CHAPITRE 15 « Un train pour Paris »

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Entre Troyes et Paris, 2 Mars1942

 J’avais accepté de me laisser embarquer dans cette première mission périlleuse… Nous avions pris le train à Troyes en direction de Paris, munis de faux laissez-passer. Le reste des compartiments étant remplis de soldat, nous nous étions installés dans la dernière voiture.

 Claude, assis en face de moi, lisait le journal, et notre nouveau compagnon, Louis, jouait avec un couteau à cran d’arrêt. Je me demandais comment il avait réussi à le dissimuler lors de la fouille surprise à la gare.

 Il prétendait être un simple directeur artistique supervisant plusieurs spectacles en France. Son statut lui permettait de voyager dans tout le pays, même en zone libre. Claude m’avait expliqué qu’il exploitait cet avantage pour transmettre des informations entre les différentes factions que comptait la résistance.

 Observant par la fenêtre les paysages qui défilaient, j’en profitais pour me remémorer la couverture que nous avions mise en place. Nous étions censés accompagner la troupe de Dijon qui se déplaçait pour une représentation dans un théâtre parisien. Claude tiendrait le rôle de technicien du spectacle et moi je jouerais son jeune apprenti…

 Louis ne nous avait pas donné d’autres informations, nous ne connaissions donc pas le principal objectif de notre voyage. Je ne m’en préoccupais pas vraiment, j’avais surtout hâte de voir Paris.

*

* *

 Je fus réveillé en sursaut lorsque le contrôleur nous demanda nos billets. Étouffant dans ce petit espace confiné et surchauffé, je décidai de quitter le wagon pour m'aérer l'esprit.

 Après avoir traversé la voiture, j’ouvris la porte donnant sur la plateforme arrière. Le vent frais qui me caressait le visage dissipa immédiatement mon malaise.

 Je sortis un paquet de cigarettes de ma poche et en allumai une. Depuis quelques semaines, j’avais pris la mauvaise habitude de fumer. Mes camarades qui fumaient tous, sans avoir conscience des risques qu’ils encouraient, avaient fini par me convaincre de les imiter. Dans les années 40, personne ne savait que c’était néfaste pour la santé.

 M’appuyant sur la balustrade, je me laissai bercer par le bruit régulier de la locomotive et le son métallique des roues frottant sur les rails.

 Malgré l’horreur de la guerre, j’avais l’impression que la vie ici était beaucoup plus simple et que les gens se concentraient uniquement sur l’essentiel… je réalisai que je m’étais vite habitué à l’absence des téléphones portables, d’internet et des réseaux sociaux qui nous saturaient d’informations. Malgré tout, j'oubliais parfois les 80 ans d’écart technologique qui me séparaient de mon siècle…

 La semaine de mon arrivée, j’avais même demandé à Marie où se trouvait l’aspirateur…

 Même si cet appareil existait déjà à cette époque, il était encombrant et coûtait encore très cher. Elle avait éclaté de rire en pensant que je plaisantai et m’avait tendu un balai…

 La porte du wagon s’ouvrit soudainement puis se referma. Des bruits de talons claquèrent derrière moi, et je sentis l’agréable odeur d’un parfum qui ne m’était pas inconnu.

— Vous avez une cigarette ?

 Je me retournai en fourrant ma main dans ma poche à la recherche de mon paquet. J’entrouvris bêtement la bouche, surpris. La femme qui se tenait en face de moi portait un lourd manteau en laine et un élégant chapeau en daim. En découvrant son visage, je faillis lâcher un juron… C’était Éva.

 M’étant souvent remémoré notre rencontre mouvementée, je n’avais eu aucune difficulté à la reconnaître. Elle était encore plus belle que dans mes souvenirs…

 J’étais très heureux de la revoir malgré le danger qu’elle représentait pour moi. Même si elle m’avait déjà aidé, je n’étais pas sûr de pouvoir lui faire confiance !

— Alors, vous en avez ou pas ? S’impatienta-t-elle

 Elle ne semblait pas m’avoir reconnu. Ayant trop peur de me raser avec le « coupe-choux », j’avais dû me résigner à me laisser pousser la barbe. J’avais été traumatisé par ce film où l’on voyait un barbier égorgeant ses clients pour en faire des tartes…

Pris au piège, je sortis mon paquet et lui tendis une cigarette. L'attrapant, elle la porta à ses lèvres recouvertes d’un rouge éclatant, puis attendit que je l’allume. Elle tira dessus, puis me remercia en souriant.

— Vous êtes français ?

— Oui. murmurais-je la gorge serrée.

— Quelle est votre destination ? enchaîna-t-elle du tac au tac.

— Je suis l’apprenti d’un technicien en éclairage, nous devons nous rendre dans un théâtre à Paris. D’ailleurs ils doivent s'impatienter, je vais vous laisser. Répondis-je, espérant écourter la conversation.

— Quel théâtre ? insista-t-elle.

— Euh, je ne me souviens plus du nom, désolé…

Je craignais qu’elle finisse par me reconnaître, mais je n’arrivais pas à me débarrasser d’elle. Elle sourit à nouveau, puis s’avança vers moi.

— Vous n’êtes pas très bavard !

 Elle était si proche de moi que mes mains devinrent moites et mon cœur se mit à battre la chamade. Était-ce simplement la peur d’être dénoncé, ou sa présence qui me troublait ? Ne parvenant pas à détacher mes yeux des siens, je restai planté là, comme un idiot.

Elle fronça soudain les sourcils.

— J’ai comme l’impression de vous avoir déjà rencontré.

— Vous devez faire erreur, je ne quitte jamais Troyes.

— Troyes ? Intéressant…

 Quel imbécile, je venais de lui renseigner la ville dans laquelle je vivais !

— Je suis pourtant persuadée de vous avoir vu à Dijon ! s’obstina-t-elle en me dévisageant.

— Vous me confondez probablement avec quelqu’un d’autre ! répondis-je en secouant la tête. Je sentis que la situation m’échappait. S’approchant de la gare, le train se mit à ralentir et j’en profitai pour tenter de me dérober.

— Je dois vous laisser mademoiselle, mes amis vont m’attendre et finir par s’inquiéter.

— Dans ce cas, je ne vais pas vous retarder plus longtemps. Merci pour la cigarette et cette brève conversation…

 Je m’apprêtai à baisser la poignée de la porte lorsqu’elle m’interpella.

— Attendez !

 C’était la fin ! le lieu grouillait de soldats. Une grosse bouffée de chaleur m’envahit en pensant qu’il ne suffirait que d’un seul mot de sa part pour nous condamner. Je me retournai, essayant de contrôler le tremblement de mes mains.

— J’ai oublié de vous demander votre nom ! dit-elle en jetant son mégot sur les rails.

— Euh… Augustin Augun. Annonçai-je précipitamment, avant de m'apercevoir que je venais de lui indiquer ma véritable identité. Jouer les James Bond n’était vraiment pas fait pour moi. Roger Moore devait se retourner dans sa tombe…

— Enchantée, monsieur Augun. Je vous souhaite une agréable journée. Ajouta-t-elle en me tendant la main.

 Soulagé de m’en sortir à si bon compte, je répliquai sans réfléchir :

— Au revoir Éva.

 Refermant la porte, j’aperçus brièvement au travers de la vitre son visage consterné. Comprenant que j'avais commis une erreur monumentale, je m’éloignai à la hâte avant qu’elle ne puisse réagir.

— Ah, te voilà enfin ! fit Claude.

— Allez les gars, on n’a pas de temps à perdre. Enchaîna Louis.

 Je récupérai mon béret, espérant naïvement qu’il me permettrait de passer incognito, et m’emparai de ma valise.

 Nous descendîmes du train qui venait tout juste de s’immobiliser sur un quai rempli d’Allemands. J’aperçus au loin Éva qui traversait la voiture. J’étais persuadé qu’elle était à ma recherche.

 Je me dissimulai dans la foule compacte qui s’était formée devant un contrôle de la Wehrmacht, et inspirai profondément pour essayer de me calmer. Un officier me demanda mes papiers, je lui présentai donc ma fausse carte d’identité.

— Motif du voyage ? M’interrogea le soldat, avec un accent bien moins agréable que celui d’Éva.

— Euh… Bredouillai-je avec difficulté.

— Il est avec moi ! intervint Louis en montrant les laissez-passer.

 L’officier étudia le document puis apposa un coup de tampon libérateur. Alors que nous nous éloignions, Louis me fit la morale.

— Qu’est-ce qui t’a pris ?

— Excuse-moi, Louis, j’ai perdu mes moyens.

— Il va falloir que tu apprennes à contrôler tes nerfs. Si tu nous mets encore en danger, c’est moi qui te tuerai ! me prévint-il d’un ton ferme.

— Oui, oui. Je suis vraiment désolé. Répondis-je, un peu honteux.

— Allez, on avance maintenant, direction le métro.

Je me retournai, espérant qu’aucun soldat ne se lance à notre poursuite…

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