurer de reconnaissance, cette nana. Ses yeux qui ne tremblent pas, ses répliques brillantes, son art de me convaincre que l’abîme est traversable. Elle maintient mes débris, le temps que je reprenne forme et respire par les interstices.
Sous son regard bienveillant, je renifle discrètement, puis tamponne mes cils d’un coin d’essuie-main tendu façon sauf-conduit.
— Tu peux le dire : je suis une blessure qui s’infecte toute seule, pas vrai ?
Nouvelle spécialité : me rouler dans des cactus émotionnels. Échardes garanties. Ah non, pardon, pas nouvelle du tout : tradition sous-cutanée.
— T’es humaine. Et surtout, t’as le droit d’être amoureuse d’un abruti, cousine. On a toutes notre quota, crois-moi. Le tout, c’est de savoir si tu veux ressusciter votre histoire ou la jeter dans le bac des erreurs bonnes pour l’enfouissement.
Un soupçon d’oxygène me revient. Suffisant pour rallumer les muscles et ressouder les tendons.
— On y retourne.
À défaut d’un plan, j’ai des jambes. Et une bouche. Pour parler, crier ou embrasser selon l’option choisie sur le moment. Il paraît que l’enfer est pavé de bonnes résolutions.
Lauriane me décoche une petite flèche de scepticisme, sourcil en arc de cercle.
— T’es sûre ? Pas de rituel ce soir ?
— Je vais tenter sans magie. Juste moi.
… et l’illusion du contrôle, comme d’hab.
Courbée au-dessus du lavabo, je ravale le trop-plein et recompose les fragments visibles. Victoria, version réassemblée. Surface lisse, ouragan en sourdine.
Une porte claque. Des pas résonnent. Leslie débarque en fanfare, façon tornade, le sourire vissé aux lèvres, les joues rosies par l’alcool et l’adrénaline de la nuit. Sa voix solaire, débraillée, un peu trop forte pour mon seuil de tolérance, éclate.
— Alors, mes beautés fatales ? Qui s’est envoyé le plus de regards torrides ce soir ?
Elle pointe un index théâtral dans ma direction, faussement accusatrice.
— Toi, Vic. Ton dieu réincarné est en laisse et te mange dans la main. Sérieux, dès que tu bouges un cil, il a la mâchoire qui lèche le sol.
Tu parles. C’est plutôt l’inverse… Lui, il a booké un duplex et me cannibalise l’esprit depuis des mois. Moi, je l’ai installé en colocation avec mes fantasmes et j'exige de garder la caution. L’heure est venue de lui faire casquer le loyer.
Faut vraiment que je renégocie mon panthéon et songe à évoluer en matière de dieux… ou revêtir l'armure du célibat guerrier. J'ai toujours été plus Artèmis qu'Aphrodite.
— Je te l’ai déjà dit, mais je le répète : s’il était pas à tes pieds, perso, je l’aurais bien croqué.
— Tu peux. Il est probablement encore croustillant de promesses foireuses…
Tout juste sorti du four à mille incertitudes…
L’expression mutine de ma meilleure amie change du tout au tout en un quart de seconde. Son front se plisse sous la curiosité, son rire meurt dans sa gorge. Elle capte enfin mon visage, et, sans nul doute, mes traits tirés, mes yeux rougis, mon regard charbon.
Un clignement de paupières et la voilà dégrisée d’un coup.
— Ah… Y a de l’eau dans le gaz… Ambiance radioactivité niveau 3, c’est ça ?
Un tsunami dans un réservoir de propane, si tu veux être précise. Y avait une alarme incendie, mais j’ai coupé le son.
Elle jette un coup d’oeil interrogatif à Lauri, puis revient à moi.
— Te connaissant, fallait s’y attendre…
Allez, je dramatise, donc je suis… Même mes crashs sentimentaux suivent un cahier des charges, manifestement. Avec ponctualité suisse et tragédie grecque. Désespérant. Quelle rigueur admirable, vraiment...
Leslie se poste devant la vasque. Le robinet geint doucement. Elle module le débit, bénit ses pommettes, tamise sa gorge, tapote sa nuque, en évitant soigneusement les zones sous contrat maquillage. Logique, c’est un rafraîchissement, pas une noyade. Quelques perles d’eau s’aventurent sous son menton ; elle ne bronche pas, indulgente tant que son teint n’est pas en déroute. Sa main balaie l’air en éventail improvisé. Je la soupçonne de pouvoir exécuter cette cérémonie aquatique en pleine apocalypse atomique, sans une bavure au mascara.
— Putain, on dirait que l’enfer a oublié de fermer la porte. Il fait une de ces chaleurs ! J’ai les joues en mode plancha.
Et moi, j’ai le cœur en papillote, s’il faut rester dans la métaphore culinaire…
Leslie pivote, m’inspecte façon caviste devant un vin douteux, et me verse, sans filtre :
— Vic… t’as une tête à faire fuir Cupidon. Qu’est-ce qu’il t’a fait, le dieu à tes pieds ? Il a déconné, c’est ça ? Balance que je puisse lui baptiser le visage au gin tonic.
Chez Leslie, l’amitié se porte en brassard et se cogne au besoin. Du velours, oui. Mais clouté.
Note de l'autrice → Chapitre en ballotage… Blocage intempestif dans le processus de réécriture, impossible d'en sortir proprement pour le moment. Du coup, je choisis de le poster tel quel pour ne pas rester figée.
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