74.1

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Denève ayant éprouvé des contractions au cours d’une partie d’échec qu’elle jouait contre la première princesse, tous les médecins de Skal, sinon du Tjarn, s’étaient retrouvé à son chevet en moins d’une heure. Elle avait eu beau dire et répéter que le mal était bénin, qu’elle se portait à merveille et qu’elle n'accoucherait certainement pas avant au moins trois décan, cela n’empêcha rien. Elle fut examinée, réexaminée et assommée de conseils contradictoires quant à la façon de conduire le reste de sa grossesse : le repos, la marche rapide, les bains chauds, les bains froids, d’eau de source et de mer, de la viande en abondance, des diètes de légumes et, enfin, des potions en tout genre, dont la prise simultanée pouvait les propulser, son enfant et elle, dans la tombe.

Tout cette comédie n’eut de bon que le soulagement qu’elle inspira à Denève en prenant fin, un fois le dernier praticien remercié et mis à la porte. Ne restait dans la pièce avec elle que la première princesse.

— Navré de vous avoir infligé cela, soupira Kalta. En ma qualité de future reine, j’ai un devoir de protection envers toutes les princesses. S’il vous arrivait quoi que ce soit à vous ou votre enfant sous mon toit, j’aurais à en répondre. Le médecin royal ne quittant plus le roi et en l’absence de la sagefemme attitrée de la cour, je ne savais pas exactement vers qui me tourner alors j’ai abattu toutes mes cartes.

— Ne vous excusez pas. Je ne peux pas vous reprocher de vouloir prendre soin de moi, quoique cela me gêne de bouleverser votre quotidien.

— Mon quotidien consiste à protéger ma famille et mon pays. Vous ne bouleversez rien. L’enfant que vous portez pourrait être le prochain roi de Tjarn.

— Moi, une étrangère, je donnerais naissance à un futur roi ?

— Je confirme que vous êtes une étrangère, rit Kalta, sinon, vous penseriez différemment. Savez vous qui est le deuxième prince de Tjarn, actuellement ?

— Un frère de votre époux, je suppose ?

— Mon époux n’a qu’un frère vivant : Obreg Yggdrasil, de trois ans son puîné. Pourtant, il n’est que septième prince. Le deuxième prince est Soren Frey un arrière-petit-fils du roi né d’une princesse dévoyé et d’un soldat sans distinction. Il est à peine plus vieux que mon premier né, qui lui n’arrive dixième après votre époux. Cela doit vous paraitre invraisemblable.

— Vous lisez en moi.

— Tous les fils de la couronne et même ceux qui s’y lient par le mariage peuvent prétendre au titre de prince dès l’âge de douze ans. L’ordre de succession est déterminé par le roi régnant, ses conseillers, et l’assemblé des jarls, qui prennent une infinité de facteurs en considération. Principalement la santé, la réputation, les valeurs morales, l’instruction, les faits militaires, les qualités diplomatiques… L’ambition des princes est aussi prise en compte. Certains préfèrent se consacrer à d’autres offices et il ne serait pas sage de couronner celui qui ne veut pas être roi. Mon mari dirigera bientôt. Il n’est déjà plus tout jeune. Cela pourrait durer vingt ou trente ans si les conditions sont favorables. Ce petit être qui grandit en vous pourrait tout à fait lui succéder.

— Permettez que je m’éloigne un peu du sujet… Si Léopold est Neuvième Prince, c’est donc qu’il en a manifesté le désir ?

— Naturellement. Cela vous surprend ?

— Un peu. J’espère ne rien dire d’indélicat mais je l’ai toujours cru plus attaché à la Maison Makara qu’à ses origines royales.

— Mon mari est du même avis, raison pour laquelle il est si sévère avec le vôtre. Pour ma part, je ne suis sûre de rien mais j’aime à penser que cela n’a pas vraiment d’importance. Léopold est respectueux des usages et des lois. Il n’abuse pas de sa position et sa réussite fait rejaillir de l’éclat sur sa lignée à l’étranger. Que son statut de prince l’aide à satisfaire d’autres ambitions que celle de devenir roi m’est complètement égal.

Denève se surprit à sourire, d’un sourire franc qui lui étira longtemps les lèvres.

— Vous m’inspirer un grand respect, Kalta. Ainsi qu’une grande confiance.

— Cela aussi vous surprend ?

— Beaucoup, oui. J’ai tendance à rester sur mes gardes.

— Ne changez surtout pas d’attitude. Il faut commencer par se méfier pour vraiment faire confiance.

L’incursion d’une domestique interrompit leur échange. Cela arrivait si souvent que Denève s’y était faite. Celle-ci vint souffler à l’oreille de la première princesse avant de s’éloigner de quelques pas dans l’attente d’une réponse.

— Votre fille s’inquiète pour vous. Dois-je la faire entrer ?

— Aline ? Oui, certainement. Si cela ne vous gêne pas, du moins. Nous sommes dans votre chambre.

Kalta donna sa permission d’un geste qui précéda de peu la jeune fille. Son arrivée fut timide. Elle n’avança d’abord que de quelques pas, puis exécuta une révérence profonde avant de s’immobiliser, hésitante.

— Eh bien ? Le gel t’a pris les jambes ? La taquina Kalta. Vient près de ta mère. Je vais vous laisser bavarder, j’ai beaucoup à faire.

La future reine s’éclipsa, coupant court aux politesses. Cela décrispa bel et bien Aline qui alla s’assoir au bord du lit. Denève enlaça affectueusement sa fa fille, en lui assurant que son état n’avait rien d’alarmant. Elle fut heureusement plus facile à convaincre que Kalta.

— Je suis contente que vous alliez bien. Le bouche à oreille des domestiques vous situait aux portes de la mort. Je me doutais qu’ils exagéraient, mais je ne pouvais pas savoir à quel point.

— Que faisais-tu auprès de domestiques ? Je croyais que tu révisais tes leçons seule aujourd’hui.

— Je rendais visite à Ombre. Puisque le neuvième prince n’en veut pas dans notre chambre, il est à la ménagerie.

— Le neuvième prince est ton beau-père. Tu n’as pas à l’appeler par son titre.

— Je crois que cela se fait, ici. J’ai rencontré d’autres personnes de mon âge. Toutes s’expriment ainsi.

— Depuis quand te rallies-tu à la majorité ?

— Je ne tiens pas à embarrasser le neuvième prince ici. Il me hait déjà assez.

Denève se renfrogna.

— Léopold, te haïr ?

— J’exagère, admit Aline. Mais vous nierez difficilement qu’il ne m’aime pas beaucoup.

— Bien au contraire, je le nie de toutes mes forces. Où vas-tu chercher de telles idées ?

— Je suis la seule de la famille à encore m’appeler Vassaret. Je n’ai pas le droit de porter son nom. Il ne me porte aucun intérêt. Il me tolère tant que je ne fais rien de trop contrariant.

— Tu voudrais porter un nom qui te soumettrait à une grande maison ? Léopold n’en est pas encore le maitre. Te souviens-tu de son frère Archibald ? Voilà à qui tu aurais à rendre des comptes : l’homme qui s’est moqué de ton ambition de devenir collectionneuse.

— Qu’il rit de moi n’est pas un problème. Il n’est pas le premier et ne sera pas le dernier.

— Et s’il voulait t’arranger un mariage ? Ou t’envoyer vivre à l’étranger ? Sans même se projeter dans ce que le maître de maison pourrait vouloir de toi, penses-tu pouvoir t’adapter au niveau d’exigence de Léopold, toi qui as grandi avec si peu de contraintes ?

— J’ai d’excellentes notes.

— Tous les enfant Makara ont fréquenté le collège impérial. Là-bas, tes notes seraient passables au mieux.

— Maman !

— Aline. Je crois en tes qualités plus que quiconque, mais être une élite ne s’improvise pas. En devenir une est le travail d’une vie et ce n’est pas dans cet esprit que je t’ai élevé.

— Qui vous dit que ce n’est pas la vie que je veux ?

— Que tu le veuilles ne change rien au fait que tu n’y es pas prête. Tu as pris du retard sur ton propres programme cet année et tu parles de jeunes gens tous très en avance sur leur âge.

— Je puis bien les rattraper si je le veux.

— Le veux-tu seulement ou n’essaies-tu que de me contredire ?

Aline se tut, l’air si sérieux que Denève en crut à peine ses yeux.

— Si tu veux à ce point que ton beau-père t’adopte, je puis en rediscuter avec lui, concéda-t-elle. Nous pourrons peut-être nous entendre sur…

— Vous vous trompez Maman. Ce n’est pas ce je veux.

— Que veux-tu, dans ce cas ?

— Je veux… me sentir à ma place. Mais je ne suis pas sûre d’être exhaussée si le baron m’adopte. Il n’aura pas d’avantage d’affection ni d’intérêt pour moi. Seulement plus d’exigences. Son travail l’occupe. Et puisque bientôt vous-même n’aurez plus beaucoup de temps à me consacrer, je vous demande de me laisser trouver ma place ailleurs. Le collège impérial serait idéal, mais s’il est hors de ma portée, je me contenterais d’une pension à Lismel.

— Tu voudrais vivre loin de moi pour ce que j’aurais les mains un peu plus prises après l’accouchement ?

— Ne le prenez pas mal.

— Comment dois-je le prendre ? Tu ne me laisses pas la moindre chance de te donner tort !

Une nouvelle irruption de personnel vient troubler la chambre, arrachant un soupir excédé à Denève.

— Qu’y a-t-il encore ?

La domestique s’inclina, puis marmonna quelques mots Tulis auxquels la baronne n’entendit rien.

— Elle dit que le neuvième prince est revenu, traduisit Aline.

— Merci.

Elle s’extirpa de ses couvertures.

— Je m’en vais le rencontrer avant que les rumeurs sur ma mort prochaine lui tombent dans l’oreille. Nous reprendrons cette conversation plus tard.

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