CHAPITRE 4  Je marche (Repris)

7 minutes de lecture

Lieu inconnu, date inconnue

J'ouvris lentement les yeux. Je flottais dans les limbes d’une eau sombre et glacée. Mon cœur battait si vite, si fort qu’il menaçait de rompre à tout moment. J’avais besoin d’air !

 Guidé par le faible halo de lumière que j’apercevais au-dessus de moi, je me tortillai comme un animal blessé en remuant les bras et les jambes pour tenter d’atteindre la surface de l’eau. Les mains tendues, je tâtonnai à toute vitesse en essayant de trouver un support auquel m’accrocher. Mes doigts effleurèrent alors quelque chose de froid et de métallique. Je m’y agrippai avec l’énergie du désespoir et m’en servis pour me hisser hors de l’eau.

 J’inspirai à pleins poumons et me cramponnai au barreau de l’échelle qui venait de me sauver la vie. J’avais du mal à reprendre mon souffle. Mon tuyau s’était certainement débranché lors de ma chute. Je plaquai la paume de ma main sur ma gorge à la recherche de la canule, mais elle avait disparu. J’étais en train de respirer… sans aucune machine ! J’avais nagé pour atteindre cette échelle… C’était un véritable miracle ! J’exultai, gesticulai dans tous les sens pour laisser exploser ma joie. Après quelques minutes, cependant, mon exaltation retomba.

 J’avais du mal à comprendre ce qui m’arrivait. Mis à part la faible lueur qui provenait d’en haut, j’étais plongé dans l’obscurité.

 J’escaladai prudemment les marches rouillées et humides en veillant à ne pas glisser, puis enjambai une margelle en pierre. J’étais donc tombé dans un puits. Ou peut-être m’y avait-on jeté… J’étais partagé entre la joie, l’incompréhension et l’inquiétude. Ma maladie était incurable, et pourtant, je me tenais debout alors que je n’avais plus marché depuis mes douze ans !

 — C’est impossible, marmonnai-je à voix haute, en réalisant que j’étais sûrement en train de rêver.

BANG BANG BANG

 Je tournai la tête d'un geste brusque. Au fond de la pièce, à côté d’une vieille chaudière, un soupirail était entrouvert. Je grimpai sur le tas de charbon et passai ma tête dans l’entrebâillement.

 À l’extérieur, une ancienne autochenille en parfait état était garée le long du trottoir. Plusieurs hommes en uniforme rechargeaient leur fusil. Ils alignèrent quatre personnes contre le mur et se postèrent face à eux. Sous les ordres de leur supérieur, ils épaulèrent leurs armes et firent feu.

 — Vive la France ! hurla l’une des victimes avant de s’effondrer sur les pavés.

 Sous le choc, je fis un bond en arrière et me cognai la tête contre une poutre en bois. Je lâchai un gémissement de douleur et me massai l'arrière du crâne.

 De petites gouttes de sang coulèrent sur la paume de ma main. Il y avait quelque chose d’étrange. Il était fort probable que je me sois assoupi en lisant ce mystérieux journal intime, mais j’avais l’impression d’être parfaitement réveillé. Je ressentais la douleur, le contact de mes vêtements trempés qui me collaient à la peau et j’étais frigorifié. Je me souvenais de tout ce que j’avais fait la veille. J’avais conscience du temps qui s’écoulait, de mon environnement et tous mes sens étaient en éveil.

 Si je ne rêvais pas, qu’est ce que je foutais là ? M’avait-on kidnappé ? Comment avais-je pu guérir en à peine quelques minutes ? Avais-je été le cobaye d’une nouvelle technologie, d’une expérience scientifique ? Peut-être étais-je simplement mort. Cet endroit ressemblait plus à un purgatoire qu’au paradis.

  Une chose était certaine, je ne tenais pas à rester dans cette cave pourrie plus longtemps. Je me redressai et me dirigeai vers le soupirail d’un pas hésitant. Je n'étais pas très rassuré à l'idée de sortir par là. Je ne savais même pas ce qui venait de se passer à l’extérieur. Ces hommes en uniforme… Étaient-ils de simples comédiens ou des meurtriers ? Une étrange impression de déjà vu me tracassait, mais je ne parvenais pas à en identifier l’origine. Je croisai les bras, fermai les paupières et énumérai les évènements des derniers jours. Le décès de papy, la discussion houleuse avec Lisa, l’enterrement, la découverte de la lettre, puis du coffret, l’échange avec madame Duval…

 — C’est ça ! m’écriai-je soudain.

 Je me remémorai aussitôt cette phrase énigmatique qu’elle m’avait dite avant de quitter le bureau de Justin : « Au fait. S’il t’arrive dans les prochains jours de te réveiller dans un endroit sombre et humide, ne sors pas par le soupirail, s’il te plaît. »

 Il s’agissait forcément d’un pur hasard… La coïncidence restait tout de même assez troublante. Il me semblait préférable de me rabattre sur la vieille porte en bois située à l’autre bout de la pièce.

 Malgré les précautions que j’avais prises pour l’ouvrir, elle grinça sur ses gonds au moment où je me glissai de l’autre côté. Une lumière jaunie éclairait une immense salle voûtée qui empestait le moisi.

 J’avais l’impression d’avoir pénétré dans une boutique d’antiquités. Des tas d’objets entassés s’étalaient devant moi, des tableaux de maître, des bibelots en cuivre, des services complets en argent… Et des uniformes flambants neufs empilés sur des étagères à côté d’un grand miroir.

 Je m’arrêtais net devant mon reflet. Même si j’avais toujours les mêmes yeux marron et les mêmes cheveux châtain clair, le reste de mon visage avait un peu changé. Était-ce donc à ça que je ressemblerais sans ma maladie ?

 Je ne portai plus le tee-shirt de Metallica ni le jogging noir qu’Audrey m’avait offerts, mais un pantalon de vieillard et une chemise blanche déchirée et maculée de sang. D’un geste vif, je l’arrachai et examinai mon torse. Une plaie circulaire suintait légèrement au milieu de ma poitrine. C’était un peu désagréable au toucher, mais la douleur restait supportable. Comme je n’avais rien à disposition pour la soigner, j’allais devoir faire avec.

 Le reste de ma silhouette différait de celle que j’avais à Boston. J’étais plus grand, un peu plus musclé et mon corps semblait être en parfaite santé. Je ne pus m’empêcher de m’admirer pendant de longues minutes en prenant des poses plus ou moins viriles.

 Un léger scintillement qui brillait dans la glace attira soudain mon regard. Il provenait d’une petite chaîne en argent sertie de perles noires qui se balançait autour de mon poignet. C’était la copie conforme du bracelet que j’avais découvert dans le coffret de mon arrière-grand-père. J’étais pourtant persuadé de ne pas y avoir touché…

 Des bruits de pas résonnèrent au-dessus de moi. Je devais sortir d'ici au plus vite et éviter de me faire remarquer. Je terminai de me changer à toute vitesse et enfilai le premier uniforme kaki qui me tombait sous la main ainsi qu’une paire de bottes en cuir.

 Je jetai un dernier coup d’œil dans le miroir et esquissai un petit sourire amusé en me voyant accoutré de la sorte. J’avais l’impression de participer à une reconstitution historique.

 Je quittai cette caverne d’Ali Baba sur la pointe des pieds. J'empruntai un large escalier en colimaçon et débouchai sur un palier complètement vide. Des tapisseries vieillottes aux couleurs criardes donnaient au lieu une ambiance confinée, étouffante.

 Des échos de voix se propagèrent dans le couloir et me firent sursauter. Sans réfléchir, je me faufilai dans la première pièce à ma droite en refermant la porte derrière moi. Je me retrouvai alors plongé dans le noir.

 — Qui est là ? lança une voix masculine.

 Je me figeai sur place. Mon cœur battait la chamade. Quelqu’un était dans la pièce ! Pourquoi était-il dissimulé dans la pénombre ? Pourquoi parlait-il français ?

 — Qui est là ? répéta l’homme en parlant un peu plus fort. Vous pouvez continuer à me torturer, mais je vous ai déjà dit que je ne savais rien !

 — Qui… qui êtes-vous ? murmurai-je dans un français presque parfait.

 — Espèce d’enfoiré ! Tu m’as tabassé pendant dix minutes ! Tu sais très bien qui je suis !

 — Je… Je viens juste d’arriver ici. Je me suis perdu et j’ai ouvert la première porte que j’ai vue.

 — T’es français ?

 — Non…

 — Donc t’es un enfoiré de nazi ?

 — Non plus…

 — Pourquoi tu restes dans le noir ?

 — Je ne sais pas où est l’interrupteur, chuchotai-je.

 — Il est à côté de la porte…

 Du bout des doigts, j’effleurai le pan de mur et appuyai sur un petit bouton en porcelaine. Une lumière blafarde inonda aussitôt la pièce.

 — Tu te fous de moi ? s’écria un homme, ligoté à une chaise. Tu m’as dit que tu n’étais pas avec eux !

 — Avec qui ? Je ne comprends rien…

 — Avec les Allemands bien sûr ! Tu portes l’uniforme de la Wehrmacht, t’es forcément un sale boche !

 Je commençai à me demander si je n’avais pas atterri dans un hôpital psychiatrique. Cet homme me prenait visiblement pour un soldat allemand et semblait dérangé.

 En voyant son visage tuméfié et la dizaine d’instruments tranchants couverts de sang éparpillés sur une table, j’eus un mouvement de recul.

 — On vous a torturé ? bredouillai-je, dégoûté.

 — Tu crois que je me suis fait ça tout seul ?

 En dessous de sa mâchoire, une tâche de naissance s'étalait jusqu'à sa poitrine et contrastait avec la blancheur de sa peau...

  Les pièces du puzzle s’assemblèrent aussitôt dans ma tête. Cet angiome, ce visage… Je les avais déjà vus. Madame Duval m’avait présenté chacun des résistants présents sur la photo que j’avais découverte dans le bureau de Justin. J’étais sûr et certain que cet homme en face de moi était Claude, le mari de Colette Duval. Cette dernière savait-elle que je me retrouverai un jour ici, dans la même pièce que son mari ? Avait-elle essayé de me prévenir pour que je puisse lui sauver la vie ? C’était absurde, impossible… Cet homme était censé être mort depuis des années !

 — Où sommes-nous ? m’empressai-je de demander à « Claude » en haussant le ton.

 Celui-ci leva les yeux au ciel avant de me répondre.

 — Dans les sous-sols de la kommandantur de Dijon.

 — Dijon ? Vous voulez dire qu’on est en France ? fis-je en écarquillant les yeux.

 — Oui, où veux-tu qu’on soit ?

 — Quelle est la date d’aujourd’hui ?

 — Aux dernières nouvelles, le mercredi 10… marmonna-t-il d’un air résigné.

 — Quel mois ? Quelle année ? le coupai-je en l’agrippant par le col de sa chemise.

 — Le 10 décembre 1941. Voilà, satisfait ?

Annotations

Vous aimez lire ThomasRollinni ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0