CHAPITRE 9 « L’interrogatoire… »

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— Augustin !

J’émergeai lentement, m’attendant à retrouver le confort de mon appartement de Boston.

— Augustin ! Réveille-toi ! M’ordonna un homme en me secouant énergiquement. J’étais complètement dans le cirage et je n’avais pas les idées claires. Je mis quelques instants à reconnaître la voix de Claude.

— Kestufous d’ma chambre ? tentai-je d’articuler.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?

 J’ouvris les yeux, mais tout était noir autour de moi et j’avais du mal à respirer. Je compris rapidement qu’on m’avait mis un sac sur la tête ! Je me sentais oppressé et j’avais l’impression de suffoquer.

— Enlevez-moi ça ! hurlai-je, affolé.

 Quelqu’un retira le sac, et je fus aussitôt aveuglé par la lumière vacillante d’une lampe tempête. Lorsque mes yeux se furent habitués, je constatai que j’étais assis sur une chaise, mes mains attachées aux accoudoirs. Claude, qui semblait s’être libéré, s’avança vers moi.

— Ça va ? s’inquiéta-t-il.

— Oui, mais j’ai vraiment le don pour me retrouver dans ce genre de situations… On s’est encore fait capturer par les Allemands ?

— Non… pas cette fois.

— Tu peux me détacher s’il te plaît ? Claude me répondit, mal à l’aise.

— Je ne peux pas, Augustin désolé.

— Comment ça tu ne peux pas ? Tu oublies que je t’ai aidé dans cette putain de cave ! m’exclamai-je, hors de moi.

— Ce n’est pas aussi simple. Mes amis sont un peu méfiants. Ils ne te font pas confiance.

 En balayant la pièce du regard, j’aperçus deux hommes. L’un d’eux portait un béret couvrant son crâne qui semblait dégarni. Le second mâchouillait un petit morceau d’allumette en me dévisageant d’un air soupçonneux.

Un sentiment de profonde injustice m’envahit. Je lui avais sauvé la vie et malgré ça, j’étais traité comme un criminel.

— Détachez-moi tout de suite bande de salopards ! explosai-je, incapable de maîtriser ma colère.

— On a juste quelques questions à te poser. La suite dépendra de tes réponses ! déclara Jean en s’approchant de moi avec un tabouret. Claude recula et le laissa s’asseoir en face de moi. Le dos droit comme un « I », il croisa les bras et débuta son interrogatoire en me sondant du regard :

— Qui es-tu ?

— Je m’appelle Augustin. Répondis-je sèchement.

— Es-tu un espion ?

— Non ! Et si j’en étais un, tu crois que je te le dirais ?

— Si tu ne te montres pas plus coopératif, on te laisse ici cette nuit pour méditer…

 Jean s’apprêtait à se lever. Je ne voulais vraiment pas passer la nuit sur cette chaise. Essayant de me calmer, je pris une profonde inspiration et marmonnai à contrecœur.

— C’est bon, posez-moi les questions que vous voulez.

Satisfait, Jean reprit son interrogatoire.

— Alors, qu’est-ce que tu faisais à la Kommandantur ? Ce qui est sûr c’est que tu n’es pas du coin, personne ne te connaît ici.

 Je comprenais leur suspicion, en ces temps troublés, les espions étaient partout. Je savais qu’au moindre doute ils n’hésiteraient pas à m’éliminer. J’allais devoir trouver une histoire suffisamment convaincante. Pour la rendre cohérente, je m’inspirai le plus possible de ce que j’avais vécu, en modifiant quelques éléments bien sûr…

Jean répéta sa question en élevant la voix d’un air pressant.

— Alors, comment t’es-tu retrouvé dans le bâtiment ?

— Je me suis glissé dans une trappe à charbon restée ouverte pour éviter les patrouilles qui grouillaient dans la rue. Je ne savais pas du tout où j’avais atterri, j’ai donc exploré les lieux discrètement pour trouver une autre sortie. C’est là que je suis tombé sur Claude.

— Et pourquoi voulais-tu éviter les patrouilles ?

 Je me remémorai la conversation des deux officiers nazis que j’avais entendu quelques heures plus tôt, décidant de l’utiliser pour construire mon mensonge.

— J’étais à bord d’un avion de reconnaissance anglais, nous nous sommes perdus et nous avons été touchés par la DCA[1] en survolant Dijon. Les deux pilotes qui m’accompagnaient sont morts sur le coup. J’ai sauté en parachute avant que l’avion ne se s’écrase. J’ai atterri dans la ville en pleine nuit. Je portais encore mon uniforme d’aviateur anglais et je savais qu’ils n’hésiteraient pas à m’arrêter voire me tuer…

— Et qu’as-tu fait de ton uniforme ?

— J’ai trouvé des vêtements dans une armoire. J’en ai profité pour me changer puis j’ai brûlé mon uniforme dans la chaudière à charbon.

Jean se retourna et observa Claude d’un air dubitatif.

— Ce qu’il dit est vrai, déclara ce dernier. Dans la nuit précédant mon arrestation, un avion de reconnaissance a été abattu. Colette m’en a parlé avant qu’on l’interroge.

Jean m’examina du regard pendant de longues secondes qui me parurent interminables.

— Tu es donc un soldat anglais ?

— Non, je suis américain. Jean haussa les sourcils :

— Qu’est-ce qu’un Américain peut bien foutre dans un avion anglais ?

— L’Angleterre avait besoin d’aide. Comme ils acceptaient des volontaires, je me suis engagé. J’avais à peine commencé mon entraînement lorsqu’on m’a assigné à cette mission de reconnaissance… On m’avait dit qu’il n’y avait pas de risques…

— Et qu’est-ce que tu croyais ? L’armée n’est pas une colonie de vacances. Il ne s’agissait pas d’un vol touristique, c’est la guerre ici…

— Je l’ai appris à mes dépends… Grommelais-je

— Je ne comprends pas, en quoi notre combat te concerne-t-il ? Me demanda Claude.

— Je voulais participer à l’effort de guerre, je ne pouvais plus rester à ne rien faire alors qu’autant de gens mourraient…

 Je sentais que la situation m’échappait… J’avais la désagréable impression que rien ne pourrait les persuader de me croire.

— Et donc, tu as décidé de traverser l’atlantique pour te porter volontaire alors que ton pays est en paix ? Ajouta Jean d’un air sceptique.

— Ce n’est plus le cas ! Annonçai-je en remarquant du coin de l’œil les quelques affiches épinglées et le bloc-éphéméride mural à la date d’aujourd’hui : le 11/12/1941.

 C’était un jour historique, Justin me l’avait suffisamment répété ! Il avait tellement insisté sur l’importance de cette date que je ne pourrais jamais l’oublier !

 L’attaque de Pearl Harbor avait eu lieu le 7 décembre 1941. En réponse, les États-Unis avaient déclaré la guerre au Japon dès le lendemain. Par le jeu des alliances, le troisième Reich avait scellé son destin. Ils avaient déclaré la guerre aux États-Unis trois jours plus tard, soit aujourd’hui le 11 décembre. J’espérai que cet important fait d’actualité suffirait à focaliser leur attention sur autre chose.

— Comment ça, ce n’est plus le cas ? interrogea Jean, surpris.

— Les Japonais ont attaqué Pearl Harbor et le président Roosevelt leur a déclaré la guerre. Au moment où nous avons décollé, j’ai appris que nous étions également entrés en guerre contre l’Allemagne.

Un murmure parcourut l’ensemble des Résistants présents dans la pièce. Claude s’exclama :

— Les États-Unis entrent enfin en guerre ? Il était temps !

 Les deux autres hommes s’avancèrent vers moi en me bombardant de questions auxquelles je n’avais pas le temps de répondre…

Jean les foudroya du regard et leur ordonna de se taire. Lorsque le silence revint, il me demanda :

— Qu’est-ce qui me prouve qu’on peut vraiment te faire confiance ?

— J’ai sauvé la vie de Claude, que vous faut-il de plus ?

— Claude nous a rapporté que tu as également sauvé une nazie… Déclara Jean d’un air accusateur.

— Je n’ai pas eu le temps de réfléchir, j’ai juste vu une femme en détresse…

— Ah ! Nous avons à faire à un chevalier ! lança l’homme au béret d’un air sarcastique.

— Et alors, qu’est ce qu’il y a de mal à sauver la vie de quelqu’un ? Je vous rappelle que malgré ça, j’étais sur le point de me faire exécuter ! Si j’avais été un espion, ils n’auraient pas essayé de me tuer. Tentai-je de me justifier en observant Jean dans les yeux.

 Claude lui susurra quelque chose à l’oreille, puis les quatre hommes se retirèrent de la pièce pour délibérer et prendre une décision. Quelques instants plus tard, ils revinrent et Jean s’avança vers moi, un couteau à la main.

— Tu as de la chance, on vient de recevoir un message à la radio nous informant que l’Allemagne et l’Italie viennent de déclarer la guerre au États-Unis. Tes réponses ne sont pas très claires, mais comme Claude se porte garant pour toi, on va te libérer et te trouver un transport pour que tu puisses rentrer en Angleterre.

— Non, je reste ! affirmai-je en me massant les poignets.

— Pourquoi ? questionna Jean d’un ton brusque.

 Je ne savais pas quoi lui répondre. Je réfléchis quelques instants. J’avais besoin de savoir pourquoi je me retrouvais ici. Je ne voulais pas quitter la France, car la seule personne susceptible de m’aider à trouver des réponses, c’était Justin, mon arrière-grand-père. Je savais qu’il avait vécu dans cette région pendant l’occupation, et ça ne pouvait être une simple coïncidence.

 Justin s’était montré très mystérieux sur la vie qu’il avait eue avant de rencontrer Maryse en Angleterre. Je ne disposais donc que de quelques éléments sur lesquels m’appuyer pour le retrouver.

 Pendant l’occupation, ses parents propriétaires d’une épicerie s’étaient fait assassiner par les Allemands. Justin, seul survivant de sa famille, s’était réfugié chez sa tante à Troyes, refusant catégoriquement d’expliquer ce qui s’était vraiment passé ce jour-là.

— Augustin, tu es encore avec nous ? M’interpella Jean en claquant des doigts pour me ramener à la réalité. Je lui répondis en déformant légèrement la vérité.

— J’ai de la famille ici. D’après mon père, son frère Joseph Augun vit à Dijon. Comme je ne pouvais pas venir directement en France, j’espérais passer par l’Angleterre pour me rapprocher d’eux. Je ne pensais pas y parvenir aussi rapidement, et encore moins en me crashant…

— Pourquoi tu ne l’as pas dit plus tôt ?

— J’étais stressé ! Je n’avais pas le temps d’en placer une et encore moins de réfléchir avec toutes vos questions…

 Je commençai à en avoir assez de mentir. J’avais passé l’interrogatoire avec difficulté et j’étais presque sûr que j’allais finir par me prendre les pieds dans le tapis avec tous ces bobards, mais je n’avais pas vraiment le choix.

— Tu es donc le fils de Tristan ? J’ai connu autrefois les frères Augun, je savais que Tristan était parti aux États-Unis, mais j’ignorais qu’il avait eu un fils. S’étonna Jean.

 Justin m’avait raconté que son père, Joseph, s’était gravement querellé avec son frère Tristan. Ce dernier était parti vivre aux États-Unis en 1918 bien avant la naissance de Justin. Suite à cette dispute, Tristan n’avait jamais donné de nouvelles à son frère. Justin avait appris en arrivant à New York en 1955 qu’il était décédé d’un accident de la route peu de temps après son arrivée. Il n’avait jamais eu ni femme ni enfant. Je me servis donc de cette information pour parfaire mon imposture :

— Mon père était en froid avec Joseph, il ne lui a jamais donné signe de vie. Cependant, il a commencé à s’inquiéter pour notre famille restée en France lorsque la guerre a éclaté.

— Pourquoi n’a-t-il pas cherché à prendre contact ?

— Il n’a pas eu le temps d’envoyer de mail ni de téléphoner… Je compris que j’avais fait une gaffe en découvrant leur air ahuri.

— C’est quoi un Mèleu ? questionna Claude, curieux.

Quel idiot ! l’e-mail ne serait inventé que dans cinquante ans…

— Excusez-moi, je ne savais pas comment traduire ça en français, bafouillai-je, c’est comme ça qu’on appelle les lettres dans mon village.

 Ils acquiescèrent d’un hochement de tête et je compris avec soulagement que mon explication leur suffisait.

— Ton père est venu avec toi ? Se renseigna Claude.

Je secouai la tête en signe de dénégation.

— Il est mort suite à une infection, il y a six mois. Je me suis retrouvé seul et sans argent. Plus rien ne me retenait aux USA, j’ai donc décidé de rejoindre l’Angleterre et de me porter volontaire. Maintenant que je suis enfin en France, je vais partir à la recherche de mon oncle pour renouer les liens.

Le visage des résistants s’assombrit.

— Navré de te l’apprendre mon p’tit gars, toute la famille Augun a péri lorsque les Allemands sont arrivés. M’annonça Jean.

C’est bien ma veine, le tragique évènement qui a décimé la famille de Justin a donc déjà eu lieu ? pensai-je. Espérant obtenir plus d’informations, je demandai.

— Que s’est-il passé ?

— D’après ce qu’on sait, cette tête de mule de Joseph s’est opposée aux nazis avec son fusil et en a tué un par accident. Pour se venger et montrer l’exemple, ils ont assassiné sa famille et brûlé l’épicerie qu’il tenait. Il n’y a eu qu’un seul survivant, ton cousin, Justin.

 N’apprenant rien de nouveau, je simulai de mon mieux la tristesse et la consternation. Brûlant d’impatience de savoir où se trouvait Justin, je m’écriai.

— Où est-il ? Je peux le rencontrer ?

— Doucement mon gars, chaque chose en son temps ! Il va falloir qu’on te trouve des papiers d’identité.

— Pourquoi ? demandai-je, déçu.

— Toutes les routes sont surveillées par les nazis et actuellement tu es un soldat ennemi. Il te faut de faux papier si tu veux pouvoir circuler librement. Ça risque de prendre un peu de temps, mais tu peux rester avec nous en attendant.

— Très bien, je vais rester ici. Je ne sais pas faire grand-chose, mais je vais faire de mon mieux pour me rendre utile.

 Galvanisé par ces héros de guerre qui avait bercé mon enfance grâce aux récits de Justin, et heureux d’avoir l’occasion de vivre une aventure pour la première fois de ma vie, je demandai avec insouciance :

— Puis-je intégrer la résistance ? J’aimerais venger la mort de ma famille.

D’un ton paternaliste, Jean me prévint :

— Tu risques de mourir.

 J’avais conscience des risques de mon engagement, mais pour la première fois de mon existence  j’avais l’occasion d’accomplir quelque chose d’utile. S’il s’agissait d’un rêve, je ne risquais rien… Dans l’autre cas, j’avais forcément été envoyé ici pour une raison particulière, alors autant en profiter pour mener une vie qui m’était jusqu’alors inaccessible…

— Je le sais, mais ma décision est prise. Rétorquai-je avec détermination.

— Dans ce cas, bienvenu ! conclut Claude avec un sourire.

[1] DCA : Ensemble militaire de défense contre les attaques aériennes.

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