67.4

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Les yeux de Yue s’agrandirent.

— Son garçon ?

— Oui, confirma Sanaeni. Sa peau est demi-sombre, ses yeux sont comme la forêt. Un tout petit garçon, savant comme un homme. Amiba voulait qu’il soit un Grand Ami de la future Régate, plus tard. Elle le préparait.

Le regard de Yue parut se vider, ou s’emplir d’une entité creuse. Elle qui croyait poursuivre un vulgaire voleur de barrette se trouvait nez à nez avec une parente qui, à l’égal de Gerane, formait un point de soudure entre elle et le frère adoptif qu’elle avait rencontré par aventure quatre ans plus tôt. Son souffle se réduisit à un maigre filet, allant et venant avec saccade. Elle recula de quelques pas.

— Viens, ordonna-t-elle à Bard. Il faut qu’on rentre.

Le dragon interloqué se contenta de pencher la tête.

— Il faut qu’on rentre, répéta Yue, plus impérieuse. Monsieur le baron va finir par s’inquiéter.

Il fallut bien la suivre lorsqu’elle tourna les talons pour se précipiter entre les arbres. Toujours dressée sur ses genoux, Sanaeni vit le dragon partir, véloce, arrachant Yue à son champ de vision.

— J’ai mal dit une parole ?

Jarolt haussa les épaules. La situation lui échappait autant qu’à la fabuleuse.

— Tu la rattrapes pas ? Elle peut peut-être t’expliquer, elle.

— Non, refusa Sanaeni. Elle reviendra.

— Quoi ? Quand ? Tu vas rester ici à l’attendre ? Elle… Elle habite chez un homme qui... Elle va lui dire que tu es ici et que tu viens d’Arë’n. Lui, il va envoyer des gens pour te capturer.

Tout en parlant, il mima le geste de se faire passer les fers. Lors, la fabuleuse remarqua les rougeurs que les chaines lui avaient laissées en bracelet. Il s’enfonça les mains dans les poches en vaine tentative de se soustraire à son inquiétude. Sanaeni soupira.

— Je suis forte, Jarolt. Plus que toi, plus que beaucoup d’âmes. Tu souffres pour moi sans raison.

— J’ai pas dit que je souffrais.

‌— Parce que tu mens par le silence. Rentre chez toi, cherche le sommeil. Ne pense plus à moi.

— Si je dors, j’ferais que ça, penser à toi.

La fabuleuse ne comprit pas, ou ne voulut pas comprendre. Elle se détourna du prétendant qui n’en serait jamais un à ses yeux et s’assit en tailleur sur la terre humide pour se concentrer sur la reconstitution de ses forces. En digne élève de Gerane, elle se préparait à tout. La nuit s’annonçait longue.



Le bon l’emportait parfois sur le mauvais, chez Yue. Parfois. Le plus souvent, elle se comportait en enfant capricieuse et autoritaire, aussi Bard suait-il sang et eau pour se retenir de l’étrangler, conscient que le moindre écart pouvait lui valoir les pires sévices. En sa qualité de partenaire de voltige, cependant, il lui arrivait plus facilement qu’à d’autres de dire le fond de sa pensée à la fillette.

— Je ne te comprendrai jamais, lui explosa-t-il sitôt qu’il fut retransformé en humain.

— Tant pis, lâcha-t-elle. Habille-toi, tu es indécent.

— Parce que tu sais ce qu’indécent veut dire, maintenant ?

— J’apprends des mots tous les jours.

— Pourtant, tu restes toujours aussi irrationnelle. Tu te rends compte que cette femme parlait d’Isaac ?

— Oui.

— Alors pourquoi tu t’es enfuie ?

— Parce qu’elle parlait d’Isaac, justement. Il est très bien chez les Adade. Je ne veux pas…

— Tu ne veux pas l’aider à retrouver sa famille ?

— Je suis sa famille.

— Tu n’es pas sa seule famille ! Vous ne vous connaissez que depuis quatre ans.

— Qu’est-ce que ça change ? Je suis sa grande sœur. Quand je serais adulte, j’aurai mon propre domaine avec plein d’esclaves où il vivra avec papa et moi. Si sa maman revient, elle vivra avec nous. En tous cas, personne n’emmènera Isaac loin de Terres Connues, pas même l’esprit de la lune.

Bard s’interrompit, le pied à moitié enfoncé dans sa botte, songeant que de toutes les inepties qu’elle proférait au quotidien, Yue venait de prononcer les plus égoïstes.

Pire, il se surprit à regretter de ne pas faire partie de son plan d’avenir naïf et égocentré. N’avait-elle pas de place pour lui au sein de son domaine fantasmé ? Ne serait-il qu’un des nombreux esclaves mentionnés par la fillette ?

— Entendu, Mestresse, lâcha-t-il amèrement.

— Ne m’appelle pas…

— Tu es Mestresse, Yue. Accepte-le une bonne fois pour toute.

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