Je Te Comprends

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Le café fumait nonchalamment sur le bord de la table, en terrasse. Il faisait chaud aujourd’hui. Très chaud. La météo avait certes annonçait une canicule, mais elle ne s’attendait pas à des températures aussi élevées.

  Derrière ses lunettes noires, elle observait sans y prêter attention les passants qui déambulaient sur la promenade. Sur le trottoir d’en face, à quelques centaines de mètres, la mer scintillait d’un calme limpide.

  Mais qu’est-ce qu’elle fichait là ? Pourquoi était-elle venue ? C’avait pourtant paru une bonne idée au départ, ce café au Bar du Soleil. Elles ne s’étaient pas vues depuis des mois, et sa meilleure amie lui manquait. Elle avait donc tout naturellement accepté et sans faire ni une ni deux, s’était habillée et maquillée pour sortir. Et maintenant… Maintenant elle n’avait qu’une envie, rentrer chez elle. Pourquoi ? Pour une phrase ? Une Malheureuse phrase que Justine avait dite sans y penser… Justement… Sans y penser. Le nombre de choses que l’on dit sans y penser, sans y attacher la moindre importance, limite en espérant même que la personne en face ne répondra pas. Ou au minimum, qu’elle ne réponde que quelque chose qui pourrait nous permettre de fuir vite sans le moindre autre échange.

  - Non tu ne comprends pas Justine ! Non tu ne comprends pas, parce que tu as deux filles et un poisson rouge, et que j’ai un fils et un chat. Non tu ne comprends pas parce que tes deux filles sont en parfaite santé et que le mien a une affection longue durée. Non tu ne comprends pas parce que tu ne dois pas leur donner un traitement tous les jours, je t’en prie épargne-moi ces poncifs ! Non tu ne comprends pas !

  Elle avait dit cette dernière phrase en criant presque et quelques clients des tables voisines s’étaient retournés : il était inconvenant qu’un jour comme celui-ci quelqu’un ose crier alors qu’un café bien chaud était servi.

  - Je t’en prie, ne réagis pas comme ça. Je sais combien ce doit être dur à vivre.

  - Dur à vivre ? Dur à vivre ? TU sais combien ce doit être dur à vivre ? Le ton montait de nouveau. Mais en quoi est-ce dur à vivre ? Qu’imagines-tu de mon quotidien Justine ? Tu penses que je ne vis qu’avec ça ? Du matin où je me lève jusqu’au soir où je me couche ? Tu sais très exactement combien de fois j’y pense dans une journée ? UNE fois, pas deux, pas quinze, une ! Quand je prépare son traitement. Oh ! Je ne dis pas que dans les premiers temps je n’y faisais pas plus attention, mais c’est passé maintenant. Tu sais ce que c’est mon quotidien Justine ? C’est un petit garçon qui fait des coloriages, qui refuse de manger ses légumes, qui déchire son jogging neuf parce qu’il ne l’a pas enlevé après le sport et qu’il est allé joué dans la récréation avec. C’est ça mon quotidien Justine. Ni plus ni moins.

  - Oh ! Chérie, je sais ce que tu es en train de faire. Tu veux faire celle pour qui tout va bien et qui assume, qui est solide et que rien ne peut atteindre mais…

  - Arrête ! Justine ! Arrête avec Psychologie Magazine ! Tu-n’es-pas-à-ma-place ! Tu ne sais pas ce qu’il y a dans ma tête ! Je ne joue pas un rôle Justine ! Désolée de décevoir tes pulsions de Mère Thérésa, mais je vais bien. Nous allons bien !… Définitivement, je ne sais pas ce que je suis venue faire ici… Tu sais ce que j’imaginais quand tu m’as appelée ? Je m’étais imaginé une sortie entre filles, une ballade sur la promenade, un shopping de boutiques de fringues ou mieux, de librairies. Finalement nous sommes là toutes les deux, tu m’expliques que tu t’inquiètes pour moi, et j’ai un café qui refroidit.

  - Je te trouve très dure Amy. Je ne voulais pas être méchante, je me soucie de toi…

  - Je sais. Je suis désolée. Tu comprends ? C’est juste que tout le monde passe son temps à me dire qu’il compatit, que ça doit être dur, qu’ils imaginent ce que j’endure… Elle eut une sorte de rictus. Ce que j’endure… Je n’endure rien. Tu es ma meilleure amie et je croyais que toi au moins tu aurais réellement compris ce que je vis et à l’inverse… Tu me tiens le même discours que tout les autres.

  - Amy, les gens disent des choses pour manifester de leur affection. Pour… Pour signifier qu’ils compatissent et qu’ils veulent apporter un soutien.

  - Compatir, Justine, du latin cum patior, souffrir avec. Où veux-tu souffrir avec moi ? Où est-ce que je souffre Justine ? Je te donne l’air de souffrir ? Si c’est le cas je suis désolée. Mais en aucun cas, je ne souffre. Quand il est né et que les médecins sont venus nous annoncer ce qu’il avait, à ce moment-là peut-être j’ai souffert… Mais maintenant… Tu veux que je te dise Justine ? Nous avons souffert tous les deux. Okay. Une heure dix. Une-heure-dix-minutes exactement. Pourquoi ? Parce que nous avons eu besoin d’encaisser. Alors nous l’avons laissé aux infirmières, vingt minutes. Pas une de plus, parce qu’à ce moment-là nous pensions que chaque minute comptait. Alors nous sommes descendus prendre un café et pleurer. Puis nous sommes sortis. Et là, Antoine m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais « Il faut nous ressaisir. Il y a là-haut un petit garçon qui a besoin de nous, de nous deux. Solides. La déprime est un luxe que l’on ne peut pas se permettre. A partir de maintenant il faut qu’il rigole au moins une fois par jour. Le rire guérit tout. » Je te l’accorde on s’est quitté huit ans plus tard, mais toujours est-il que de ce jour, je n’ai pas oublié et c’est ma ligne de conduite. La déprime est un luxe Justine, s’apitoyer sur soi-même et son propre malheur sans regarder autour de soi et essayer de positiver c’est un luxe pour égoïstes. Quand tu n’es pas au centre du problème, tu n’as pas de temps à perdre avec ça. Le rire guérit tout Justine. Le moral guérit tout. On peut rire de tout, on doit rire de tout. C’est la seule force que l’on ait face au désespoir. Si tu ris de tout, rien ne t’atteint et tu gardes le contrôle. Apitoie sur toi et tout s’écroule.

  - Merci pour cette leçon de vie Amy… Je n’en demandais pas tant. Merci chère Amy de me montrer la lumière de ta jute sagesse ! Je suis bien trop débile pour comprendre cela toute seule. Tu crois être passée à autre chose Amy, mais il n’en est rien. Tu ramènes tout à ça. Tu ne regardes le monde que par cette lorgnette. Tu n’es pas passée à autre chose Amy. Mais je ne t’en veux pas. Je te comprends.

(8 Juillet 2019)

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