77.2

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La première princesse inspectait le château plus qu’elle ne s’y promenait. Elle tenait à ce que tout soit prêt pour le bal de l’équinoxe : trois jours de célébration qui promettaient de la laisser exsangue, mais auxquels le peuple tenait autant que la noblesse. Entre autres, cette occasion devait permettre à Kalta de revoir sa fille aînée que le mariage avait éloigné ainsi que son frère, le jarl de Biøk, qu’une longue campagne avait retenu quatre ans en mer.

Les premiers invités de la cour ne devaient plus tarder à arriver. Prête à les accueillir, la future reine revêtait déjà la plus riche de ses couronnes de coquillages ainsi qu’une robe si longue qu’elle léchaient le sol dans son sillage à la façon d’une vague perpétuellement ravalée par l’océan.

Fière de son allure, elle dépoussiérait sa traine pour la énième fois lorsque son chemin croisa celui du neuvième prince et de sa famille. Son neveu la salua, imité par son épouse, sa belle-fille et sa protégée. Le tableau la fit sourire.

— Cher neveu, puisse la neuvième princesse vous donner un fils au terme de sa grossesse, sans quoi vous vous noierez bientôt sous les robes. Votre cuirasse brune disparait sous tout le bleu dont ces adorables dames vous flanquent.

— Je vous accorde qu’un fils me comblerait de bonheur, mais rassurez-vous, je ne crains pas les robes. Pour tout vous dire, il m’arrive même d’en concevoir.

— Je l’ai entendu dire. Votre épouse est intarissable lorsqu’elle parle de vos talents et force est d’avouer qu’ils sont nombreux. J’ose espérer que l’un d’entre eux est de vous amuser, car je ne tolèrerai rien d’autre aujourd’hui, maintenant que vous n’avez plus d’esclave en fuite à poursuivre.

Kalta ponctua son avertissement d’un sourire sans joie, puis repris sa route. La famille baronniale en fit autant.

— Que vous disait la princesse ? s’enquit Denève pour qui l’échange n’avait été qu’une pantomime.

Le baron fit à son épouse une traduction concise, presque sèche : indélicatesse qu’elle préféra ignorer pour s’épargner une dispute, non sans frustration. Denève en venait presque à regretter l’époque où, n’étant qu’amants, rien entre elle et Léopold n’était si précieux qu’il faille marcher sur des œufs pour éviter de le détruire.

La veille, elle s’était engagée sur une pente glissante en demandant à Léopold de renoncer au tutorat de Yue. Il ne lui avait, ni opposé de refus catégorique, ni cédé formellement : une forme d’indécision qui ne lui ressemblait guère et dans laquelle il semblait s’être enfermé depuis.

Elle hésitait quant au moment et à la façon de réaborder le sujet avec lui. Une part d’elle espérait qu’il en prît incessamment l’initiative tout en craignant ce qu’il aurait à dire en cette occasion.

Une contraction brutale l’arrêta entre deux pas, la forçant à prendre appuis sur le bras de Léopold pour ne pas tomber. Son époux la couva d’un regard inquiet mêlé d’horreur.

— Je vais bien, assura-t-elle en recouvrant son équilibre.

Léopold ne l’entendit pas de cette oreille.

— Aline, raccompagnez votre mère à notre chambre. J’y ferais porter un médecin.

— Je viens de vous dire que j’allais bien ! s’emporta-t-elle. Faut-il vous le hurler dans les oreilles ? J’ai vu bien assez de médecins hier.

— La journée va être longue, Denève.

— J’irais me reposer si j’en ressens le besoin. Croyez-vous que j’en sois à ma première grossesse ?

— Je ne crois rien, mais je n’aurais aucun scrupule à vous contrarier s’il le fallait. Rejetez le lit pour le moment si vous voulez, mais vous verrez au moins un médecin d’ici la fin du jour.

Sur ce décret, il lui offrit son bras presque galamment ; qu’elle prit presque malgré elle, consciente qu’elle obtiendrait difficilement meilleur compromis.

La salle de réception manquait de chaleur dans sa superbe. Sa double hauteur vertigineuse appelait le froid, qui ne viderait les lieux que lorsque les convives y seraient réunis par centaines. Quelques membres de la famille royale y précédaient la branche des Makara, tous cérémoniellement vêtus d’armures de cuir aux couleurs de la terre pour les hommes et de robes couleurs de mer pour les dames. Le contraste les détachait joliment des murs clairs.

L’échange de politesse d’usage prit d’autant plus longtemps qu’aux salutations et aux vœux de prospérité s’ajoutèrent les compliments à la neuvième princesse dont le ventre rond attirait la bienveillance d’une cour pour qui chaque naissance avait valeur de miracle. Une heure passa en mondanité avant que les régents ne fissent leur entrée, autorisant les convives à affluer.

Ce fut un long défilé de jarls et de nobles d’outre contrés, de riches propriétaires et de militaires décorés, d’intellectuels notoires et de hauts fonctionnaires. La salle fut bientôt pleine de monde, de murmures et d’une tiédeur agréable.

La convivialité ne supplanta la solennité qu’autour de la mi-journée, heure où les premiers rafraichissements furent servis.

Mestre Selemeg, draconnier impérial, participait au rassemblement ; une aubaine pour le neuvième prince qui souhaitait l’entretenir d’une affaire urgente. Il attendit pour cela que le soldat vint se porter à leur rencontre.

Yue ouvrit de grands yeux étonnés en le reconnaissant.

— Gal ! s’exclama-t-elle.

— Lui-même, rit le draconnier. Comment va mon petit prodige préféré ? S’est-il correctement entrainé cet hiver ?

— Oui, tous les jours ! Ou presque… J’essaie de…

— Yue, l’arrêta son tuteur. T’ai-je entendu appeler Mestre Selemeg par son prénom ?

La fillette sentit le sang lui monter aux oreilles et sa langue se pétrifier.

— Cela ne me gêne pas, intercéda le concerné. Beaucoup de mes élèves en font autant et le sérieux dont elle fait preuve en entrainement lui gagne largement ce privilège. Pendant que j’y pense, où cachez-vous votre dragon ? J’aimerais le saluer aussi.

La question ne mit pas Yue beaucoup plus à l’aise que la remontrance de son tuteur.

— Indisponible pour le moment, nous n’avons pas pu lui accorder ce jour de repos, fit mine de déplorer Makara. Toutefois, j’avais à vous demander une faveur le concernant. Auriez-vous une minute à m’accorder en privé d’ici votre départ ?

— Certainement. Je vous retrouverai ce soir avant le banquet, si cela vous convient.

Léopold assentit, libérant le draconnier qui alla vers d’autres connaissance.

— Leopold. De quoi est-il question ? s’enquit Denève.

— Inutile de vous en inquiéter.

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