Les semaines s’écoulaient sans repères. John avait disparu du monde, de sa thérapie, vivant dans un espace où le temps semblait figé. La seule certitude qui le retenait encore était ce rituel immuable : entrer dans le salon de sa mère, croiser son regard figé et murmurer :

— Bonjour…

Mais ces simples mots n’étaient plus des salutations. Chaque « bonjour » était devenu un appel désespéré, un cri silencieux lancé vers celle qui l’avait façonné et blessé :

« Réveille-toi… je coule… je suis encore là, mais je ne tiendrai pas longtemps… »

Il les prononçait avec un poids qui écrasait ses épaules, comme si chaque syllabe devait transmettre sa détresse muette.

Puis il quittait la maison, comme si le monde l’avait abandonné. Il marchait sans but précis jusqu’au bord de la mer. Là, le vent et le ressac semblaient refléter ses tourments. Il criait, hurlait sa colère et sa douleur dans le vide, laissant ses larmes se mêler au sel de l’air. Parfois, il se laissait submerger par l’idée de tout effacer : lui, le monde, le passé. Et parfois, au moment où la tentation de l’abîme semblait irrésistible, il se ravisait, reprenant son souffle, revenant lentement sur ses pas.

Chaque matin, le rituel avec sa mère devenait une alerte silencieuse :

« Maman… vois-moi… je suis en train de sombrer… »

Ces mots non prononcés, portés par la routine, étaient son ultime fil de vie, sa manière de tendre la main vers une reconnaissance qui ne venait jamais.

Les semaines se succédaient ainsi, monotones et terrifiantes , le « bonjour » chargé de supplication, la mer témoin de ses déchirures, l’oscillation entre la survie et l’abandon total. Chaque instant semblait le rappeler à lui-même, mais aussi lui montrer l’étendue du vide qui le guettait.

Et pourtant, malgré la fatigue, malgré le désespoir, John continuait ce rituel, fragile fil entre la vie et le néant, espérant qu’un jour, peut-être, ce cri silencieux serait entendu.