13.1 * JAMES * FLIPPER HYSTERIQUE
J.L.C
* *
*
30.10.22
04 : 50
♪♫ LET'S FALL IN LOVE FOR THE NIGHT - FINNEAS ♪♫
Je… j’ai… Merde. Ce… truc est… délirant.
Dans ma main, un sextoy fuchsia. De proportion sage, mais pas inocent. Léger, de bonne facture, agréable au toucher. En forme de Tour Eiffel. Deux secondes d’auscultation supplémentaire suffisent avant de le fourrer fissa dans le sac pailleté que Victoria m’a confié. Hop ! Ni vu ni connu. Enfin… on croise les doigts. Je lève les yeux en mode discret, priant pour que personne n’ait surpris mon inspection didactique du joujou rose. Avec Camille et Flora occupées ailleurs et les tentures du salon VIP qui nous isolent du reste des fêtards, j’ai pas à m’en faire. Aucun meme du « mec qui tripote un dildo inscrit au patrimoine culturel français en plein club » ne verra le jour cette nuit.
Je secoue la tête et relance ma chasse au trésor. En fait… pas si vite. Planqué ou non, l’objet ne fait qu’embraser ma cervelle. Elle. Ce bidule acidulé. Moi. Des gémissements. Des supplications. Des cris. Je m’emballe et m’imagine déjà en parfait explorateur, guidant ce monument miniature à travers les reliefs brûlants de son corps.
Stop. Je cligne des yeux, secoue la tête une seconde fois et m’arrache à cette vision trop nette.
Je check mon pactole. Une poêle… Pratique. Un kit de cocktails maison… Sympa. Un fouet. Ma foi. De la domesticité pure, strictement utilitaire, dépouilléd e tout érotisme accidentel et vierge de fantasmes involontaires. Je case le tout dans la poche et y intercale une boîte de feutres — Poscas, selon l’étiquette. Pour son côté créatif. Un bullet journal vintage et un bouquin avec un Van en couv atterrisse dans les interstices.
Des carnets, y en traînait une nuée chez elle, et des livres en avalanche aussi. La plupart ont fini sur les étagères que j’ai moi-même vissées — torse nu par 40 °C, en pseudo-bricoleur du dimanche avec ma perceuse et mon niveau — putain de galère ! — transpirant façon ouvrier OnlyFans, mais dont elle avait salué l’effort par une récompense d’une autre trempe. Paiement en nature. Au fond, c’est elle qui m’a remastiqué le cœur, comme on retape un vieux moteur : après des mois — des années ? — ce machin grinçant tournait enfin rond, avec un bruit presque rieur. Et puis, y avait cette pyramide de journaux intimes, tous girly, tous mimis, barricadés sous son « pas touche » formel. Rien d’alarmant, m’avait-elle assuré, pas de quoi déclencher une alerte nucléaire, mais chacun a son jardin secret et le sien a été tapissé sur du grain ligné pendant des années. « Tu les lis, je te zigouille. Ou pire : je t’attache et je bazarde la clé ». Et entre nous, je préfère mille fois ses confidences sur l'oreiller que celles couchées noir sur blanc.
Les yeux rivés sur le foutoir coloré devant moi, je retourne mon intérêt vers la pile de papiers cadeaux froissés et de ballons bleu et or qui s’entassent près du sofa. Je farfouille pour en déterrer un écrin longiligne turquoise, plutôt intrigant, et un jeu de société au design marrant : Blanc Manger Coco. Connais pas.
Les reins raides d’avoir trié ce bazar, je m'étire. Pas sûr d’avoir vraiment rassemblé tout l’inventaire. Des bricoles manquantes ? Mystère. En tout cas, il y a de quoi nourrir toutes les facettes de Victoria : cuisine, art, divertissement… et ce petit secret bien camouflé pour la route qui a transformé ma caboche en flipper hystérique, scores records garantis. Euphorique et flagada tout à la fois, chaque image de Vi avec ce totem déclenche un tilt lumineux dans un coin. Vive la maternelle mentale pour les 18+ !
Un peu plus tôt, Victoria m’a chargé de réunir ses affaires pendant qu’elle partait régler un détail de dernière minute auprès de Lauriane. Lequel ? Aucune idée. Son seul commentaire : « De la plus haute importance ». Vu son taux d’alcoolémie, difficile de croire à la gravité de ce problème « capital ». Mais après tout, qui suis-je pour juger l’autorité féminine de ses priorités ? À vrai dire, je ne sais même pas où sa cousine est passée. Le reste de ses copines ? Volatilisés. Seule la nana de son meilleur pote est remontée avec elle après leur numéro torride pour faire baver la galerie. Quoi qu’il en soit, mission acceptée. Mieux vaut laisser ma déesse pompette gérer et surtout pas la contrarier. Alors, je m’attelle à la tâche, l’esprit en maraude. Espérons que le flipper hystérique de tout à l’heure ne redémarre pas avant que j’aie fini.
Si je ramasse son schmilblick, c’est parce qu’on lève le camp, elle et moi. Enfin… elle, moi, et la clique qui va avec.
Antoine et ma sœur ont mis les voiles : leur Uber est parti il y a un quart d’heure. Pendant l’attente, j’ai grillé une clope taxée à Nina, le temps que Vic échafaude notre plan de retraite. Puisque je suis le seul à avoir une bagnole dans le lot, j’ai hérité du rôle de chauffeur pour rapatrier sa troupe. Centre-ville oblige, tout le monde a débarqué en métro. À l’origine, Mati Tout-puissant devait jouer les taxis de service au besoin, m’a-t-elle expliqué, mais je compte bien lui souffler le job sous le nez. Je vais la ramener. Pas ce type. Et, je me fais violence pour rester poli, mais intérieurement : aucune chance que ce bouffon foutte un orteil chez Vi. Même en rampant, il passe pas.
Avec l’autre exclu de la tournée, je suis remonté au carré VIP. Camille et Flora m’ont direct donné leur feu vert : eux aussi veulent filer, ça tombe bien. Leur terminus : les coteaux de Pech David, un quartier perché à l’écart de la ville. Camille m’a montré l’itinéraire sur son tél, histoire que je me plante pas en route. Alors, en attendant que Victoria mette enfin la main sur sa cousine disparue, on poireaute tous les trois dans le salon à l’étage et j’apporte ma modeste contribution en récupérant ses trésors éparpillés aux quatre coins, façon bâton de sourcier.
– Tiens, range ça avec le reste, s’il te plaît, s’il y a encore de la place là-dedans.
Sa voix éclate derrière moi. Je sursaute presque et pivote à demi. Victoria, espiègle, me tend une bouteille avec un sourire qui défie mes pensées. Je la saisis du bout des doigts et examine l’étiquette : du rhum arrangé. Ah, voilà qui promet du lourd…
– Cadeau de Flora et Camille, précise-t-elle. Direct de la Réunion.
J’opine du chef et entreprends de tasser le flacon dans le sac blindé. Impossible : ça déborde de partout et, avec ce mastodonte de verre en plus, le pauvre papier gémissant menace de craquer.
– Je crois que le sachet se rebiffe. Limite dépassée.
– Rohhh, mais nonnn.
Elle s’accroupit devant moi et me chipe la bouteille des mains.
– Regarde, ça va pas du tout, là, râle-t-elle encore.
La voilà qui déloge une à une les babioles laborieusement parquées. Super. Autant applaudir cash ma nullité ! Apparament, mon Tetris artisanal ne passe pas le contrôle qualité.
Et ça s’agite. Grommellement. Soupirs trop la loose. Tirage de langue. Insultes fleuries. Repositionnement méticuleux. À un moment donné, il me semble percevoir un écarquillement des yeux suivi d’un léger recul comme si… bah comme si ses doigts avaient dérapé sur le machin phallique au fond du sac ?
Je retiens un sourire, amusé par sa gêne soudaine.
– J’avais pas prévu de me servir de tout ce qu’il y a là-dedans, hein !
– Ah. Vraiment ?
Elle s’immobilise et me toise un instant.
– Pas cette nuit. Ni celles d’après. Tant que t’es là, y a des chances que ce joujou reste au chômage technique, tu ne penses pas ?
Une vague brûlante me remonte des pieds à la tête. Euh… ouais, un peu mon petit ! Mon entrejambe sautille d’enthousiasme et ma bouche impertinente lâche sa proposition :
– J’ai quelques idées pour lui trouver du boulot malgré tout, si jamais…
Un énorme sourire ourle ses lèvres sensuelles, ses yeux ambrés pétillent. Elle dodeline de la tête, susurre un truc inaudible dans le vent, ignore délibérément mon offre, et poursuit sa tâche.
– Bon, bah, t’avais raison. Y a trop de poids.
Ah, merci capitaine Obvious, je voyais tout dans le noir avant ton intervention…
Elle extrait la poêle et le fouet, les abandonne sur l’assise derrière elle.
– Ça, je peux le laisser au club. Je les déposerai en cuisine au passage. J’ai pas vu la carte cadeau de Leslie dans le sac. T’aurais pas repéré une enveloppe rouge quelque part, par hasard ?
– Rouge ? Nan, j’ai rien vu de rouge traîner.
Victoria grogne sa contrariété, se redresse et s’élance dans ce qui devrait ressembler à une recherche minutieuse. Spoiler : ça n’en a ni la grâce ni la rigueur. Ballons, papiers, paquets s’envolent dans un joyeux désordre tandis qu’elle balance des « où ça peut bien être ? » catastrophés.
À mi-chemin entre la précision d’un détective et la frénésie d’un ouragan, elle escalade le canapé pour inspecter l’arrière. Je freine un juron en me mordant la langue : son joli fessier en mission s’expose dangereusement tandis que sa robe grimpe sur ses cuisses. Nom de dieu… Respire James. C’est juste un cul. Mais quel cul ! L’absence totale de lingerie précipite mon cœur vers le plafond de ma poitrine. Je suis à deux doigts de sauter sur elle pour sauver la situation avant qu’un œil de pervers ne capte la scène.
– Vi… euh… fait gaffe… tu…
Madame Popotin en l’air me fait l’affront délicieux de ne pas m’écouter — évidemment — absorbée qu’elle est par sa traque intro mobilière du trésor perdu. Pas d’autre choix que de me positionner stratégiquement pour la dissimuler un minimum, angle parfait en visuel, en me retenant de m’étrangler avec ma propre salive. Je souffle un coup, tente de me convaincre que rester spectateur détaché, ça passe… jusqu’à ce qu’elle désintègre cette idée d’un simple mouvement de jambes. Quand elle gesticule sous l'effort et écarte ses cuisses, y a pas que son arrière-train qui flirte avec la révélation suprême et me titille la rétine, y a aussi la devanture ! Bordel ! T’as. Pas. De. Culotte. Victoria ! Le show façon Sharon Stone tête renversée, on le réserve pour la chambre à coucher ! Pas ici !
Mes neurones dégoulinent comme du chocolat au soleil, mon palpitant veut s’arracher par la fenêtre de la bienséance, et il devient manifeste qu’il est trop tard pour la patience.
– Vi, reviens par là, tu veux ? articulè-je difficilement, en me penchant déjà au-dessus d’elle.
– Deux secondes, je crois que je l’ai ! ... Mais, j’arrive pas à l’attein… Merde !
OK, là, elle bascule vraiment en avant… Je bondis tel un diable et la ramène de justesse en arrière. Mais quelle plaie ! On se vautre ensemble sur le canapé dans une cascade de bras et jambes emmêlés, cheveux dans les yeux, cris en prime. Petite frayeur, belle pagaille ! Madame jubile et brandit fièrement son carton rouge, sourire jusqu’aux oreilles. Moi, je lui tire la robe jusqu'aux genoux.
Respirant à moitié dans son cou, j’essaie de masquer mon agacement… ou mon excitation croissante ? Difficile de statuer.
– Putain, t’es pas possible des fois !
Victoria cligne des paupières, genre « moi ? ».
– Dis donc ! T’étais pas si ronchonchon avant.
À peine le temps de soupirer qu’elle me claque un smack goulu puis s'échappe aussitôt, insouciante et radieuse. Sauf que moi, à la seconde où ses lèvres ont frôlé les miennes, bye bye la contrariété. Je n'ai plus qu'une fixette : céder à la décharge électrique que son audace a laissé sur ma bouche. Je chope son poignet, glisse mon autre main derrière sa nuque et la ramène contre moi. Elle tombe sur mes genoux. Parfait, ça ! D’un baiser tempétueux, je l’engloutis. La provoc se paie cash ! Et à cette heure-ci, subtilité zéro.
– Hé ! Oh ! tonne une voix en trombe. C’est pas parce que ton carré VIP ressemble maintenant à un désert, Vic, qu’il faut le reconvertir en plateau X ! Ou bien, si orgie il y a, je tamponne la débauche et signe le premier rôle !
Putain, quoi ?
Je déssoude à contrecœur nous bouches, inspire comme si j’avais nagé cent mètres sous l’eau, et bim : Leslie déboule, escortée par un complice hilare. Grande tige blonde, chemise à moitié déboutonnée, tignasse en vrac, piercings aux oreilles. Miss Sarcasme canonisée se catapulte sur la banquette d’en face et grimpe déjà à moitié sur son acolyte. Magie, magie : un deuxième gabarit, plus gonflette que cardio, surgit de nulle part et s’échoue à côté d’eux, coolos.
Sérieux, deux d’un coup ? Elle carbure à la surenchère, cette nana.
Pecto boum croit jouer les malins : il tente une palpation des adducteurs. Leslie foudroie sa paluche d’un revers sec et lui balance un dédain atomique. Le gars se ratatine en pouffant. OK. Complètement torché. Le chérubin enclenche à son tour le mode pelotage. Cette fois-ci, elle ne réagit pas vraiment. Est-ce qu’elle a bu au point de décrocher ? Pas rassurant de la voir en proie à ces mains louches.
Victoria en est arrivée à la même conclusion que moi, car elle dégaine :
– Les, viens, on plie bagage.
Sa copine pousse un soupir mi-fataliste, mi-taquin. Son visage disparaît dans le cou du blondinet. Sous couvert de nonchalance, Musclor aventure à nouveau sa patte sur la cuisse dénudée. Un frisson me parcourt : la situation ne me plaît pas du tout.
Victoria pose ses talons au sol et répète avec fermeté :
– Less, on rentre, je te dis.
– Ça va, ça va, j’ai pigé ! Laisse-moi juste… faire un petit tour vite fait avec… Lirim, ici présent, et…
Elle pivote vers le brun, sourcil levé :
– Tu t’appelles comment, déjà ?
– On s’en branle, non ? répond-il, blasé.
Bordel, ce type est un vrai connard !
Victoria se lève, prête à voler au secours de sa pote, mais je la retiens par le bras.
– C’est bon, je m’en charge, lui signifiè-je.
Hors de question qu’elle approche le lourdaud.
Nos yeux se croisent. Elle acquiesce et glisse d’un pas de côté. Champ libre.

Annotations