70.1

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— Ton messager ne t’a pas précédé de beaucoup, Neveu. Je ne te cache que nous sommes dans l’embarras pour ce qui est de vous loger à l’improviste, toi et les tiens. L’Équinoxe de Printemps approche et mobilise toutes nos forces. Aussi, ne t’attends pas à un traitement de marque. Je sais ce que tu attends de nous en te présentant ici, mais tu ne rencontreras le roi que si tel est son bon plaisir et tu ne te serviras du sceau royal pour tes affaires que s’il le permet. Tu vivras ici selon nos us. Entre nos murs, tu privilégieras le haut-tulis pour t’exprimer. Tu mangeras à notre table comme nous mangeons d’ordinaire et tu seras mis à contribution si besoin est durant ton séjour. Tu n’es pas notre invité, mais un membre de notre famille. Une objection ?

— Aucune. Je suis aussi fier qu’un homme peut l’être de me revendiquer du Nord. Je ne vis que pour honorer mon ascendance.

— Nous verrons cela. En ce qui concerne ton épouse…

Hjorg Yggdrasil s’interrompit pour aviser la jeune femme. Agrippée à son époux, elle s’efforçait de garder contenance en dépit d’une grande fatigue, une main délicate posée sur son ventre rond.

— Nous prendrons infiniment soin d’elle. Soit sûr qu’elle sera traitée avec égard, et puisse-t-elle faire cadeau d’un prince à notre nation.

En murmure, Léopold traduisit la bénédiction de son oncle à son épouse. Celle-ci en conçu un sourire timide, tinté de gêne et de surprise.

— Sont-ce là tes filles ? reprit Hjorg en abaissant le regard sur les deux enfants.

— Aline est ma belle-fille, rectifia Léopold en la désignant. Je lui ai inculqué quelques bases de haut-tulis qu’elle se fera un plaisir de mettre à profit. Quant à celle-ci, elle est ma pupille. Son nom est Yue. Malheureusement, elle ne parle pas un mot de notre langue.

— Quel genre de magie a-t-elle dans le regard ? L’un de ses yeux est-il habité par une chimère ?

— Non, ce n’est qu’une singularité de naissance.

— Soit. Libre à tes petites et à ton épouse de parler le Réel, pourvu qu’elles sachent se faire comprendre. Apprends-leur seulement que le peuple dont tu descends est un peuple fier. Nous ne plaçons pas notre culture en-deçà de celles des autres.

Haute et massive, la forteresse du roi Tjarn trônait au centre d’une ville prospère, bordée par un étang dont les eaux faisaient office de douves. La structure paraissait flotter et n’était, de fait, accessible que par le pont arqué qui prolongeait un segment de route impériale jusqu’aux portes de la première muraille.

Les fresques et les tentures recouvraient entièrement l’intérieur des murs. Toutes avaient une histoire ou un mythe à raconter. Si maintes grandes batailles y figuraient, certains segments de peinture parlaient aussi de traditions, d’artisanat, de nature et de science. Cela se vérifiait dans les espaces de service, en particulier. Tout un catalogue de coiffures et d’habits s’étalait sur les murs du personnel de chambre, les gens de cuisines étaient entourés de recettes illustrées, les dessins épées s’alignaient sur le chemin de la forge comme sur un râtelier et mile supplices accompagnaient l’escalier sans fin qui descendait vers les cachots. Voisin de ceux-ci, le quartier des esclaves se parait de murs nus et noirs, privés d’art. La lumière peinait à s’y accrocher, si bien que les lampes qui les jalonnaient paraissaient flotter dans le vide.

Une odeur d’humidité insalubre empuantissait l’air. Le froid, saisissait, ne souffrait la concurrence d’aucune sorte de chauffage autre que celles des corps réunis à la nuit, entassés sur de grands lits de paille couverts de draps mités. Les régions les plus inhospitalières du grand nord avant cela en commun : les Hommes riches et pauvres y dormait à plusieurs sous les mêmes draps pour se partager leur chaleur, le luxe consistant à pouvoir choisir avec qui passer sa nuit.

Naturellement, Bard n’en jouissait pas. Il se consola –relativement – par la pensée qu’il serait toujours trop épuisé au moment de dormir pour se soucier de l’odeur, de l’inconfort ou du froid.

Avantagée par sa condition humaine, Io Ruh partageait le quartier des haut-employés en qualité de gouvernante de Yue ; ce qu’elle n’était pas vraiment. Cependant, ses compétentes l’autorisait à y prétendre. Elle parlait parfaitement trois langues en plus du signe, connaissait l’étiquette de plusieurs savait lire, écrire, coudre et broder entre autres perfections, jouer de la musique…

Elle n’avait que deux de plus que Bard. Cela lui faisait mesurer le faussé qui s’était creusé entre lui et ceux qui avait pu poursuivre leur éducation. Certes, il savait parler jerild couramment et bafouillait un peu de tulis, mais ne savait pas signer, connaissait mal l’histoire et la loi, n’avait aucune formation artistique et ne connaissait aucun autre métier que celui d’esclave. Sa seule vraie qualité était d’être fort, d’une musculature précoce, développée par des travaux d’extérieur harassant. Justement, il aurait à aider au montage des monuments de la fête de l’équinoxe pendant que Ruh resterait au chaud essaierai des coiffures et des robes à la poupée qui leur servait de mestresse.

Pour être juste, tout de ce nouveau séjour n’était pas pire que sur les terres du baron. La nourriture y était meilleure et servie en quantité plus généreuse.

Un moment de la journée en particulier appartenait aux mestres autant qu’aux serviteur et aux esclaves. Il occurrait en lieux divers, entre l’heure du repas et celle du coucher, pourvu qu’il y ait un feu atour duquel s’assoir. Il consistait à écouter et raconter des histoires, la parole revenant prioritairement aux aînés en tant ordinaire, et aux nouveaux venus lorsqu’il y en avait. Le premiers soir, Bard fut invité à par petit groupe d’esclaves qu’il avait aidé dans la journée ainsi que par une marmitonne dont il avait complimenté les plats. Il allait se décider pour l’un ou l’autre lorsqu’une servante vint lui apprendre que sa mestresse réclamait sa présence parmi les seigneurs du logis. L’idée ne l’emballa pas. Passer son temps libre avec Yue revenait à ne pas avoir de temps libre. Il dut pourtant se résigner.

Il arpenta les couloirs surdécorés des étages supérieurs jusqu’à une porte en bois sculptée en motifs arborescents, passée laquelle un air chaud et lourd fit rougir les joues du fabuleux. Un feu brulait à petites braises au centre de la pièce, contenu par un foyer immense tel qu’il n’en avait jamais vu. Les fourrures s’amoncelaient sur le sol, innombrables. Assis à même ce doux tapis, ou sur quelques sièges épars, une petite foule se délassait au son discret d’une lyre.

Parmis eux, Bard reconnut Hjorg Yggdrasil. S’il avait pris la peine de les accueillir en personne quelques heures plus tôt, Hjorg n’était ni plus ni moins que le Premier Prince de Tjarn. Son père le roi, un homme hors d’âge, passait ses journées couché sur ce qui serait proclament son lit de mort, laissant les charges de son titre au plus âgé de ses descendants vivants.

Le fabuleux eut bien plus de mal à repérer Yue, dont la chevelure blanche baignée par l’ocre des flammes se confondait à celles des têtes des têtes blondes qui se comptaient par dizaines chez les petites filles du Nord. Elle le trouva plutôt que l’inverse. Sa petite main froide se glissa au creux de la sienne pour le mener près du feu, lui fit signe de garder le silence d’un indexe appuyé sur les lèvres, puis lui mit un verre entre la main : de l’hydromel.

Quelques minutes encore, la salle s’emplit de monde. Bientôt, elle fut pleine d’une ambiance chaleureuse à laquelle se mêlait petits et grands. Au milieu de tout ce bruit, Bard se demandait pourquoi il était si important pour Yue qu’il se taise, et pourquoi elle avait préféré sa présence à celle de Ruh pour.

Une intervention du Premier Prince mit un peu d’ordre dans ce chaos en prononça une sorte de discours auquel bard ne comprit que les bribes les plus insignifiantes, puis but à la santé de son neveu et de sa famille, imité par son audience.

Avant entama timidement son verre, là où de jeunes gens de son âge les avalait d’un trait. À son tour, Léopold prononça quelques mots. Mieux que Yue, le baron et son épouse se fondait dans la masse. Lui revêtait une tunique brune de coupe fort simple, mais de belle facture, au extrémités savamment brodées. Il avait rendu un peu de liberté à ses cheveux, qui encadrait lors son visage impassible d’un bond enfantin. Elle, trainait une longe robe d’un vert forestier aux manches interminables.

Suivant la tradition, ils furent invités à faire un conte à l’assemblé. Denève commença par refuser l’honneur, arguant qu’elle n’avait rien d’intéressant à partager. Une cousine éloignée de son époux allait insister lorsqu’un gamin de six à sept jaillit des jupes de cette dernière en réclamant un récit de guerre sanglant.

— Il y a longtemps que je n’ai plus guerroyer, déplora Léopold dans un haut-tulis soigné.

Une foule d’enthousiastes se joignit à l’effort de persuasion du petit garçon et gagnèrent à l’usure. Tandis que le baron posait le cadre de sa dernière campagne – celle qui lui avait valu son fusil d’argent – à un auditoire captivé, Yue se leva.

— Suis-moi.

— Pardon ?

Incrédule, il la regarda se diriger vers la sortie de longue seconde avant de se rendre à sa volonté. Le couloir lui parut froid lorsqu’ils s’y engouffrèrent.

— Jusqu’où je dois te suivre, exactement ?

— Officiellement, tu m’emmènes me coucher.

— Et de fait, où dois-je t’emmener ?

— Quelque part en ville pour rendre un service à monsieur le baron.

— À cette heure-ci ? Personne d’autre ne peut s’en charger ?

— Si. Je me suis portée volontaire.

— Pourquoi ? Qu’est-que tu y gagnes ?

— Moi, je gagne un peu d’argent pour racheter à mon fabuleux pyromane des vêtements neufs. Toi, tu gagnes le droit de me remercier plus tard.

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