Chapitre 21  Les ennuis continuent (Repris)

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 — Qui… Qui… êtes-vous ? balbutia Augustin, paralysé par la peur.

 L’homme ne répondit pas et se contenta de le dévisager sans bouger. Ses vêtements étaient trempés. Du sang dégoulinait de son front. Une tache rougeâtre s’élargissait au niveau de sa poitrine.

 Augustin s’approcha prudemment et examina le visage de l’homme. Ses muscles se raidirent, son pouls s’affola. Il s’agissait de… lui-même. Ou plutôt, de son sosie de 1942. L’intrus portait la même chemise déchirée et le même pantalon en lin qu’Augustin avait retiré après s’être réveillé dans le puits de la Kommandantur de Dijon.

 — Qu’est-ce que vous me voulez ? murmura ce dernier d’une voix éraillée.

 D’un geste saccadé, son « jumeau » tendit le bras et pointa l’index vers le fauteuil roulant. Sans quitter l’homme des yeux, Augustin tourna la tête. Un sentiment d’exaltation et d’euphorie l’envahit tout à coup. Une vive lumière bleutée s’échappait de sa sacoche.

 Il s’empara du coffret et en retira le journal intime d’Éva qu’il ouvrit avec excitation. Il ignora les fourmillements désagréables qui se répandaient le long de ses bras, les tremblements incontrôlables qui parcouraient son corps et feuilleta l’ouvrage. Sur la page de garde, une nouvelle phrase scintillait.

« Qu’est-ce qui vous prend ? Lâchez-moi tout de suite ! »

 L’intrus s’était déjà volatilisé lorsque l’esprit d’Augustin fut aspiré dans les profondeurs du livre.

Paris, 2 mars 1942

 — Qu’est-ce qui vous prend ? Lâchez-moi tout de suite !

 J’étais littéralement vautré sur Éva. J’avais beaucoup de mal à émerger. Elle me repoussa d’un violent coup de pied dans le ventre qui me remit rapidement les idées en place. Le souffle coupé, j’écarquillai les yeux et me frottai l’estomac en grimaçant.

 — Pourquoi m’avez-vous frappé ? m’indignai-je.

 — Vous vous êtes jeté sur moi !

 Elle n’avait pas remarqué mon absence. J’avais donc disparu pendant un mois entier, mais quelques secondes semblaient s’être écoulées pour elle.

 — J’ai… J’ai fait un malaise, me justifiai-je. Je ne l’ai pas fait exprès !

 Elle me jeta un regard glacial et croisa les bras.

 — Je suppose que tout à l’heure non plus, vous n’avez pas fait exprès de m’espionner dans ma loge ?

  Un sentiment de honte m’envahit. Je baissai la tête pour cacher mes joues qui prenaient une teinte rouge brique. Je ne pensais pas qu’elle m’avait vu.

 — Je suis désolé... La porte était entrouverte quand je suis passé. J’ignorais que vous étiez en train de vous changer…

 — Et bien sûr, vous n’avez pas jugé nécessaire de détourner le regard ?

 — Vous n’aviez qu’à fermer à clef. Ça nous aurait évité de gros ennuis !

 — La serrure était cassée !

 — Vous auriez pu bloquer la porte avec une chaise, maugréai-je.

 Elle me balança une tartelette qui traînait sur une étagère en pleine figure. Je tirai sur ma manche et m’essuyai en ronchonnant avec mauvaise humeur.

 — Si je comprends bien, c’est de ma faute si deux gros pervers sont venus me reluquer à mon insu ? ajouta-t-elle, les dents serrées.

 — Non… Ce n’est pas ce que je voulais dire.

 — Dans ce cas, n’essayez pas d’avoir le dernier mot et taisez-vous !

 Elle se leva puis s’installa à l’autre bout de la pièce, la mine sévère, le visage fermé. Je bafouillai des paroles d’excuses, mais elle refusa de m’adresser la parole.

 — Bon, je ne compte pas passer la nuit ici ! Je m’en vais, annonça-t-elle en se redressant d’un bond.

 Elle se dirigea vers la porte d’un pas décidé, appuya sur la poignée et s’immobilisa. Elle posa un index sur ses lèvres et me fit signe d’approcher. Je me levai, m’avançai vers la sortie sur la pointe des pieds et collai mon oreille contre la clenche. De l’autre côté, deux personnes discutaient.

 — Augustin n’est pas là.

 — Nous avions pourtant prévu de nous rejoindre ici !

 Je reconnus immédiatement les voix de Claude et Louis. Comment avais-je pu les oublier ?

 — On ne peut pas l’attendre plus longtemps. La mort d’Heinrich a provoqué un sacré bordel. Nous devons décamper d’ici avant que les Allemands ne décident de contrôler tout le monde, argua Louis. Viens, Claude. On s’en va.

 Si je ne sortais pas de ma cachette maintenant, je me retrouverai coincé à Paris. Je ne pouvais pas non plus abandonner Éva. Avec sa robe maculée de sang, il y avait fort à parier qu’elle serait arrêtée sur le champ si elle tentait de s’enfuir.

 — Ce sont vos amis ? m’interrogea-t-elle.

 — Pas du tout !

 — Ils viennent de prononcer votre prénom, me fit-elle remarquer. Partez avec eux, je saurai me débrouiller toute seule. Et ne vous inquiétez pas, je ne vous dénoncerai pas.

J’hésitai un instant, mais elle baissa la poignée, me poussa dehors et se cacha derrière la porte.

 — Augustin ! Qu’est-ce que tu foutais dans le frigo ? me demanda Claude en revenant sur ses pas.

 — Euh… J’avais faim, répondis-je en fermant la porte avec mon pied.

 Louis soupira longuement et secoua la tête.

 — Tu crois que c’est le moment de penser à manger ? Nous aurions mieux fait de te laisser croupir ici, espèce d’abruti.

 — Tu es blessé ? s’inquiéta Claude en désignant ma chemise d’un geste de la main.

 — Euh… Ce n’est pas mon sang…

 — Ne me dis pas que… C’est toi qui as tué Heinrich ?

 — C’était un accident…

 Louis afficha un sourire satisfait et me gratifia d’une bonne claque dans le dos.

 — Bien joué, Augustin. Tu as plus de tripes que je ne l'imaginais ! Bon, l’appareil photo est déjà en route pour Londres, il y a un salaud de nazi en moins, la mission est un succès. Bien joué, les gars ! Il ne nous reste plus qu’à rentrer au maquis et ouvrir une bonne bouteille pour fêt…

 — ATCHOUM.

 Claude et Louis se retournèrent vers la chambre froide d’un air suspicieux, puis leurs regards s’orientèrent vers moi.

 — Tu n’étais pas seul, là-dedans ? me questionna Louis, les sourcils froncés.

 — Bien sûr que si ! affirmai-je avec un peu trop d’aplomb.

 — Tu ne sais vraiment pas mentir, Augustin.

  Il se rua vers la chambre froide et manqua presque d’en arracher la poignée. Lorsqu’il ouvrit la porte, Éva s’écroula devant nous. Louis dégaina plus vite que « Lucky Luke ». Claude s’empara d’un torchon, se jeta sur elle et la bâillonna avant qu’elle n’ait eu le temps de hurler.

 — C’est qui celle-là ? Qu’est-ce qu’elle fout ici ?

 — Je crois que c’est la chanteuse. Tu sais, l’Allemande, intervint Louis en lui ligotant les mains.

 Il nous observa tour à tour, l’air incrédule.

 — Ne me dis que… Toi et elle… Vous… Ma parole, tu es un vrai tombeur, Augustin !

 — Arrête de raconter n’importe quoi ! m’indignai-je, le teint cramoisi. Elle m’a aidé à maquiller le meurtre d’Heinrich et nous nous sommes cachés là-dedans.

 — C’est pas vrai ! Tu te moques de moi, Augustin ? Elle sait que tu as tué Heinrich, et en plus, elle a entendu toute notre conversation à propos de la mission et du maquis ! Nous n’avons plus le choix. Nous allons devoir l’éliminer.

 — Vous voulez la tuer ? m’écriai-je en m’interposant. Elle m’a aidé ! Sans elle, les nazis m’auraient déjà fusillé à l’heure qu’il est !

 Louis poussa un soupir d’exaspération.

 — C’est une sale boche, tu ne peux pas lui faire confiance ! Elle nous dénoncera à la moindre occasion. Je refuse de prendre ce risque.

 Des gémissements étouffés s’échappaient de la bouche d’Éva qui gesticulait dans tous les sens pour essayer de se dégager de ses liens. Le visage impassible, Louis s’approcha d’elle et appuya le canon de son pistolet sur sa tempe.

 — Attends ! intervins-je. Si tu tires, tous les soldats vont rappliquer. Nous n’aurons aucune chance de nous en sortir vivants.

 — Tu as raison, reconnut-il en rangeant son arme. On va utiliser les bonnes vieilles méthodes.

 Son couteau papillon surgit dans sa main comme par magie. Il attrapa Éva par les cheveux et posa la lame sous sa gorge.

 — NON !

 — On ne peut pas se permettre d’avoir d’états d’âme, Augustin.

 — S’ils découvrent son cadavre, ils vont tout de suite comprendre que la mort d’Heinrich n’était pas accidentelle.

 — Il a raison, renchérit Claude. Ils n’hésiteront pas à arrêter, torturer et fusiller des innocents.

 — Dans ce cas, on change de plan !

 Louis relâcha Éva, fit disparaitre son arme en un tour de passe-passe et se dirigea vers le fond de la cuisine.

 — Elle va gentiment nous accompagner à la cave, reprit-il en ouvrant une porte qui donnait sur un escalier. Il y a un passage secret qui nous conduira dans les sous-sols du métro. Nous ne croiserons personne là-bas. On trouvera bien un trou pour se débarrasser de son cadavre.

 Je prenais conscience qu’aucun de mes arguments ne le ferait changer d’avis. Je me sentais responsable du sort qu’il réservait à Éva. Si elle ne m’avait pas aidé, elle ne se serait jamais retrouvée dans cette situation.

 Claude m’ordonna de la surveiller, puis il s’approcha de Louis. Il passa sa tête dans l’entrebâillement de la porte et esquissa une moue dubitative.

 — Tu es sûr que c’est sans danger ? Je n’aimerai pas me retrouver dans le noir avec un tas d’ossements humains au dessus de ma tête. Je n’ai pas envie de réveiller des esprits.

 — Ce ne sont pas les catacombes de Paris, Claude. Ne t’inquiète pas. Le tunnel conduisant au métro est éclairé. Je connais ce sous-terrain comme ma poche, le rassura Louis en appuyant sur l’interrupteur.

 Juste à côté, un boîtier en bois était accroché au mur. Des fils de cuivre serpentaient autour des fusibles…

 — Tu te ramènes, Augustin ? On n’a pas toute la nuit, m’interpella Louis. Invite donc la charmante demoiselle à nous suivre.

 Lorsque je lui saisis le poignet, Éva se tortilla et me supplia du regard. Je fus contraint de lui agripper les épaules pour la redresser de force.

 — Éva… Calmez-vous, lui chuchotai-je au creux de l’oreille. J’ai un plan pour vous sortir d’ici ! Quand vous passerez devant la porte de la cave, poussez-moi et partez en courant. Je m’occupe du reste.

 Elle me répondit par un imperceptible hochement de tête. Je la poussai vers mes compagnons qui empruntaient déjà les marches de l’escalier.

 Au moment où nous franchîmes le seuil de la porte, Éva se retourna et me projeta contre le mur. Elle se précipita vers le centre de la cuisine, mais Claude la plaqua au sol. Elle gigotait comme une furie. Louis s’approcha d’elle et la mit en joue.

 Pendant que mes camarades s’affairaient à la maîtriser, je tendis le bras vers le tableau électrique et arrachai le fusible en porcelaine au-dessus duquel était écrit : « lumière vers métro ». Je le glissai dans ma poche juste avant que mes compagnons ne se retournent.

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