73.2

5 minutes de lecture

Me voilà de retour pour vous jouer un mauvais tour ! J'ai modifié la fin du chapitre précédent, ça vaut le coup d'aller y jeter un oeil :) A bientôt amis lecteurs !



Ayant perdu la trace de leurs fugitifs, Léopold, sa pupille et le quatrième prince s’étaient établis dans un coin de prairie pour faire paître leurs chevaux et réfléchir à leurs prochains mouvements.

Fort de dix ans d’expérience en chasse aux déserteurs, fuyards et autres disparus, le cousin du baron se figurait que leurs cibles avaient pu se voir offrir l’asile par une communauté sylvestre de fabuleux : de celles, pourtant rares, que les lois du Nord protégeaient.

— Ils habitent une réalité plus au moins parallèle à la nôtre. Les anciens disent qu’ils vivent sous la forêt. Pour ne serait-ce que fouler du pied leur territoire sans y être invités, il nous faudrait trouver un point d’accroche immuable et une combinaison d’arcane spatiale et temporelle. S’il faut préciser, je n’en maîtrise aucun.

— Un tel point d’accroche ne devrait-il pas se trouver à proximité du lieu où la piste s’est évanouie ?

— Cela se peut, mais rien n’est sûr. La magie est une entité fluctuante. Un être puissamment doté n’a pas besoin de chercher de courant stables sur lesquels naviguer d’une réalité à l’autre. La plupart des humains ont besoins de raccourcis et de ruses pour en faire autant sans danger. Tu en as quelque expérience, je crois.

L’allusion d’Halfdan renvoya Léopold à une époque regrettable où son approche de la magie lui avait valu de frôler la mort. Il chassa ces souvenirs d’un long soupir.

— L’aide de la sixième princesse nous serait utile, songea Halfdan. Elle touche parfois à la nécromancie. Cette magie-là peut duper toute les autres.

— Ne peut-on la solliciter ?

— Pas dans l’immédiat. Notre cousin et elle sont en mission diplomatique à l’étranger et nous n’avons que jusqu’à ce soir avant d’être contraints de signaler l’incident aux autorités impériales.

— J’aimerais protéger là réputation de ma pupille dans la mesure possible. Son parcours est déjà suffisamment coloré sans y ajouter ce genre de tare. N’y a-t-il rien d’autre à faire ?

Halfdan grimaça, pessimiste.

— Nous pouvons toujours simuler la mort de ton esclave et espérer qu’il ne refasse jamais surface.

— Le pari est trop risqué. Il est trop remarquable de part son apparence et ses pouvoirs. Sans oublier son instruction. Malgré deux ans sans études, son héritage noble parait encore. Il en faudra peu pour qu’il se fasse remarquer.

L’ancienne identité de Bard n’était pas un sujet récurent au sein de la famille Yggdrasil. Elle l’occultait autant que le faisait les Makara, à cela près que le sort de l’adolescent n’affectait que superficiellement les rois de Tjarn, là où le blason de la famille Makara s’était vue profondément entaché. Halfdan glissa sur le tabou.

— Nous devrions peut-être rentrer. Quelqu’un…

Un bruit sourd interrompit le quatrième prince. Son cousin et lui firent volteface pour trouver Yue affalée sur le sol, vraisemblablement tombée d’un arbre au sommet duquel nul ne l’avait vu monter. Les deux hommes se portèrent à secours. La fillette ne présentait aucune blessure sérieuse a priori, mais Léopold l’examina longuement avant de céder au soulagement.

— Je suis tombée d’une branche basse, avança-t-elle pour se dédouaner.

— Tu es tombée, la refroidit son tuteur. Une chute de ta propre hauteur pourrait s’avérer grave si tu avais le malheur de mal atterrir.

— Je sais. Je vous demande pardon.

— Soit. Viens t’assoir, tu t’es suffisamment amusée pour aujourd’hui.

— Je m’amusais pas, je… Quand je me perds dans une grande ville, je monte sur le point le plus haut que je trouves et Bard fais pareille. Pour me retrouver. Alors…

— Yue, l’arrêta Léopold. Ton esclave ne s’est pas perdu. Il ne te cherche pas et ne cherche pas à ce que tu le retrouves. Il s’est enfui. Il t’a laissé seul au beau milieu de la nuit sans se soucier de ce qui pourrait t’arriver ensuite, malgré le fait qui tu aies voulu lui faire un cadeau. Il se moque du danger qu’il t’a fait courir autant que de ton image. Cesse de te comporter comme s’il s’était innocemment égaré dans les bois.

Estomaquée par ce déluge de vérités qu’elle peiner à s’avouer, Yue baissa piteusement la tête, sans un mot.

— Je vais préparer nos montures, annonça Halfdan pour se déroder à la scène.

Le baron, qui n’en avait pas fini, somma sa pupille de relever le montons. Elle lui présenta alors un visage rouge de honte et de frustration.

— Sais-tu ce que sont les droits de vie ? l’interrogea-t-il.

Surprise par la question, Yue hésita.

— Je… je sais que je possède ceux de Bard et ceux de Ruh, finit-elle par répondre.

— Exact. Tu possèdes également tes propres droits de vie, ce qui fait de toi une personne libre. La liberté a un prix, cependant. Le statut de mestre aussi. Le fait est que tu es responsable de tes actes autant que des actes de tes esclaves. Aussi, un juge ne dirait pas que ton esclave s’est enfui, mais que tu as laissé échapper un esclave. Si durant sa fuite, il en vient à enfreindre des lois, tu en seras légalement responsable. Tous ses crimes te seront imputables en qualité de mestresse, ainsi qu’à moi en tant que ton tuteur.

La colère teintait plus vivement sa voix sur ces dernières paroles.

— Le simple fait qu’il ait passé les frontières d’une ville sans supervision constitue déjà une offense passible d’amandes, poursuivit. Contrairement à toi, Bard est suffisamment instruit pour le savoir. S’il vole, blesse quelqu’un ou pire, tu encoures de graves sanctions qui peuvent aller jusqu’à la révocation de ton droit à la possession d’esclaves et de chimères d’une certaine classe. Si je n’ai pas sanctionné ta négligence, c’est parce qu’un tribunal risque de le faire à ma place. Tu n’as pas encore douze ans, mais un juge se brossera des quelques lunes qui te reste à passer en enfance. En fuyant comme il le fait, ce sont toutes tes perspectives d’avenir que Bard met en danger, en plus de celles de ton autre esclave. Si le pire arrivait, tu ne pourrais plus être, ni mestresse, ni collectionneuse, ni draconnière.

Yue ouvrit de grands yeux horrifiés.

— Je… je pourrais… redevenir acrobate équestre ? bafouilla-t-elle.

Elle n’en avait ni l’intention, ni l’envie. Il lui semblait seulement que son silence aurait été déprécié.

— Tu pourrais, oui. Seulement, tu n’auras jamais plus le succès que tu as connus au cirque. Le temps te dessert. Tu n’es plus suffisamment jeune pour que ton talent choque positivement le public. Il te faut plus que ce que la nature t’a donné pour réussir. Plus que de l’entrainement. Il te faut des moyens et il te faut une image de marque. Que ton fabuleux est en train de détruire.

Yue n’avait jamais réfléchi aux détails de sa réussite. Elle se doutait à peine que son ancien mestre en avait agencé la majeure partie et le faisais encore.

— Qu’est-ce que je dois faire ? s’enquit-elle d’un ton presque suppliant.

— Te comporter en mestresse. Les mestres réfléchissent. Ils assument des responsabilités, trouvent des solutions, prennent des décisions. Ils exploitent leurs forces et cachent leurs faiblesses. Ils ne se font pas dire quoi faire pour le bien de leur propre maison.

Sa réponse laissa à Yue un profond sentiment de détresse. Elle s’était attendue à des consignes plus tangibles.

Le quatrième prince revint à eux, tirant par la bride leurs trois montures.

— La petite à encore l’air secouée, observa-t-il. Elle ne devrait pas monter seule, elle pourrait tomber de cheval.

— Elle ira bien, trancha Léopold. Rentrons.

Annotations

Vous aimez lire Ana F. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0