CHAPITRE 20 « Une oreille attentive… »
Allongée sur son lit, Audrey avait les yeux rivés sur son smartphone et faisait défiler les photos et vidéos de ses contacts. Une notification lui indiqua qu’une alarme venait de se déclencher dans la chambre d’Augustin.
Elle se leva précipitamment, enfila à la hâte un vieux sweat, puis traversa rapidement l’appartement. Ce soir-là, elle devait s’occuper seule de son frère, car l’une de ses deux aides de vie avait pris quelques jours de congés et l’autre était malade.
Lorsqu’elle ouvrit la porte de la chambre de son frère, elle le surprit en pleine crise de nerfs.
— Qu’est ce qui t’arrive ? s’exclama-t-elle affolée. Il faut vraiment que tu te calmes si tu ne veux pas retourner à l’hôpital !
Augustin ne sembla même pas s’apercevoir de la présence de sa sœur. Il pleurait tellement qu’il commençait à suffoquer.
Complètement dépassée par les évènements, Audrey sortit son smartphone de sa poche et composa le numéro du médecin.
*
* *
Le docteur Bernigam, un cinquantenaire à la forme olympique, arriva sur place une demi-heure plus tard. Il posa plusieurs questions à Audrey tout en auscultant Augustin, et rendit son pronostic en quelques minutes.
— Rien de bien méchant, je pense qu’il s’agit d’une simple crise d’angoisse. Je vais lui donner un anxiolytique et tout devrait rentrer dans l’ordre. Je vous enverrai une ordonnance demain pour poursuivre le traitement, expliqua-t-il en sortant une seringue et un flacon de sa sacoche.
— Il risque d’être légèrement comateux les prochains jours, mais les effets secondaires s’estomperont avec du repos. Ajouta-t-il en injectant le produit dans le bras d’Augustin.
Après avoir remercié le médecin, Audrey le raccompagna vers la sortie. Elle referma la porte à double tour et retourna dans la chambre de son frère. Elle s’assit en tailleur sur le lit et lui demanda.
— Augustin, qu’est-ce qu’il t’arrive ?
— J’ai envie de mourir… murmura-t-il, faiblement.
— Pourquoi tu dis des choses comme ça ? s’indigna Audrey qui sentait les larmes lui monter aux yeux.
— Je t’en prie Audrey, ne fais pas celle qui ne comprend pas ! s’emporta-t-il. Je n’ai aucune autonomie, aucun avenir, je n’ai pas d’amis, et j’ai bien conscience que je suis un fardeau. Ce serait mieux pour tout le monde si je disparaissais !
— Tu te trompes complètement ! Nous ne t’avons jamais considéré de cette manière et nous étions tous très contents d’avoir passé du temps avec toi ce soir…
— Oui, oui… vous m’avez promené comme un petit chien obéissant et demain vous allez tous reprendre vos vies, alors que moi, je resterais coincé dans ce fauteuil de merde ! lança-t-il avec amertume.
Il ne pouvait pas expliquer à sa sœur ce qu’il ressentait vraiment. L’aventure qu’il venait de vivre l’avait tellement transformé qu’il lui était désormais impossible de supporter sa maladie… Claude et toute sa bande lui manquaient, et il pensait constamment à Éva qu’il avait abandonnée dans cette chambre froide…un sentiment de profonde injustice l’envahit et il se mit à pleurer.
Bouleversée par la détresse de son frère, Audrey le prit dans ses bras et fondit en larmes. Touché par la réaction de sa sœur, la colère d’Augustin s’apaisa.
— Je suis désolé de t’avoir parlé comme ça… murmura-t-il
— Ne t’excuse pas, tu as le droit d’être en colère. J’oublie parfois à quel point ton quotidien est compliqué. Je ne sais pas quoi te dire pour te remonter le moral, mais je serai toujours là pour toi…
— Audrey, tu gaspilles toute ta vie à t’occuper de moi. Tu n’as quasiment pas d’amis, tu n’as jamais pu t’investir dans une relation amoureuse et tu n’as pas de travail. Tu dois apprendre à vivre pour toi !
— Mais j’adore passer du temps avec toi ! Tu as toujours su m’écouter, me conseiller et me rassurer. Je n’ai besoin de personne d’autre que toi et Lisa.
Augustin soupira longuement avant de répondre.
— Tu es ma sœur et ce n’est pas ton rôle d’assumer ma maladie. Je ne suis pas éternel et mon espérance de vie est très courte. Il est hors de question que tu gâches ton avenir.
— On a promis à Maryse sur son lit de mort qu’on resterait toujours unis quoi qu’il arrive. Tu as déjà oublié ? bredouilla-t-elle entre deux sanglots.
— Ça ne signifie pas que tu doives devenir mon esclave...Que feras-tu quand je ne serai plus là ? Je voudrais juste que tu profites un peu de la vie… Ton amie June t’a proposé de l'accompagner en Europe, alors accepte !
— Mais…
— Ne t’inquiète pas, je survivrai quelques jours sans toi, ajouta Augustin en souriant.
—Tu as peut-être raison, ça fait très longtemps que je ne suis pas partie en vacances.
Audrey s’essuya les yeux et se leva pour prendre un mouchoir, mais son regard se posa sur un papier qui dépassait du journal d’Éva. Intriguée, elle s’en saisit avant qu’Augustin n’ait eu le temps de protester.
— Qui est cette femme ? interrogea-t-elle en lui montrant une vieille photo d’Éva en noir et blanc. Vêtue d’une robe légère, elle était adossée contre un arbre et souriait à l’objectif d’un air charmeur.
Surpris, Augustin entrouvrit la bouche. Il avait passé des heures à parcourir les pages de ce journal, mais n’avait jamais remarqué cette photo.
— Alors, c’est qui ? insista Audrey.
— Personne… je suis vraiment épuisé, est-ce que tu peux me laisser ? J’aimerais dormir un peu...
Ignorant la réponse de son frère, Audrey retourna le cliché et lut à haute voix un message écrit de la main d’Éva.
— Pour toi mon amour, j’espère que tu ne m’oublieras pas… Éva, 15 octobre 1942.
Augustin se renfrogna, contrarié d’apprendre qu’Éva avait un petit ami.
— C’est drôle, elle me fait penser à quelqu’un, mais je ne vois pas à qui. Pourquoi tu as sa photo ?
— Je ne sais pas moi, je l’ai trouvé par hasard ! s'agaça Augustin.
— D’accord, dans ce cas je peux la jeter, fit Audrey en s’approchant de la poubelle.
— NON ! s’exclama Augustin.
— Je me doutais bien que tu me cachais quelque chose ! Je croyais qu’on n’avait pas de secrets l’un pour l’autre. Dit-elle, déçue.
Comprenant que sa sœur n'abandonnerait pas, Augustin lui expliqua comment il avait découvert le coffret et ce qu’il contenait. Il jugea préférable de ne pas lui parler de ce qu’il avait vécu.
— Pourquoi papy possédait le journal de cette femme ? interrogea Audrey d’un air songeur.
— C’est ce que j’essaye de savoir. Il a également laissé une lettre qui m’était destinée. Répondit Augustin en sortant le papier de son sac.
Audrey s’en saisit et fronça les sourcils.
— C’est incompréhensible ! marmonna-t-elle.
— C’est normal, il s’agit d’un code crypté que Justin utilisait pendant la guerre. Ajouta Augustin en lui traduisant le contenu du message.
— Je ne comprends pas pourquoi il a caché ça pendant toutes ces années. Tu penses qu’il aurait pu avoir une liaison avec cette Éva ?
— Je ne sais pas, j’ai cherché sur internet, mais je n’ai trouvé aucune information la concernant.
— C’est vraiment bizarre, lança Audrey en bâillant à s’en faire décrocher la mâchoire. Je suis exténuée et demain je dois me lever tôt ! On en reparle plus tard, bonne nuit petit frère, fit Audrey en lui embrassant le front.
Elle claqua la porte de la chambre, et Augustin, se retrouvant seul, finit par s’endormir…
Un mois plus tard, Boston, 27 juillet 2018
Seul dans le grand salon, Augustin contemplait le violent orage qui se déchainait au-dessus de Boston. Il avait passé le mois qui venait de s’écouler à parcourir tristement le journal d’Éva, espérant pouvoir retourner en 1941…
Avec Audrey, ils avaient écumé internet pendant des heures à la recherche d’informations concernant Éva. Ils n’avaient trouvé que deux ou trois articles mentionnant sa carrière de chanteuse en Allemagne. Augustin se demandait s’il allait la revoir un jour, lorsqu’un éclair zébra le ciel, laissant apparaître une ombre derrière la fenêtre.
Intrigué, il s’en approcha. Malgré la pluie qui martelait la grande baie vitrée, il aperçut la silhouette d’un homme, figée au beau milieu de la terrasse.
Terrifié, il alluma la lumière via son téléphone et constata avec soulagement qu’il n’y avait personne dehors. Il prit quelques secondes pour se calmer. Persuadé que son esprit lui avait joué un tour, il décida d’aller se coucher.
Il fit pivoter son fauteuil pour rejoindre sa chambre mais s’immobilisa, horrifié en découvrant qu’un inconnu se trouvait dans le salon, en face de lui…
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