L’impasse
Le jour de la prochaine scéance arriva, John poussa lentement la porte du cabinet. Le tic-tac de l’horloge et le léger froissement de ses pas sur le tapis semblaient amplifier chaque mouvement. Il entra, le corps tendu, les yeux cherchant un point fixe.
La psychologue leva les yeux de son carnet, l’accueillant d’un sourire mesuré. Elle ne parla pas immédiatement, laissant John s’installer à sa guise. Il s’assit, raide, les mains crispées sur ses genoux, comme si le simple fait de respirer demandait un effort.
— Bonjour, John, murmura-t-elle enfin. Prenez votre temps.
Elle posa une tasse de thé fumant sur la table, mais ce n’était pas le centre de son attention. Ses yeux scrutaient chaque micro-gestuelle : le tremblement discret de ses doigts, la façon dont il portait son regard vers le sol, la tension dans ses épaules. Elle nota mentalement ces signes, silencieusement.
— Respirez un instant, dit-elle doucement. Concentrez-vous sur ce que vous sentez ici et maintenant.
John inspira lentement, mais son souffle restait court. Ses pensées tourbillonnaient : Marc, sa mère, la boule qu’il avait sentie près de la mer, l’ombre du passé qui le suivait. Il semblait sur le point de se briser, prêt à se laisser engloutir par ce chaos intérieur.
Elle laissa passer quelques secondes, laissant le silence devenir une structure autour de lui. Puis, sans interrompre sa concentration, elle lui tendit lentement un carnet et un stylo.
— Écrivez ce qui revient, dit-elle doucement. Peu importe l’ordre, peu importe les mots. Vous pouvez tout déposer ici.
Le carnet posé devant lui attira son attention. Il le prit, la main légèrement tremblante. Il écrivit un premier nom : « Marc ». Il relut, sentit une tension monter et, d’un geste sec, barra le nom. Puis, presque machinalement, il inscrivit « ma mère », mais à nouveau, il barra.
Chaque nom qu’il écrivait semblait ouvrir une fissure dans son esprit. Il hésita, le stylo suspendu au-dessus de la page. Les noms de tous ceux qui avaient compté pour lui, ou pesé sur lui, défilaient dans sa tête, mais il n’osa plus les inscrire.
Il laissa tomber le stylo, le souffle court.
— Je… je ne peux pas, murmura-t-il, la voix faible.
Le carnet resta sur ses genoux, fermé, symbole de ce qu’il ne pouvait affronter pour l’instant. Le silence s’installa, lourd et chargé. La psychologue le regarda, sans rien dire, respectant ce moment de refus, de protection instinctive.
John inspira profondément, cherchant à reprendre un peu de contenance. Il baissa les yeux, comme pour rassembler ses morceaux épars.
— Je… je crois que… je ne peux pas continuer aujourd’hui, dit-il finalement, la voix presque inaudible.
La psychologue hocha doucement la tête. Elle comprit qu’il s’agissait là d’une tentative de clôturer la séance, un pas nécessaire pour que John reprenne un peu de contrôle sur lui-même.
— Très bien, John. Nous arrêterons ici pour aujourd’hui, murmura-t-elle calmement. Vous avez fait ce que vous pouviez.
Il posa le carnet sur le bureau, se leva lentement et quitta le cabinet. Dans le silence de la pièce, la psychologue nota mentalement ce changement : la fragilité persistait, mais la conscience de ses limites commençait à émerger.

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