CHAPITRE 7 « Un réveil difficile »
Boston, Massachusetts, General Hôpital. Matin du 29 mai 2018
TI TI TI TI IIIIIIIIIIIIIIIIII…
Le bruit strident de l’alarme réveilla Augustin. Sentant qu’il manquait d’oxygène, il comprit que le tuyau logé dans sa trachée s’était débranché. Depuis que les muscles de sa cage thoracique s’étaient gravement affaiblis, sa survie reposait uniquement sur ce morceau de plastique transparent.
La lumière inonda la pièce et une femme en blouse blanche accourut. Elle repositionna le tube sur la canule puis coupa l’alarme. Elle scruta quelques instants les appareils de monitoring pour vérifier si les constantes étaient bonnes. Satisfaite, elle s’éloigna en s’emparant de son téléphone pour reprendre la série qu’elle était en train de visionner, sans s’apercevoir que son patient était en position assise.
Désorienté, Augustin réfléchit durant de longues minutes à cet étrange rêve qu’il venait de faire. Épuisé et groggy, le sommeil l’emporta à nouveau et il s’endormit en songeant au visage d’Éva…
Boston, 11 juin 2018
La vie reprenant son cours et sa santé s’améliorant, Augustin réintégra Harvard. Depuis tout petit, il rêvait d’y faire ses études. Aujourd’hui, le cœur n’y était plus. Sa déprime n’était pas liée à sa récente trachéotomie ni à la présence de ses assistantes de vie qui devaient désormais le suivre comme son ombre.
Augustin n’avait cessé de ressasser cet étrange rêve qu’il avait fait quelques jours plus tôt.
Persuadé que le journal d’Eva en était à l’origine, il le gardait précieusement rangé dans son sac, fixé sur le côté de son fauteuil. Il lui suffisait de tendre le bras pour pouvoir s’en emparer, même s’il n’osait pas l’ouvrir, angoissé par l’idée d’avoir pu tout imaginer.
Bien que son esprit cartésien n'y voyait rien d'autre qu’une explication simple et rationnelle, la conviction qu’il avait vécu quelque chose de particulier avait pris toute la place dans son esprit pour devenir une certitude viscérale.
La joie qu’il avait ressentie lorsque son corps avait bougé et répondu à ses sollicitations contrastait avec le vide qui le submergeait désormais. Ces sensations, qu’il croyait perdues pour toujours, avaient bouleversé sa vie et l’obsédaient au point que plus rien d’autre n’avait d’importance à ses yeux. Il n’en avait parlé à personne, même pas à ses sœurs qui étaient habituellement ses confidentes.
Perdu dans ses pensées, il s’avança dans les couloirs de la prestigieuse université. Il ne s’arrêta pas devant la grande porte en bois qui marquait l’accès à l’Amphithéâtre, c’était la première fois qu’il séchait délibérément un cours.
Son assistante lui fit remarquer que ses parents désapprouveraient certainement son comportement, mais il s’en moquait.
À quoi bon ? songea-t-il. À quoi lui serviraient ses études ?
Il regrettait de ne pas avoir écouté plus attentivement les récits de son arrière-grand-père, qui avait longuement et courageusement combattu le Nazisme. Il se rendit donc vers la bibliothèque principale à la recherche de documents traitant de l’occupation de la France durant la Seconde Guerre mondiale.
Il avait besoin de se rassurer, de trouver un indice, une trace de ce qu’il avait vécu. Si l’explosion de la kommandantur de Dijon s’était réellement produite, l’information serait forcément recensée quelque part.
*
* *
La jeune femme qui l’accompagnait s’avéra finalement « utile » : elle pouvait attraper les livres qui lui étaient inaccessibles. Concentré sur ses lectures, Augustin resta toute la journée le nez dans les écrits…
Il n’y trouva rien de plus que ce qu’il connaissait déjà. Malgré la dizaine de livres qu’il avait parcourus, aucun article ne traitait en détail de la résistance à Dijon, et encore moins de l’incendie dont il était l’instigateur involontaire…
Toutes les émotions qu’il avait accumulées ces derniers jours bouillonnaient en lui comme une cocotte-minute prête à exploser…
Alors que son aide de vie piquait du nez, elle fut réveillée en sursaut par le soupir rageur d’Augustin.
— Il n’y a rien dans ces livres de merde ! fulmina-t-il en poussant son livre violemment. L’ouvrage chuta au sol, rompant le silence studieux qui régnait. Une vague désapprobatrice de « chuttt » s’abattit sur lui.
Excédé, il quitta la bibliothèque à toute vitesse, si bien que son assistante eut du mal à le rattraper…
Ses espoirs s’effondraient. Il devait se rendre à l’évidence, son esprit lui avait joué un sacré tour ! C’était logique en y réfléchissant. Il y avait probablement eu trop de changements dans sa vie : la mort de son arrière-grand-père, le secret entourant le journal intime et les photos d’Éva...
Accablé, il décida d’appeler son chauffeur et de rentrer chez lui.
Boston, 28 juin 2018
L’appartement semblait bien vide en cette fin de mercredi maussade. La pluie tambourinant sur la baie vitrée exacerbait la mélancolie d’Augustin.
Un mois et demi s’était écoulé depuis la mort de son arrière-grand-père et tous les membres de sa famille avaient retrouvé leur routine, comme si de rien n’était.
Sa grande sœur Audrey, qui vivait avec lui, était partie en soirée avec des amies pour une nuit endiablée. Lisa, l’aînée de la fratrie, avait décidé de partir en vacances à Monaco avec son fiancé, pour se changer les idées. Depuis quelques mois Augustin ne la voyait plus beaucoup. C’était une acharnée de travail qui ne comptait pas ses heures. Directrice d’une succursale de l’entreprise familiale, elle vivait entre Boston et New York.
Il se retrouvait donc seul dans l’appartement, uniquement accompagné de l’une de ses trois auxiliaires de vie qui devaient continuellement se relayer pour l’assister.
À la demande d’Augustin, qui souhaitait garder une forme d’indépendance, elles n’étaient présentes que lorsque c’était nécessaire, pour les repas, les toilettes, les soins et les urgences. Le reste du temps, elles logeaient dans un petit appartement mis à leur disposition.
Malgré leur gentillesse et leur bienveillance, Augustin ne pouvait s’empêcher d’être irascible, n’acceptant plus sa condition.
Le soir même, alors qu’il somnolait, une faible lueur émanant de son sac le réveilla. Le halo lumineux provenait du journal d’Éva. Intrigué, il tendit son bras pour le récupérer.
Il le contempla quelques instants, n’osant pas l’ouvrir par peur que le « phénomène » ne se reproduise pas.
Prenant une profonde inspiration, il trouva finalement le courage de tourner les pages pour reprendre sa lecture.
Il tenta à nouveau de séparer les pages tachées de sang, mais les feuilles restèrent irrémédiablement collées entre elles. Il se résigna donc à reprendre la lecture de la première page. Sous le texte, écrit en Grecque ancien, un nouveau message venait d’apparaître.
« Hey, réveille-toi… Je sentis alors une pression contre mon tibia. »
Une sensation de fourmillements se propagea de nouveau dans les doigts d’Augustin. Il poursuivit néanmoins sa lecture et la pièce se mit à tourner autour de lui…
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