84.4

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Ce chapitre est long... Pourquoi les scènes qui sont longues dans ma tête finissent par faire trois pages et les courtes, cinquante ? Bear with me, Reader Friends.



Leur bouquet commençait à prendre forme. Une parenthèse de silence encadra l’ajout que quelques fleurs supplémentaires.

— Je suis vraiment contente que vous ayez pu venir, reprit Ye Sol pour, posant les bases d’un échange plus neutre. Votre compagnie m’est agréable. Il me plairait de vous voir souvent.

Yue se renfrogna, sceptique quant à la sincérité de ce compliment au-delà d’une marque de politesse.

—Vous êtes gentille dame Ye Sol, et je passe un bon moment, mais j’ai peu de temps libre et pas le droit de sortir toutes les fois que j’en ai.

— Je comprends. Merci encore d’être présente aujourd’hui, dans ce cas.

— Pas la peine de me remercier. Je suis surtout là pour Io Ruh.

— Je vous remercie aussi de l’avoir autorisée à venir à d’avoir pris si grand soin d’elle tout ce temps. Je suis rassurée de la voir bien portante.

— Alors, vous vous souvenez d’elle ?

Ye Sol acquiesça.

— Pourquoi la lettre ne le disait pas ? Et pourquoi vous ne lui avez pas parlé à notre arrivé.

— Je ne voulais pas vous manquer de respect. Nous faisons tout juste connaissance et Io Ruh est votre esclave.

Les principes de bienséance variaient parfois drastiquement d’une contrée à l’autre. Il fallut de longues secondes à Yue pour tout à fait se replacer dans le bon système de valeur, entre ceux qui défendaient aux esclaves de faire entendre leurs pleines voix, ceux qui défendaient aux mestres de s’adresser directement à eux, les obligeant à passer par un intermédiaire libre et d’autres, plus insolites… En l’occurrence, il lui sembla que Ye Sol s’était abstenue de parler à Io Ruh de la même façon qu’elle-même s’abstenait de manipuler les objets de décoration de la chambre.

— Pour ne rien vous cacher, poursuivit Ye Sol, j’ai aussi un peu honte de la manière dont nous nous sommes quittées. J’ignore ce que vous savez de ce qu’a été notre relation, mais j’appréciais beaucoup Io Ruh. Elle était calme, attentive, minutieuse… et surtout, elle vivait au même rythme que moi, sans s’agiter, ni chercher de distractions bruyantes. Je me disais : voilà une servante qui ne sera pas malheureuse de devoir s’occuper d’une malade. Mes parents l’approuvaient aussi pour son sérieux exemplaire. L’affaire était presque conclue lorsque je me suis rendue compte que je ne pourrais pas garantir le bonheur Io Ruh longtemps.

— Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

— Je veux dire que nous aurions eu une jeunesse paisible, mais que plus tard, au moment de lui donner de hautes responsabilités ou de prendre des dispositions pour elle, je n’aurais rien eu d’assez bien à lui offrir. Les Qilin sont une famille de Collectionneurs et de commerçants. Nous n’avons que notre argent à compter et nos chimères à élever. Aucune de nos familles vassales ne font autre chose que de l’artisanat ou de l’agriculture. J’aurais été bien en peine de la marier correctement. Il lui fallait une famille d’érudits, de juristes ou de fonctionnaires, qui valoriserait ou développerait ses talents raffinés. J’ai voulu lui laisser une chance d’être acheté par une telle famille et j’ai pris Ma Han à sa place. J’avoue l’avoir souvent regretté depuis pour diverse raisons. Je n’ai pas seulement pu la voir ou lui écrire depuis. Comprenez… cela aurait été inconvenant. J’ai cherché quelques moyens détournés de prendre de ses nouvelles au fil des lunes. Sans le vouloir, j’ai même réussi à remonter jusqu’à sa famille biologique. Le hasard a voulu que Ma Han la rencontre par hasard, et nous en sommes là aujourd’hui.

Cela faisait beaucoup à entendre et assimiler. Au-delà de ces défauts de compréhension divers, il restait à Yue le sentiment que ces mots ne devaient pas lui être destinés. Que pouvait-elle en tirer, sinon plus de doutes quant à sa légitimité de mestresse. Ses propres perspectives d’avenir n’était faite que d’espérance vague, seraient-elle un jour capable d’assurer celui de ses esclaves ? Io Ruh, en particulier, était humaine. Or, les esclaves humains n’avaient pas dessein à le rester jusqu’à un âge avancé, du moins, pas dans les cultures Xe-en et Tulis.

— Vous devriez lui parler, suggéra modestement Yue. Si je le fais à votre place, je serais pas capable de tout lui expliquer correctement. Et si personne le fait, elle continuera à se poser des questions.

— Avec votre permission, je le ferais. Si vous le voulez bien, j’aimerais aussi votre point vu sur une idée qui m’est venue en lisant votre lettre, il y a quelques jours. Je travaille sur un herbier de végétaux chimériques que j’ai l’intention de soumettre à l’appréciation de quelques amateurs, cet automne. Le travail de recherche est terminé, il ne reste qu’à le mettre en forme. Malheureusement, mon écriture est atroce. Mes mains fatiguent aussi vite que mes jambes. Aussi, j’ai besoin d’aide pour la rédaction de ce document. J’ai auditionné quelques calligraphes, mais aucun ne correspond à mes besoins. Seriez-vous d’accord pour que Io Ruh m’aide dans cette entreprise ? Je trouve son écriture parfaitement adaptée. Qui plus est, j’ai bon espoir que cette activité nous permette de refaire connaissance. Naturellement, je vous paierai pour son travail et toutes les conditions sont négociables.

Une nouvelle fois, Yue se sentit prise de court.

— Je ne veux pas vous dire non, mais… disons que ce sera oui si Io Ruh en a envie et si je peux être servie correctement quand même.

Sans entrer dans les détails, Yue ajouta que dans l’immédiat, Io Ruh servant seule, elle n’aurait ni suffisamment de temps libre ni suffisamment d’énergie pour être employée ailleurs. Un domestique intermittent devait bientôt venir la seconder, certes, mais celui-là aurait besoin d’encadrement. Ainsi, rien ne serait possible avant un bon décan.

Un préaccord fut conclu sur cette base, restait à en avertir la principale intéressée.

Ye Sol fit revenir sa servante et leur invitée. Ma Han fut diligente, Io Ruh se fit légèrement attendre.

— Qu’est-ce qui t’es arrivé ? se récria Yue en la voyant.

Ses cheveux courts lui collaient au visage, ruisselant d’eau sur sa peau plus blême qu’à l’accoutumé. Ses manches étaient retroussées et le tissu gorgé de sa robe avait foncé d’une teinte.

— Pour répondre à ma mestresse, j’ai eu besoin de prendre l’air et la pluie a mis du désordre dans ma tenue. Je prie ma mestresse de pardonner ma négligence.

— Tu pouvais pas prendre l’air à l’abri ? Tu essaies de tomber malade ?

— Non, mestresse.

— Alors quoi ? s’impatienta Yue.

— Ne soyez pas en colère, intervint Ye Sol. La faute me revient pour avoir permis cet incident. Ma Han, pourquoi ne lui as-tu pas proposé un parapluie ou des vêtements de rechange ? T’es-tu contenté de regarder ton invitée se faire battre pas l’orage ?

— Ma dame me juge trop sévèrement sans tout connaitre de la situation, protesta la servante. Io Ruh a voulu prendre l’air pour soulager un accès de nausée et a souillé la coursive par accident. Elle a insisté pour nettoyer malgré le vent qui soufflait la pluie loin sous l’auvent. Je lui ai indiqué la remise et elle n’a pas eu la présence d’esprit d’y prendre un imperméable en plus d’un chiffon et d’un sceau. Moi qui l’attendais à l’intérieur, je ne pouvais pas deviner qu’elle se laissait tremper. Puis ma dame a appelé, j’ai été aussi surprise qu’elle en la voyant.

Ye Sol soupira.

— Trouve lui de quoi se sécher et se changer immédiatement. Ensuite, préviens notre médecin qu’il vienne s’assurer de son état.

Ma Han s’exécuta, sans se donner l’air particulièrement pressée pour autant. Ce ne fut pas elle qui vint présenter le linge sec attendu, mais une autre servante de celles dont les manches ne portaient pas d’ornements. Celle-ci attendit patiemment que Io Ruh se fût changée pour récupérer ses vêtements mouillés et les étendre.

Quant à Yue, elle observait passivement, résolue à ne rien dire avant que sa colère ne passât pour ne pas regretter ses mots plus tard. La situation lui rappelait désagréablement l’incident de Braviq et les risques innombrables auxquels s’exposaient sans jamais protester.

Ye Sol n’avait pas perdu son objectif de vue. Une fois Io Ruh changée et installée pour attendre le praticien, elle amorça la conversation qui devait mener à l’explication précédemment fournie à Yue.

Pour ce faire, elle prit son temps, agrémentant son récit de détails complexes auxquels Yue ne compris presque rien. Io Ruh paraissait y rester étrangement insensible, cependant. Ye Sol finit de parler sans lui arracher la moindre réaction perceptible. Vint le moment de lui proposer le travail de copiste, tout en précisant que nul ne l’obligerait à accepter si le projet lui déplaisait ou l’indifféraient.

Io Ruh resta mutique si longtemps que sa mestresse se sentit obligée de lui réaffirmer son droit de parole, trahissant son propre vœu de silence. Rien n’y fit. L’esclave ne faisait que prendre son souffle, le retenir et le rendre, hésitante, pensive. Il lui fallut une longue minute de réflexion pour se ressaisir.

— J’ai passé de nombreuses lunes à me demander si j’avais contrarié ou déçu la demoiselle des Qilin, avoua-t-elle à son tour. Je redoublais d’efforts pour améliorer mon comportement. Mes aînées me répétaient que je me faisais du mal, qu’aucune servante ne pouvait être suffisamment parfaite pour plaire à tous les mestres du monde, et de ne pas prendre ce rejet à cœur. Je ne voulais pas plaire à tous les mestres du monde, mais à vous. Uniquement à vous. Malgré vos explications, je ne comprends pas comment l’idée a pu vous venir que je voulais d’une autre marque que la vôtre. Je n’ai jamais voulu d’une maison d’intellectuels de profession dont les exigences auraient fini par faire de ma passion une corvée. Au bout du compte, dame Ye Sol ne me connaissait pas vraiment. Personne ne m’a jamais connu. Ni mes parents, ni mes amies, ni vous.

Pour la première fois, Yue vit les traits de son hôte fondre en une moue sincèrement dépitée.

— Je suis navrée d’avoir blessé tes sentiments. J’aurais dû prendre le temps de te parler avant de décider seule ce qui serait le mieux pour toi. En fin de compte, tu as bien de la chance de servir ta mestresse plutôt que moi. Je ne te demande pas de me laisser une chance d’effacer le passé, mais de mieux faire à l’avenir. M’accorderais-tu cette faveur ?

Ce fut à ce moment que Ma Han refit irruption, talonnée par un médecin de quartier à qui il fallut faire des politesses, puis s’étant fait désigner sa patiente, il se mit au travail. Rien de significatif ne ressortit de son examen, sinon de vague recommandation sur la façon d’aérer les pièces ou d’éviter certains mélanges de saveur pour ne pas contrarier la digestion.

En dernier lieu, il proposa une prescription de nature insolite.

— Je connais un produit utile pour prévenir les… embarras. Si la fille je vous conseille de lui en donner, ne serait-ce que par précaution.

— Vous osez donner ce conseil sur la seule base d’un vomissement ? souligna Ye Sol. N’est-ce pas déplacé ? Vos présomptions touchent à l’honneur de mes invitées.

Le praticien s’inclina respectueusement.

— Je vous prie de croire que mon humble personne connaît son métier. J’ai souvent été appelé au chevet de jeunes esclaves nauséeuses, à plus forte raison dans le milieu militaire, prêtes à jurer de ne jamais s’être compromise et qui finalement…

— Assez, l’interrompit Ye Sol. L’intendant vous paiera votre dû, vous pouvez disposer.

Il n’insista pas. Coupant court aux au revoir, il quitta la chambre en grommelant, secouant de dépit sa barbe poivre et sel.

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