66.2

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Enfermé dans une cage dont la taille l’impressionnait, Jarolt commençait tout juste à se rendre compte du pétrin dans lequel il s’était fourré. La nuit tombait et l’odeur d’écurie lui soulevait le cœur. Une chaleur tout aussi écœurante l’enveloppait. Les chevaux et autres bestiaux, ses compagnons d’infortune, lui tenait chaud autant qu’ils l’incommodaient par leurs puanteurs entremêlées.

Au moins ses fers n’étaient-ils pas trop serrés.

Naturellement, il était exclu qu’il évoquât Sanaeni. Il se doutait que des personnes telles que ses geôliers se feraient une joie de traquer et réduire l’aranite à une condition ignoble.

— Foutu noble, râla-t-il en jouant de ses chaînes. Tu verras où j’te la mettrait, ma prothèse.

— Grave erreur, lui répondit une voix toute proche ; masculine, plutôt grave… menaçante ?

— Une grave erreur ? Laquelle ?

— Critiquer le baron, répondit la voix. Et le menacer, même indirectement.

— Ah, vraiment ? Mais t’es qui, toi, d’abord ?

— Celui qui te prête gentiment sa cage. Pour information, tu es sur le domaine de Mestre Makara. Tu devrais faire attention à ce que tu dis sur lui si tu tiens à tes droits de vie.

— Mes quoi ? se récria Jarolt.

— Tu sais ce qu’est un esclave, au moins ?

— Bah… Oui, j’crois bien.

— Juridiquement, être esclave, c’est perdre ses droits de vie : le droit de posséder des biens ou l’usufruit de son travail, le droit de porter un nom et de le transmettre, le droit de réclamer justice… J’en passe. Tout le monde ne perd pas ses droits pour trois mots mal placés, mais tout le monde ne les place pas contre Léopold Makara. Il ne souffre aucun affront. Crois-m’en.

Subitement, un mouvement agita la pénombre. Jarolt tressauta comme la proie qu’il se sentit devenir lorsque deux yeux incandescents se posèrent sur lui, brûlant sa peau d’angoisse. Une lampe sortie du néant jeta un éclat mordoré sur le visage presque humain auquel ils appartenaient.

— Mon nom est Bard, se présenta le fabuleux.

— Oh… Marrant, t’as pas l’air du genre qui chante en jouant du luth.

— Tu n’as pas l’air d’un fils de Jarl non plus.

— Mon nom veut pas dire ça.

— Je sais. Agaçant, n’est-ce pas ?

Glissant sur le sarcasme, le prisonnier en revint à ce qui le préoccupait le plus.

— Donc… Tu comptes m’aider à sortir, Bard ?

— Pas le moins du monde. Je viens seulement te prévenir que si une petite fille aux yeux vairons vient te parler ou te proposer son aide, tu ferais mieux de décliner.

— Tu peux répéter ?

— Non. Tu m’as entendu.

— Ouais, mais j’pige pas. Tu crois qu’une gamine va essayer de m’aider et tu veux que j’la rembarre ? J’sais même pas par où commencer.

Bard posa sa lampe vacillante à la porte de la grille qui les séparait.

— J’estime que tu as compris.

Le départ du fabuleux laissa Jarolt étourdi. Momentanément, il crut avoir rêvé, et dut se raccrocher à lueur de la flamme de pétrole pour rester convaincu du contraire. Quant à savoir que penser de cette scène, il avait trop faim pour réfléchir. Ses geôliers comptaient-ils le nourrir ou l’affamer pour lui arracher quelque absurde aveu ?

En vérité, le baron et sa femme n’y pensait seulement pas, trop occupés à n’être plus d’accord sur rien pour vraiment décider quoi que ce fût. Léopold, conscient du temps que lui faisait perdre l’affaire, voulait une fin rapide et propre, sans effusion de sang, ni de paperasse. Denève, dont la grossesse exacerbait l’instinct maternel et qui s’en laissait conter par sa fille depuis la veille, criait vengeance au-delà du raisonnable.

Pendant ce temps, Aline jubilait. Elle avait su se montrer suffisamment habile pour faire lever la punition de son beau-père pour de bon et revenir au centre des préoccupations de sa mère. Il n’était plus question, ni des activités de Yue, ni de la naissance prochaine d’Abelard.

Trop fière de son ascendant pour ne pas en abuser, la jeune fille se fit la seconde visite du captif. Accompagnée d’Ombre, elle se porta volontaire pour servir un repas à Jarolt, assaisonné de mépris. Le tout, naturellement, sans en aviser ses parents.

— Vous dormez, Monsieur Sarovv ? remarqua-t-elle d’un air de grande dame mondaine.

Le jeune homme sortit de son demi-sommeil en jetant un juron salé de sa langue maternelle.

— Mon beau-père est Tjarn, souligna-t-elle. J’apprends le Tulis. Ne vous croyez pas plus savant que moi.

— T’apprends vingt-trois dialectes ? cracha-t-il. Bravo, princesse.

— Je ne suis pas princesse, mais baronne. Et bientôt marquise, si les projets de beau-papa se concrétisent. À votre place, je me montrerai plus aimable. J’ai votre vie entre les mains. Ainsi que votre repas.

— Pas faim, mentit Jarolt à la manière d’un enfant.

Aline songea que l’envie de vivre devait lui être passée de la même façon, ou pire, qu’il faisait l’erreur de prendre ses paroles à la légère.

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