11.3 * VICTORIA * SOIF D'ANANAS
V.R.de.SC
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30.10.22
03 : 35
♪♫ AGUA NA BOCA — BIAB ♪♫
Mon meilleur ami d’enfance, Camille, engage la conversation avec James. Son verbe fluide a toujours semé des ponts entre nous tous. Instinctivement, je me redresse d’un rien, sous radar, l’oreille plus circonspecte, façon renard guettant l’entrée d’un terrier. Ce n’est pas de la paranoïa si c’est justifié, hein ?
En surface, je mime la décontraction. Mais en secret, je suis tout ouïe. Après tout, mon ex — minute. Est-ce vraiment le terme approprié ? Ou devrais-je choisir un autre vocable ? Je ne l’ai jamais qualifié d’ex auparavant. Ni à voix haute ni dans mon grenier mental. Pas une fois. Pourquoi ? « Ex », ça sonne trop… moche, trop… définitif, rugueux, désagréable. « Ex », ça claque comme une porte qui se ferme à double tour à tout jamais. Sauf que j’avais pas vraiment trouvé la clé.
Je reporte mon attention vers ma droite.
Et puis quoi ? Il est là, non ? À mes côtés. Bras calé derrière ma nuque. Odeur qui chatouille ma mémoire. Et ce raclement de gorge un peu rauque, toujours à l’instant précis où il sélectionne ses mots, en mode soupir retenu sexy. Han-han. Si c’est ça la distance post-rupture, je veux bien reconsidérer le concept. Pas franchement fourré dans la boîte à archives, ce garçon. Il dérange encore mes étagères neuronales. Carton déménagement en attente non étiqueté.
Par conséquent, je l’appelle comment ? Mon « problème mathématique à variables mouvantes » ? Nope, j’aime pas les chiffres. Déjà que je panique à la table de 7, et de 6 aussi, et 8, alors les équations avec des petits cœurs en exposant… Mon « orage tropical intérieur avec accalmies occasionnelles » ? Nope, la chaleur me file de l’urticaire. Je suis plus clim’ psychoaffective à 22 degrés et contrôle absolu. Mon « brouillon dicté par ChatGPT avant passage sous correcteur » ? Nope, une IA n’aurait jamais pondu un truc aussi merdique. Ou plus simple, mon « Kinder surprise spécial toyboy grandeur nature » ? Euh… ouais non, trop la honte celui-là.
Décidément, aucun terme n’adhère. Aucun « sobriquet » ne rend justice à ce foutoir organisé. Zut. Nouveau nœud dans mon cerveau. Est-ce que ça se démêle à coups de tequila ou de thé vert ? Mystère. James. James. James. Putain, il est quoi pour moi ? Une fusion d’ombre et de lumière, d’imprévu et de familier, le bordel orchestré de mes émotions, la seule personne capable de me faire rire et rougir, vibrer et balbutier, flirter et baver en moins de temps qu’il faut pour… racler sa gorge. Misère… Je suis méchamment atteinte.
Un éclat de rire — James ? — me ramène illico sur le plancher des trivialités, comme une grille d’air froid en pleine saison estivale. Mon pote d’enfance et mon… fléau préféré. Celui qui me pique les nerfs tout en massant mes hormones. Non. Mon dessert interdit. Encore à prouver. Mon grumeau sentimental impossible à mixer. Poilant. Mais, non. Mon ciel trouble. Pas mieux. Mon kif karmique en CDD intermittent. Non. Non. Non. Disons, le mec pas totalement raturé de ma vie qui m’a laissé une note vocale que mon crâne refuse d’effacer. Trop. Long. Mon « On verra demain », voilà. Rohhh. OSEF. Donc, Cam, le premier garçon que j’ai embrassé à l’âge de 8 ans planqué dans le placard de Gabriel en pleine partie de cache-cache, puis à 12 ans sur la banquette arrière du bus de ramassage scolaire, mais aussi à 14 ans sur un court de tennis pour rendre jaloux Mélodie et Gaspard, les deux blaireaux pour qui on en pinçait secrètement, et, James — allons au plus simple — papotent.
Je cligne des yeux, flapie. Félicitations, agent double de mes deux. Toi qui pensais espionner incognito : noyade en zone grise. Remonte à la surface, ma fille. Hop hop hop. Respire. Engage les zygomatiques. Fais semblant d’avoir tout suivi. Bienvenue. Scène 1 : caméléone sociale. Ouais, non, primo : réalignement stratégique. Je m’extirpe de mon marasme intérieur pour m’attaquer à la géopolitique textile parce que ma tenue fout le camp : un coup pour requinquer le bivouac côté poitrine, un autre pour installer le drapeau côté fessier. Voilà. Front de la décence rétabli.
Bien. Donc. James entre pour la première fois dans ma constellation amicale. Camille, lui, y gravite depuis toujours, fin connaisseur de mes phases lunaires. Leur tête-à-tête ? Potentiellement un incident diplomatique si je fais pas gaffe. Pas une guerre froide de testostérone territoriale, non. Camille est le mec le plus sympa du monde. Plutôt un sommet bilatéral avec risque élevé de fuites classées « top secret crush ». Genre : ce que je fais quand je suis amoureuse du style gravé des initiales dans l’écorce d’un chêne, faire des playlists avec des titres codés que personne pige sauf moi, me demander comment il m’appellerait dans ses contacts. Élaborer des réponses brillantes à des disputes fictives, au cas où : il s’excuse, je suis géniale, fin du débat. Imaginer notre signature commune sur un bail inexistant. Ouais, mon moi adulte aussi se prend pour une ado parfois. Bref. Oh ! Franchement, qu’est-ce qui me branche de divaguer autant sur des pensées cucul, là ?! Des pensées cul, à la limite…
Priorité : m’assurer que James n’ait pas l’impression d’être un intrus dans ma soirée. Piquée par un élan de tendresse, mes doigts cherchent les siens. Il réagit aussitôt en jetant un œil à nos paumes nouées, m’offre un sourire doux, puis retourne à sa discussion comme si de rien n’était. Wahou, c’est si… naturel ! Mon cœur en caramel fond.
Pour parfaire mon stratagème de ni vu ni connu, j’entame, de mon pouce, des spirales sur le revers de sa main. Une antenne brouillée qui dit : « je décante ». Alors que : pas du tout. J’écoute. Genre message codé pour signifier « je suis chill », bien que je sois en pleine centrifugeuse mentale. Même si la musique aide pas des masses.
Madère. Voilà de quoi ils « devisent ». Rien d’étonnant, ce debriefing. L’un, professeur de tennis et fana de trek et de trail en montagne, et l’autre, globe-trotteur et amateur de surf. Amateur dans le sens adepte de la mort qui tue parce qu’il chevauche les vagues comme un pro. Et puisqu’on parle de chevaucher… disons qu’il me laisse aussi le privilège de le monter de temps en temps. Façon rodéo. Sans selle. Ah ! La voili voilou, la pensée coquine !
Les deux zozios se connaissent depuis trois heures, mais déjà leurs voix s’accordent avec aisance. Ils comparent leurs parcours, s’interrogent sur les saisons idéales pour grimper le Pico Ruivo sans se faire rôtir, débattent de la meilleure plage pour éviter les touristes sans pour autant risquer une entorse sur galets volcaniques.
Je signalerai à aucun des deux que la spécialiste de cet archipel, c’est moi. Trois séjours à mon actif, un herbier de la flore locale, une passion secrète pour la poncha à la mandarine maison et un avantage très avantageux : je parle la langue.
Camille va forcément bifurquer vers la Réunion. Vous savez où j’ai passé mes dernières vacances ? À la Réunion.
L’année dernière, je me suis envolée deux semaines vers cette île de l’océan Indien. Parce que Flora est réunionnaise et qu’elle m’a gentiment invité là-bas. Merci, Camille d’avoir mis le grappin sur cette fille géniale ! Les amoureux se sont lancés à l’assaut du GRR3 — le tour du cirque de Mafate. Trois jours de trek, de dénivelés et de panoramas de cartes postales devenus soudain très verticals. Moi ? Une boucle minérale et végétale où les mollets crient grâce ? Naaann. J’ai déclaré forfait dès l’annonce. Pas le cran, pas l’entrainement, pas motivée. Les entorses, je me les fais au cerveau pas aux chevilles. Bref, pendant que les aventuriers crapahutaient dans les hauteurs, j’ai pris l’option douceur : restée à Saint-Pierre, hébergée chez la famille de Flora, en colocation improvisée avec Clémence, la petite sœur de Camille, ado solaire et semi-sauvage du genre mi-chaton sociable, mi-peste adorable. Un binôme d’oisiveté.
Nous aussi, on a visité l’île. Enfin, on s’est inventé notre propre version de l’expédition. En un mot : chill. Et en trois : sommeil, soleil, sucre. Entre bonhomie créole et pauses contemplatives, farniente local et curiosité flâneuse, je me suis tapé deux mecs. C’est juste du détail. Le plus important : les après-midi plage. Clém peaufinait son bronzage en scrollant sans fin sur les réseaux façon tournesol numérique, pendant que je me plongeais dans Cent ans de solitude, les pieds dans le sable chaud, les yeux perdus dans le bleu infini de l’océan, et les jambes qui démangeaient d’aller se fondre dans l’eau tiède.
On a découvert l’île à notre rythme, et je me suis goinfrée de rougail saucisse, de cari de poisson, de bouchons et de samosas qui arrachaient un peu trop. J’ai le palais d’un enfant de quatre ans parfois. Mais bon, fallait bien jouer les aventurières jusqu’au bout des papilles. Les salades de fruits, si juteuses qu’on aurait cru mordre dans l’été lui-même. Aïe aïe aïe. Les mangues, les litchis, les goyaves… rien à voir avec ceux du supermarché. Là-bas, les fruits ont du goût, du vrai, du soleil dans chaque bouchée. Pure gifle d’exotisme et de textures quasi indécentes. Méfiez-vous des fruits, ils créent de fausses attentes sentimentales. Y a qui fantasme sur des fraises chantilly. Moi, l’ananas qui te déchire la langue avec la douceur d’un coup de foudre. Sucré, parfumé, la star locale. Devinez son petit nom : Victoria. Est-ce que c’est un signe ? Oui. Est-ce que je vais l’interpréter n’importe comment ? Aussi. Je suis une espèce endémique, en fait.
Quitter l’île ? Jamais. J’étais bien, au-delà du bien. En lévitation intérieure. Même mes pensées marchaient pieds nus. J’avais le mal du retour avant d’avoir fait mes valises. Dans ce petit paradis, tout vibrait juste. Moi comprise. Je m’étais enracinée telle une mangrove heureuse et mourais d’envie de faire des boutures de moi-même. D’ailleurs, en rentrant en métropole, la z’oreille que je suis s’est payée un alocasia pour agrémenter divinement ma chambre. Faut croire que j’ai des gènes équatoriaux qui sommeillait et des crises de chlorophylle aigue. Bref. Partir me semblait une trahison. Envers moi-même. J’étais prête à m’attacher à une barrière et crier « non ! » façon militant du climat. Première fois sous ces latitudes et déjà l’appel du large me trottait sous la peau. J’en voulais d’autres des voyages sous les tropiques.
Je me pose une question, là, comme ça. Question que je ne devrais probablement pas me poser. Non, en fait, elle n’était plus d’actualité… jusqu’à il y a quelques heures. Et franchement, elle a toutes les chances de finir oubliée dans les limbes de mes fantasmes stérils, rangée parmi les dossiers classés « utopique ». Mais James, lui ? M’inviterait-il dans son prochain périple ? Quoi ? Trop tôt pour nous projeter sur une carte postale commune ? Loin de moi l’idée de m’incruster, mais — arrête. Bien sûr que si, tu en crèves d’envie ! Et j’ai même googlé les plages romantiques. Et maintenant, retourne rêver en silence.
Les contrées baignées de lumière estivale trônent en top absolu dans ses escapades favorites, fidèles à ses élans nomades, comme des oasis où il recharge ses forces, m’a-t-il expliqué l’été dernier. Une addiction aux caresses du soleil et du vent marin ? J’achète tout de suite. L’amoureux des rouleaux m’avait confié avoir vécu une retraite de deux mois en isolement à Tamarindo, au Costa Rica, juste avant notre idylle. En gros, Monsieur s’est purifié à l’eau salée avant de plonger dans mes bras. Pas mal le rituel.
Il m’avait déroulé la carte de ses aventures : de Bali à Hawaï, en passant par la Barbade et Malibu — au cours de son année outre-Atlantique — puis Taghazout, Nazaré, et les côtes sauvages d’Afrique du Sud et du Mexique. Une véritable odyssée en horizons paradisiaques et plages brûlantes. Il maîtrisait sur le bout des doigts les rivages écossais, autant que les français — Hossegor, Capbreton, Lacanau, Guenersey… Mmh, non. Guérancy ? Guenvary ? Bon, pas grave. Je retiens mieux ses abdos que ses destinations et, le principal, c’est qu’il y avait de l’eau. Et lui, à moitié à poil dedans. De quoi faire mouiller, non ? Quoi ?! Vous l’avez jamais vu en combi. Ou torse nu. Ou nu. Moi oui. Je sais très bien ce qu’il me fait. Visuellement. Physiquement. Chimiquement.
James nourrit l’espoir de découvrir Hoddevik en Norvège, d’explorer l’Australie, et, avec un soupçon de folie douce, Tahiti et le Brésil. Une quête sans fin vers l’ailleurs. Moi, je cours après lui. Donc, techniquement, je suis dans sa quête, pas vrai ?
D’où me vient cette mémoire des lieux ? J’ai plongé tête la première dans ses publications en mode traqueuse de clichés sexy, compulsant chaque photo, classant chaque décor comme une archiviste obsessionnelle. J’ai zoomé jusqu’à distinguer les grains de sable sur ses épaules. J’ai plus étudié sa page Insta que mon premier exam de l’année. Et j’ai eu 17. Une collecte frénétique de détails imperceptibles. Parce que je pensais à lui nuit et jour.
Je lui avais confié, entre deux sourires complices, que l’eau et moi partagions un pacte quasi sacré. Une alliance silencieuse, à la fois fragile et profonde. Pas simplement pour la danse des vagues, mais pour la sérénité et la force qu’elle déverse en moi. L’eau, elle au moins, n’envoie pas de textos pour tout foutre en l’air…
J’aime me prélasser au bord d’une piscine, laisser mes orteils s’immiscer dans la fraîcheur liquide, me jeter à l’eau sans préméditation, enchaîner des longueurs qui apaisent mes muscles et mon âme. Mes itinéraires de voyage ? Toujours guidés par la promesse d’un lac, d’une rivière, ou d’un océan à portée de maillot de bain. J’ai goûté au surf — avec un succès mitigé, pour pas dire catastrophique. Puis au paddle, à la voile, à la plongée sous-marine, au kayak, à l’aviron, et même au canyoning, quand la nature m’exhorte à m’extirper de ma zone de confort. Dès que la saison s’y prête, j’entraîne mes amis dans mes délires aquatiques, où chaque sortie devient une explosion de rires, de défis, et d’instants gravés à jamais. Et quelques bleus en bonus, souvenirs corporels compris dans le package. Au fond, l’eau est mon refuge, ce lieu où je renouvelle sans cesse la certitude d’être vivante. Trempée, rincée, essoufflée, mais revigorée.
Dans ma famille, on dit que cet élément est inscrit dans notre ADN. Perso, je sais juste que je suis ni « air » ni « feu ». Je fais un arrêt cardiaque au moindre escabeau. Mon vertige a son propre caractère. Têtu, hystérique, impossible à raisonner. J’ai chialé quand mes parents m’ont emmené à la Tour Eiffel. La grande roue ? Mon pire cauchemar. Je brûle si j’oublie ma crème solaire. Bon d’accord, y a qu’un seul domaine où je préfère le feu à l’eau : les Pokémons. Salamèche, Pyroli, Goupix, Feunard, Caninos, Galopa. La clique des badass roux enflammés. Genre James. Abusé comment ils sont trop mignons ! Pourquoi je pense à des Pokemons, sérieux ?!
J’ai soif. Logique. Eau, chaleur. Soif.
Je prends l’initiative de me lever, noble dessein : me verser un verre. Échec cuisant. Mon squelette, dans un élan de mutinerie, me lâche à mi-hauteur. Rohh, je suis claquée à ce point ? Je vacille et m’affale contre le dossier, ridiculement molle. On m’annonce finaliste du concours Miss Flan 2022.
James pivote légèrement, sourcils en accent circonflexe. Il me jauge, entre doute et sollicitude, mi-médecin de garde, mi-mon père. Haaannn, dommage, j’ai pas mon carnet de santé sur moi.
— Tout va bien ? qu’il demande doucement, penché vers moi.
Je fais un petit signe affirmatif, très convaincant — dans ma tête. Je pense qu’on aurait dit un phoque qui dresse une nageoire. Tout baigne. Hydratation optimale. Clarté mentale absolue. Enfin… je crois. En attendant, je prends une goulée d’oxygène. Ce qui sort :
— Tu préfères Salamèche ou Carapuce ?
Chou blanc. Il me fixe avec des mirettes rondes. Puis il secoue sa cafetière, lèvres pincées.
Ma langue claque, faussement outrée.
— Allô, James ! Tu vas pas me dire que tu connais pas les Pokémons ?!
— Les… Pokémons ? Si si, Pikachu… Charmander… Squirtle… Bulbasaur…
Oh la vache ! Qu’est-ce qu’il baragouine, là ? Bulb… Merde alors !
— Ohhhh, c’est trop mignon ! T’as prononcé leurs noms en anglais ? Tcharmendeur, je parie que c’est lui ton favori. Forcément, un mec qui brûle tout sur son passage.
Plissement des globes oculaires. Rictus en coin. Regard suspicieux. Très suspicieux.
— Pikachu.
— Ah.
Bingo, j’ai raté. Ah ouais, le gars veut pas s’engager émotionnellement, même dans un starter. Je fronce le nez, puis réitère ma tentative de décollage du canapé. Mes guibolles n’ont toujours pas reçu l’info.
— OKay, murmuré-je. Mon corps m’a ghosté.
James étouffe un rire. Je détourne la tête pour cacher le rouge sur mes joues, et marmonne :
— Même Magicarpe a plus d’agilité que moi, c’est grave.
— N’oublie pas qu’il évolue en Gyarados. Donc de looser à monstre de puissance, commente-t-il.
— Léviathor, tu veux dire ?
— Léviathor, roule-t-il sur sa langue. Hum, intéressant. Comme le Léviathan ?
— Absolument.
Est-ce que je viens d’imiter un poisson avec ma bouche, pop sonore à l’appui, comme l’Âne dans Shrek ?
James me sourit tendrement.
Victoria !!! T’es en train de déblatérer sur des bestioles imaginaires sorties du folklore digital des années 2000 avec ton crush à 4h du mat dans une boîte de nuit ? Ça va pas. Ça va pas du tout. Et vu ta tronche, tu dois avoir la dégaine d’un Grotadmorv. Une vraie Pokemon type Défaite. Trop la honte !
— En fait, je meurs de soif.
J’ai besoin d’un miracle liquide.
James exhibe son artillerie « fossette magico-érotique ». Attaque express. Ma banquise a fondu. Surcharge thermique en zone bassin. Mais... j'ai toujours soif. Pas forcément d’eau, cela dit.
— Bouge pas, je vais te chercher un truc.
Hop. Debout. Lui. Pas moi.
— Attends, tu me demandes même ce que je veux ? Eh oh, un peu de romantisme !
— De l’eau.
Pfff. Je ricane.
— Que tu crois ! Une piña colada, pardi !
— Mauvaise pioche.
Pour qui il se prend celui-ci ?
— James !
Oups, j’ai dû monter un peu le ton, là.
Il se retourne, très, très lentement. Ouf, il a pas l’air fâché. Il avait pas intérêt.
En deux secondes, son visage atterrit devant le mien. Ce qu'il me dit est vilain. Très vilain. Et tout mon corps applaudit.
— Vi. Si t'étais pas enfilé les deux shots de tequila en sortant des toilettes avec tes copines, à l’heure qu’il est, je serais probablement en train de te prendre contre un mur quelque part… ou d’utiliser ma bouche pour autre chose que bavarder avec tes potes. Même si, je l'admets, Camille est cool. M’enfin, une discussion avec lui, ça vaut pas un cunni avec toi.
Mes yeux se plissent, se plissent, se ferment presque. Ma manière à moi de montrer à quel point que je boude à moitié, mais oh combien je boude quand même.
— De toute façon, je suis pas fan des carottes, déclarè-je. Mais toi, l'es-tu ?
— De quoi tu parles ?
— Tiens, prend donc cette carotte offerte avec tendresse, Jamie.
Je marque une pause. Pour réfléchir. Pour me souvenir d’où me vient cette obsession soudaine pour les légumes racines. Ah ! Oui, je sais : la carotte au bout du bâton !
— Quoi que tu dises, quoi que tu fasses, quoi que tu tentes, ta nuit se termine chez moi, dans mon lit. À condition. À con-di-tion, j'insiste, que tu m’apportes un bouquet de fleurs et des croissants pour le petit-déj. Et... j’ai pas fini, tu devras... me faire l'amour au réveil. Non négociable. Et pas question de lambiner. Je veux de l'énergie, du cardio, du respect. T'iras courir après-demain. Moi, je m'engage sollennement à te tailler une...
Hé ! Pas le temps de conclure. Sa bouche s'abat dramatiquement sur la mienne, intense et féroce. Mais quel malpoli, ce mec ! Personne. Personne me m'embrasse pour me faire taire ! Moi, me faire taire ? J’espère qu’il a une assurance vie.
Dès qu'il s'écarte, je clame :
— La pipe du siècle ! Un chef-d'œuvre d'anthologie ! Du feu de Dieu ! Du tonnerre de Zeus !
— OK, OK, j'ai saisi le message, glapit-il. Tu peux parler moins fort.
— Oui. Bien. Tant mieux, si t'es d'accord. J'ai bossé dur sur le sujet. Je me suis entraînée.
— Pardon ?
— Je te montrerai.
— De quelle manière, au juste, tu t’es débrouillée pour t’entraîner, Victoria ?
— Des tutos en ligne.
— Youporn ?
— Yep. Mais, Jamie. Je doute de maîtriser tous les détails. Je suis pas sûre sûre de réussir tout tout bien. Le placement des doigts, ça, je pense y arriver. La langue, au... aussi. En revanche –
— Bordel de merde...
Et il se barre. Il a rigolé et il est parti. Qu'est-ce que j'ai dit ?
— De l'ananas ! Apporte-moi un jus d'ananas, s'il te plait ! m'écriè-je. Mon petit whisky !

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