74.2

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Dans sa précipitation, Denève omit de demander où se trouvait son époux avant de partir à sa recherche. Songeant que leur chambre avait pu être sa destination, elle s’y rendit dans l’espoir de s’épargner un effort de conversion. Son initiative lui fit découvrir un spectacle désagréable.

Assise à même le sol, Yue présentait à son esclave un dos affreusement ecchymosés. Ayant enduit sa peau d’onguents, dont l’odeur vive embaumée toute la pièce d’arômes mentholés, Io Ruh s’appliquait à panser les zones les plus colorées pour les protéger du frottement.

— Madame, salua la fillette en remarquant Denève.

Sa jeune esclave l’imita du geste. Au reste, ni l’une ni l’autre ne parurent gêné. Pourquoi l’auraient-elles été ? Ce n’était rien d’inhabituel.

Denève ferma la porte pour protéger une intimité dont elle était peut-être la seule à se soucier puis, d’une voix douce, elle posa la question dont elle connaissait déjà la réponse.

— Tu es tombée ?

— Oui, Madame. D’un arbre.

— Cet arbre devait être bien haut.

— Oui, mais je me suis fait mal à cause des pierres sur le sol.

En reconsidérant ses blessures, la baronne se représenta assez fidèlement la disposition des obstacles auxquels Yue s’était heurtée.

— Tu as mal ?

— Non, Madame.

— Evidement…

Un silence s’ensuivit. Gênant ? Peut-être. Long, sans doute. Il ne prit fin que lorsque Io Ruh eut fini de rhabiller sa mestresse.

— Merci. Occupe-toi de mon manteau, s’il te plait.

— Tout de suite, Mestresse.

Elle s’empara du vêtement taché, s’inclina protocolairement, puis sortit. Yue, raide en dépit de son déni de la douleur, prit place sur une chaise, immobile et inoccupée.

— Qu’attends-tu ?

— J’attends Monsieur le baron. Il a dit qu’il viendrait me chercher ici au moment de reprendre les recherches. Vous l’attendez aussi ?

— Pas tout à fait. Je t’observe, à vrai dire.

— Pourquoi ?

Pouvait-elle lui avouer toute la peine qu’elle lui inspirait dans ces moments où elle se comportait presque en objet inanimé qu’en enfant de onze ans ?

— Ta coiffure est adorable, esquiva Denève.

Elle lissa instinctivement l’une des tresses qui lui tombait sur la poitrine, jouant aves les bagues qui l’ornait, puis reposa sa main droite par-dessus l’autre, sur ses genoux.

— Il faut complimenter Io Ruh, pas moi.

— Je le ferais, promit Denève. Tu es bonne de penser à elle. Que dirais-tu d’aller trouver Léopold plutôt que d’attendre sa venue ?

— J’en dis qu’il me grondera.

— Pas si je t’accompagne. J’allais le chercher justement. Tu n’as qu’à me suivre.

— Je préfère faire ce qu’il ordonne.

Quoique déçue, Denève n’insista pas. Rectifiant sa première erreur, elle se fit tout de suite indiquer où trouver son époux et, sans se soucier de ce qui pouvait bien l’occuper entre les murs d’une salle de conseil.

Elle surgit, précédé du ventre rond qui la faisait marcher en canard, dans une pièce peuplée nobles au teint pâle et au yeux froids parmi lesquels son époux se fondait étrangement bien. Elle reconnut le premier ainsi que le quatrième. Trois personnes lui restaient inconnues, malgré quoi, tous la saluèrent bas. Elle tâcha de ne pas perdre contenance en leur rendant la politesse.

— Je souhaiterais m’entretenir avec mon époux lorsque vous aurez fini.

— Mon neveu ne vous fera certainement pas attendre, décréta le premier prince. Nous finissions.

Le regard de Léopold laissa momentanément supposer le contraire. Pour autant, il se rendit à la volonté de son futur roi. Seul à seul dans l’intimité d’un petit salon agacent, mari et femme poussèrent à l’unisson un soupir de relâchement. Une longue minute, ils se comprirent sans rien se dire. Ils en profitèrent l’un et l’autre pour se rappeler qu’ils s’aimaient, et se répéter qu’ils devraient encore s’aimer à la fin de la conversation qui allait suivre.

— J’ai une faveur urgente à vous demander, commença Denève.

— Est-il urgent que je vous exhausse ou seulement que je vous entende ? Je vous avoue que beaucoup de problèmes nécessitent mon attention immédiate en ce moment.

— Je veux que vous m’écoutiez pour commencer. Vous pourriez voir tous vos autres problèmes sous un autre angle en fonction de ce que vous penserez de ma requête.

— Soit. Parlez.

— J’ai revu ma position sur votre adoption d’Aline. Je désire que nous formions une famille unie. Tous les quatre.

— S’il n’y a que cela pour vous faire plaisir, les documents seront prêts demain. Seulement, mes conditions n’ont pas changé. Mon nom n’est pas une décoration, j’entends exercer toute mon autorité sur ceux à qui je le transmet.

— Je sais. Et j’en tremble, mais je me suis méfié de vous assez longtemps pour finir par vous faire confiance.

Léopold haussa un sourcil, interpellé.

— Je cite votre tante Kalta.

— Ravi que la princesse vous inspire. Ravi aussi que vous me fassiez confiance au bout d’un an de mariage.

— Cessez de vous moquer. Je suis sérieuse.

— Beaucoup trop. À moins qu’un détail m’échappe.

Elle se rengorgea.

— Possible. Quand je dis vouloir former une famille unie à quatre, j’insiste sur ce chiffre. Je vous veux consacrer à moi et à nos enfants. Sans partage.

Le rictus railleur de Léopold s’évanouit, s’écroula.

— Vous me demandez de me décharger de Yue, comprit-il.

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