9.5 * VICTORIA * BRIEFING VULVO-CARDIOLOGIQUE
V.R.DE.SC
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30.10.22
03 : 15
♪♫ ??? — ??? ♪♫
Quoi dire ? Je sèche… Grand moment de solitude. Merci, cerveau. Un petit rongeur court en boucle sur une roue, là-dedans, et il a perdu les pédales.
De base, il n’a pas claqué la porte, pas de scène, pas de cris. Il a juste… filé à l’écossaise. Frousse intégrale ? Lâcheté ? Désir consommé et intérêt dissous ? Mystère. N’empêche, James m’a refilé un joli point d’interrogation taille obus en me lourdant. Le genre qui colle à la gorge et gratte la nuit, même dans le sommeil. Toujours est-il qu’il a refait surface. Je sens encore l’onde de choc dans mes tempes. Un reste de vertige au fond des côtes. Ses doigts sur mes hanches, sa bouche au creux de mon cou, son sourire, son odeur et sa façon de m’envelopper des yeux… De dire mon nom. Dieu… Si je l’idéalisais un peu plus, il aurait des ailes et une harpe. Entre poignarder et supplier, mon cœur hésite encore.
Sous le viseur d’enquêtrice en chef de Leslie, me voilà incapable d’articuler la moindre syllabe. Ma meilleure amie s’empare du vide avec la délicatesse d’un coup de pied dans une barricade. Oui, oui, on est coutumière des manifs anticapitalistes, écolos ou féministes — slogans maison, banderoles peintes la veille, colère propre, espoir rageur dans les poches, ce genre de truc…
— Vous avez baisé ?
Toujours le tact d’un lancer de brique. On l’adore, hein. À condition de porter un casque. Je devrais la connaître pourtant. Le jour où elle apprendra la nuance, on sabre le champagne.
— Mati est formel. Vu l’état dans lequel il vous a retrouvés dans son bureau, la cavalcade sus la pluie a dû être un vrai festival de ruades passionnées et de fesses secouées. Regarde ta tignasse, elle ressemble à un arbre après le passage d’un castor hyperactif.
Non, mais ! Un poil vexée, je glisse une main dans mes mèches. Coup d’œil dans la glace. Verdict sans appel. Elle a raison. Un buisson. C’est un buisson. Non, un maquis de frisottis. Tant pis, opération domptage : je tords les dégâts dans un chignon approximatif. Et puis pourquoi tout le monde s’intéresse à ma vie sexuelle ce soir ? Y a eu un vote, une newsletter, un micro-trottoir dans mon dos, ou bien ?
Je reporte mon attention sur Leslie, toujours en extase devant mon naufrage capillaire. La crâneuse ! Avec ses longueurs noires à toute épreuve sans fourches ni nœuds, protégées par un sort de lissage éternel ! Zut !
Et de quoi se mêle Mati ? C’est pas comme si… ah. Oui. Il — on avait peut-être évoqué un… un… délire sensoriel à base d’échange de fluides vaguement psychiatrique programmé pour évacuer nos casseroles émotionnelles à coups de bassins méthodiques. Charmant concept : deux cœurs à la dérive qui se consolent dans une thérapie horizontale, version corps-à-corps désenchantée. M’enfin… pas que j’y pense encore. Enfin, si. Ou non. Si, mais plus avec lui…
Pitié, mes cheveux vont me rendre folle ! J’ai deux foutues mains gauches ou quoi ? C’est officiel : je perds un duel contre mes propres boucles. Qui a besoin d’ennemis ?
Et ma cervelle, là ? En mode libido revival ? Stop. Les. Fixettes. Est-ce que je peux juste me coiffer sans que ses gestes ne s’invitent en filigrane dans ma nuque ? De toute façon, le seul mec capable de me faire léviter tout droit au septième ciel… ne veut pas de moi. Voilà. Rideau. Le public salue, l’actrice pleure en coulisses. Bref, je me prends un bide affectif.
— Vic ? susurre ma geôlière, d’un ton qui s’étire comme du chewing-gum mâché avec malveillance.
Mon mutisme fait crépiter son radar à confidences.
— Arrête d’essayer de noyer le poisson. Jouer les silences éloquents, c’est has been. Dis-moi s’il y a eu explosion de données ou pas.
Je ricane. Intérieurement.
— OK, OK, j’accepte les aveux en clignements de paupières : deux fois pour oui, une fois pour « j’ai pas eu ma dose ».
Rohhh, elle m’enquiquine. Pire qu’un moustique insomniaque !
— Non, on n’a pas couché. Enfin… euh… pas exactement.
Mince, ma réponse a la netteté d’un souvenir de beuverie. Autant balancer des énigmes et voir ce qu’elle pige.
— Tu développes ou je dois lire dans ta culotte ?
Un pouffement me trahit. Je ne vais quand même pas lui confier que ladite culotte a migré dans la poche latérale de l'intéressé. Hystérie temporaire, don de tissu. On ne devrait pas pouvoir léguer sa lingerie dans un moment d’égarement hormonal.
De plus, l’idée de faire un compte-rendu vulvo-cardiologique me tente moyen. La situation mérite un tableau blanc et des schémas et tout et tout. Mais, arggg, si je ne déballe pas, elle va me cuisiner façon FBI. Et avec elle, même les soupirs deviennent des pièces à conviction. Une seule respiration lyrique et elle me colle un procès-verbal pour « omission érotique aggravée ».
Leslie croise les bras devant sa poitrine, expression interro surprise activée, bonus regard à l’encre de soupçon. J’en profite pour m’appuyer contre le lavabo. Dans le miroir, une fille me fixe avec ce petit air sarcastique que j’utilise pour les autres.
— On a… communiqué. Très intensément. Et, il y a eu des gestes. Des intentions. Pas mal de… tension. Mais pas ce que tu crois.
Pas de sexe au sens académique du terme, mais assez de voltage pour alimenter le quartier en courant alternatif. Et pourtant… orgasme. Deux doigts en mission commando et une vengeance moite en guise de contexte. Pas de quoi faire sonner les cloches, normalement. Sauf que là, c’était électrique. Trop. Bien trop pour un mec censé m’avoir quittée par SMS.
Face à ma réponse laconique, Leslie se rabat sur Lauriane. Nouvelle cible, même but.
— Tu sais, toi ?
— Euh… eh bien… blablate Lauri, empêtrée dans sa propre diplomatie de cousine gênée.
— Non, Less, pas de rodéo sauvage, j’interviens avant que Lauri n’explose en bafouillages. C’est pas faute d’avoir tenté. J’étais prête à décoller. Lui, pas. T’as l’image.
Misère… J’avais la main sur sa queue ! Et son expression… fascination remplacée par dégoût… Pourquoi j’ai fait ça ?
— Oh… Ah…
Ses paupières papillonnent et ses synapses font la chenille lumineuse. Je reconnais le regard de celle qui connecte les points plus vite que son ombre. Leslie version profiler. En moins discrète.
— Attends… refus frontal ou retrait stratégique ? T’as pas dégainé ton fameux « je maîtrise tout, même la météo sexuelle », par hasard ? Faut pas leur piquer la manette, sinon ils buguent, ces pauvres mâles. C’est pas leur faute, c’est Darwin : ils flippent dès qu’on prend le dessus. Y a un neurone qui court-jute.
Un sourire invisible me chatouille les lèvres, mais dedans, ça se fendille. Less balance une vanne et repousse l’angoisse d’un centimètre. Son skill d’enfer ? Désamorçage automatique.
— T’es con. Mais t’as peut-être pas tort… Je pense que j’ai grillé son processeur.
Lauri étouffe un rire complice.
— James a dû lire « autonomie féminine » sur son écran bleu, et bam, le système a planté, commente-t-elle.
Je lève les yeux au plafond. Loli, fidèle à son poste : soutien-gorge des blagues de Leslie. Elle valide, tamponne, accrédite. Le comité punchline est en session.
— Non sérieux, c’est ça ? Tu l’as effleuré avec un ongle et il a cru que tu sortais la cravache et le nom de code ? s’interloque Leslie.
— Tu me vois dans un remake de Fifty Shades ? C’est plus ton rayon à mon avis.
— Pas du tout. Plutôt celui de Nina, tranche-t-elle.
Ah bon ?
— Hé, j’ai peut-être une tête à attacher des gens au lit, mais au moins, moi, je les détache après. En plus, j’ai changé ! Je suis dans ma phase sensuelle-expérimentale. La domination, c’était avant la taxe foncière.
Ou avant Mati…
— Il t’a dit quoi ton James ? Que Mercure était rétrograde et que ce n’était pas le bon alignement astral pour tremper la biscotte ? Tu sais… un mec qui recule à une seconde du plongeon, ça sent la vieille blessure, le gros nœud non résolu ou le fantôme dans le slip…
Fantôme ? Non, non, la matière est bien vivante. À classer dans « monument noble » même. C’est ailleurs que ça se complique… Je grimace.
Oui. Il transporte probablement un bloc de granit sous les côtes, ça collerait avec son abandon. Ou bien, un coffre-fort scellé au fond du sternum, comme tout le monde. Et moi, évidemment, j’arrive là-dedans telle une cambrioleuse du dimanche et essaie de crocheter sa serrure avec une épingle à cheveux tordue et deux grigris de conviction, persuadée qu’une séance de galipettes pouvait écarter ses défenses. Faut-il que je me peigne « crétine de luxe » sur mon front ?
— Non, il… il a décrété que j’étais pas en état. Trop de verres, pas assez de lucidité. Il voulait pas que je me réveille avec un « Oups » en travers de la gorge demain matin.
À croire que j’émane des vibes de remords post-coïtal !
— Ah, parce que t’es pompette… Ça se tient, déclare Leslie. Il flippe de finir dans la catégorie « erreur de fin de soirée », comme ceux qu’on efface entre deux bâillements au petit-déj avec un café noir et un Doliprane…
— Il m’a assuré que c’est pas une question de sexe entre nous. Que si c’était juste pour me… sauter, alors non. Il refusait.
Sauf que j’aurais peut-être eu besoin qu’il m’utilise lui aussi, qu’il me déchire les doutes à coups de reins et qu’on joue à l’illusion du réconfort.
— Écoute Vicky, c’est pas un « non » classique, ça, m’expose Lauri. C’est plus un « je suis au bord du coma émotionnel et je te rends ta dignité pendant que j’en ai encore la force », tu ne crois pas ? C’est tout à son honneur en quelque sorte.
L’honneur, ouais. Joli, sur le papier. J’aurais préféré qu’il troque sa grandeur d’âme et qu’il accède à mes désirs, qu’il se salisse un peu et me rejoigne dans la fièvre. Au lieu de ça, il m’a ramenée à la réalité, proprement, poliment — ou pas — comme on borde une brûlure. J’ai l’impression d’être une bouteille qu’on repose sans la boire sur l’étagère des erreurs, même pas débouchée.
— Donc le gars t’a fait un câlin moral, t’a remis ton string et t’a sorti un « dors bien princesse » avec bisou sur le front au lieu de brandir son Excalibur ? Il coche des cases du chevalier du self-control, ton James. C’est limite suspect à ce stade.
Ouais, un type qui connaît le mot consentement alors qu’il a lui-même deux grammes dans le sang ? On frôle la mythologie. C’est pas un homme, c’est un artefact. Une anomalie éthique.
La logique voudrait que je sois flattée, ou rassurée. Mais en vrai, j’ai eu très très envie de hurler dans un oreiller et d’y plonger sa tête ensuite, histoire de partager l’expérience.
Je me détourne un instant, accroche le miroir d’un regard absent. Ce reflet ? Une version brouillon, chantier en cours, chantier sans fin. D’un geste machinal, mes doigts réajustent mon décolleté — pas qu’il soit trop bas, juste… déplacé. Comme moi : à côté, à découvert, mal calée dans le réel. Et sur ce noble constat… pause pipi.
Note de l'autrice → Chapitre en ballotage… Blocage intempestif dans le processus de réécriture, impossible d'en sortir proprement pour le moment. Du coup, je choisis de le poster tel quel pour ne pas rester figée.
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