86.2

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— Ma Han, reprit Ye Sol. Io Ruh et sa mestresse rencontrent une difficulté, aujourd’hui. Je voudrais leur venir en aide, qu’en penses-tu ?

— Ce que j’en pense ? répéta la servante, confuse. Ma mestresse est libre d’aider qui bon lui semble, je suppose. Mon avis ne lui est d’aucune utilité.

— Oh, oui, tu as absolument raison. Tu ne vois donc pas d’inconvénients à ce que je te prête à leur maison pour la journée ?

La situation n’enchantait aucune des deux esclaves. Io Ruh s’en voulait d’accepter une faveur au nom de sa mestresse sans avoir pu la consulter et Ma Han supportait mal d’être placée sous les ordres d’une enfant pour effectuer de basses besognes.

En servante favorisée d’une maison noble, elle s’occupait rarement de tâches pénibles, délégant tout ce qui impliquait de se salir les mains ou de se fatiguer les bras à d’autres domestiques. Sortir sans voiture lui paraissait inconcevable, d’où ses chaussures trop hautes pour les longues marches.

— Pourquoi ta mestresse ne se fait pas livrer ses provisions au lieu de t’imposer ce porte-à-porte harassant ? se plaignit-elle à la sortie du troisième magasin de leur liste.

— Nous ne savons pas d’avance tout ce qu’il nous faudra pour un décan et la loge de notre caserne n’est pas un dépôt de marchandise. Les intermédiaires ne sont pas toujours fiables non plus.

— Bon, bon… Et pourquoi aller à pied ? Est-ce que les attelages posent problème également ?

— Ils sont encombrants et onéreux lorsqu’il s’agit de louer. Ma mestresse fait usage prudent de son argent.

— Ah. Je comprends.

— Que comprends-tu ?

— Je comprend que ta petite mestresse est joliment pingre. Qui se fait tailler des garde-robes entières par la grande dame Ni He pour faire vivre ses serviteurs aussi misérablement ensuite ?

Io Ruh s’immobilisa.

— Ma Han. Tes questions sont irrespectueuses. Quoi que tu penses de ma maison et de la façon dont elle est tenue, il y a des règles à respecter. Je ne ferais pas mon travail correctement si je te permettais d’entrer chez ma mestresse en les piétinant. Je te prie de retourner auprès de la tienne. Si dame Ye Sol est mécontente, je suis disposée à subir son reproche ou n’importe quelle punition. Sois prudente sur le chemin du retour.

Ma Han recula brutalement lorsque son ancienne camarade tendit le bras pour la décharger de son sac encore vide.

— Pas si vite ! s’insurgea-t-elle. Tu es peut-être prête à recevoir tous les châtiments du monde, mais pas moi. Je vais t’accompagner jusqu’à la fin de la journée que tu le veuilles ou non. Ce n’est pas de toi que je prends mes ordres. Tu n’as qu’à ignorer mes questions si elles te gênent. Personne ne t’oblige à m’écouter ou à me répondre.

Sans laisser à Io Ruh le temps de répliquer, elle rouvrit la marche.

Yue aurait été moins surprise de voir sa servante revenir seule qu’avec celle de Ye Sol Qilin, mais à bien y réfléchir, cette situation lui passait complètement au-dessus de la tête. Ses devoirs à finir et son entrainement à venir la préoccupait davantage que ce concours de circonstances.

— Tant que personne ne fait rien de dangereux ou de stupide, je suis d’accord pour qu’elle t’aide. Ye Sol a dit combien de temps elle la laissait ?

— Non, Mestresse. Seulement laissait cela à votre appréciation, et que si nécessaire, l’offre vous serait renouvelée ces prochains jours.

— Mmh. Fais un brouillon de lettre quand tu auras le temps, pour lui dire que je suis reconnaissante pour aujourd’hui mais que pour les jours suivant, je serais plus à l’aise si elle acceptait d’être payée en retour. Je fais revenir Bard dans trois ou quatre jours si tout se passe bien. Qu’elle me dise quel prix lui parait raisonnable pour cette période.

— Ce sera fait, Mestresse.

Yue replongea dans son étude de carte, persuadée d’en avoir fini avec cette parenthèse.

— Mestresse ?

— Mmh ?

— Ma Han ne saurait circuler librement dans la caserne plus longtemps sans une plaque d’identification. Puis-je demander à ma Mestresse de lui en obtenir une ?

— Ah… Oui.

Rabattant son manuel et secouant les fourmis de ses jambes pour quitter son coussin, Yue avisa sa montre. Il lui restait tout juste assez de temps pour se charger de cette formalité avant de devoir…

Une douleur aigue la foudroya de la plante du pied droit jusqu’à la hanche lorsqu’elle voulut s’appuya dessus. Le souffle coupé, les yeux exorbités par la peur de cette faiblesse subite, elle tituba et resta choquée de longue secondes une fois le mal dissipé.

— Qu’est-ce que…

— Tout va bien, Mestresse ?

— Oui, ça va. Je suis juste un peu engourdie. Occupons-nous de cette plaque, je dois retrouver le Commandant Klalade dans pas longtemps.

La question administrative fut vite réglée. Pour Io Ruh, le plus dur restait à faire, cependant : présenter à Ma Han les corvées de la journée et lui en assigner une. L’approvisionnement avait été rapide, mais entre le retard accumulé et les travaux ordinaires, la journée devait encore être longue et, surtout, finir sans accident.

— Au sein de la caserne, en dehors de quartiers privés, nous nous devons de parler réel ou de signer. Il n’est pas nécessaire de saluer les officiers du moment qu’ils nous ignorent : ce qu’ils feront la plupart du temps. Si l’un d’entre eux s’adresse à toi, tu peux leur…

— Économise ta salive, Ruruh. Dis-moi seulement ce qu’il y a faire. Tenir la petite maison d’une enfant ne doit pas être si difficile.

Io Ruh contint une vive vexation avant de reprendre calmement.

— L’âge de ma mestresse ne la rend pas plus facile à servir. La taille de notre logement non plus. Les espaces restreints doivent être parfaitement organisés, aérés et nettoyer pour rester confortable. Mes responsabilités ne se limitent pas non plus à la sphère privée de ma mestresse. L’entretient des quartiers d’habitation, des équipements pédagogiques et de toutes les structures communes en général sont à la charge des usagers ou de leurs serviteurs s’ils en ont.

— Tu es devenues bavarde, à ce que vois. Avant, tu ne parlais presque pas, mais au moins, tu allais à l’essentiel. Que veux-tu que je fasse, à la fin ?

Cette fois, Io Ruh poussa un soupir audible.

— Pour commencer, tu peux t’occuper de nettoyer la coursive de notre étage ou de balayer la cour attenante pendant que repasse les vêtements lavés hier.

— L’inverse serait plus convenable, tu ne crois pas ?

— En quoi serait-il plus convenable de te laisser manipuler le linge de ma mestresse ?

— Dame Ye Sol ne m’a pas envoyé servir la caserne. Ma robe et mes chaussures ne sont pas taillées pour les travaux pénibles et salissants.

— Je peux te prêter un tablier et….

— Tu es sourde ? Je ne fais pas de travaux d’extérieur. À moins d’avoir mieux à proposer, je vais m’occuper du repassage.

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