L’Écho du Passé

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La porte s’ouvrit dans un léger grincement. John resta un instant immobile, comme si son propre seuil lui résistait. L’air de la maison avait cette densité particulière des soirs où les secrets pèsent plus que les mots.

Un bruit de vaisselle cessa net. Sophie surgit précipitamment de la cuisine, essuyant ses mains sur un torchon. Elle s’arrêta dans le couloir, le cœur battant, comme si elle avait couru pour l’intercepter. Ses yeux se posèrent aussitôt sur lui, cherchant une vérité qu’elle redoutait et espérait à la fois.

— Est-ce que c’est fait ? demanda-t-elle d’une voix basse, haletante.

John ne trouva pas la force de répondre. Ses lèvres s’ouvrirent, puis se refermèrent. Alors, simplement, il baissa la tête, laissa glisser son manteau au sol et leva légèrement la main, geste fragile, aveu muet.

Sophie comprit. Elle avança d’un pas, posa brièvement ses doigts sur son bras, geste simple, sans jugement, sans commentaire. Puis elle recula, s’effaçant pour le laisser traverser le couloir et rejoindre son refuge.

Le sanctuaire. C’est ainsi qu’il l’appelait en secret. Une pièce à part, loin des regards, où il gardait les fragments de sa mémoire. Les murs y étaient tapissés de silences. Sur une étagère, quelques photos jaunies, des objets ternis par les années.

Il s’assit devant la petite table, alluma la lampe. La lumière tremblotante révéla un chaos ordonné : carnets entassés, souvenirs dispersés, et, posé à l’écart, le papier encore plié que la psychologue lui avait tendu. Sa main s’attarda dessus, hésita, puis l’écarta. Pas encore.

Ses pensées s’entrechoquaient : le café avec cet homme dont le regard fouillait ses failles, les mots prononcés dans le bureau blanc, le carnet que la psychologue avait refermé comme pour lui dire qu’il n’était plus seul. Tout revenait, tout le happait.

Son regard finit par tomber sur le tiroir. Un frisson le parcourut. Ce tiroir était son secret véritable, celui qu’il n’ouvrait jamais devant personne. Sa main trembla en tirant la poignée. Le bois gronda doucement.

Sous quelques papiers anodins, il trouva ce qu’il cherchait : une photographie glissée dans une pochette usée. Son trésor caché.

Il la sortit avec précaution, comme s’il craignait d’abîmer une relique fragile. Deux visages apparaissaient : lui, enfant, et sa sœur, rayonnante d’une lumière qu’aucune ombre n’aurait dû ternir.

Ses doigts caressèrent l’image. Mais les souvenirs jaillirent aussitôt, brutaux. La maison. Les cris. Le regard enragé de sa mère. Sophie, au milieu de la tempête, son innocence piétinée par la violence. Puis le silence atroce.

La photo tremblait dans ses mains. Les larmes envahirent ses yeux. Et alors… le temps se rompit.


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Flashback

John se souvenait de cette journée avec une netteté douloureuse. Sa sœur avait été malade, terriblement malade. La pneumonie l’avait emportée à l’hôpital, loin de lui.

— Tu ne peux pas la voir, lui avait dit sa mère d’un ton glacial. Reste ici.

John avait supplié, mais sa voix n’avait servi à rien. Une tante était intervenue, avec la meilleure intention du monde, croyait-elle. Elle l’avait emmené jusqu’au parking de l’hôpital.

— Tu verras ta sœur dans un instant, avait-elle dit.

Mais l’instant ne vint jamais. John fut laissé dans la voiture, à attendre. Les minutes s’égrenaient comme des heures. Il observait la rue, la foule qui passait, les portes de l’hôpital, sans jamais apercevoir sa sœur. La tentative de sa tante fut un mirage cruel.

Puis il apprit… de lui-même. Personne n’osa prononcer un mot. Aucun adulte ne vint lui annoncer la terrible nouvelle. Il comprit seul que sa sœur n’était plus là, et ce silence, ce vide, s’inscrivit dans chaque fibre de son être.

La foule, les voix, les bruits de la ville… tout se mêlait à sa douleur silencieuse. Et John, sept ans à peine, choisit le silence pour toujours. Ce fut un pacte inconscient, un refuge et une prison à la fois.

Les larmes jaillirent dans le sanctuaire, brûlantes et incessantes. Il se recroquevilla sur la chaise, tenant la photo contre lui. Chaque sanglot réveillait ce vide, ce manque, cette injustice silencieuse. Le silence de ce jour-là s’était inscrit dans sa voix, dans ses gestes, dans son âme.

Puis, un mot traversa ses pensées comme un sifflement :

— Johnny…

Le nom, clair, tranchant, familier. Une réminiscence de ce matin, du café, de l’homme aux yeux pénétrants. Le présent s’imposa brutalement, chassant le souvenir de sa sœur. Les souvenirs de l’enfance et de la perte se mêlèrent à la peur et à l’instabilité qu’il avait ressenties face à lui.

Son cœur se serra. Il sentit encore l’effet perturbant de la rencontre, le regard de Marc fouillant ses failles, éveillant des frissons d’impuissance et de colère. La photo toujours serrée contre lui, il se redressa lentement, conscient que le passé et le présent s’entremêlaient, et que l’ombre était encore présente.

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