89.1

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Bonjour Amis Lecteurs ! Voilà le topo : Le retour de Mehdi m’a fait repenser un peu cette partie, j’ai enlevé un gros morceau de dialogue et ajouter une scène avant l’apparition d’Il Hyo. Bref, c’est plein de coupures, d’ajouts et de re-maniage. Du coup, même si le début est le même, vous pouvez considérer que c’est un nouveau chapitre.

Ana

Pour avoir réfléchit à la question bien plus longtemps que prévu, Rëvika se rendait doucement à l’évidence : aucune tournure de phrase n’adoucirait le contenu de la lettre qu’elle essayait d’écrire. Avouer à Mestre Selemeg que Yue s’était entrainé pendant plus de trois lunes sur une cheville blessée n’aboutirait à rien de plaisant.

Le Draconnier Impérial avait été clair en lui confiant la petite : il la lui avait donnée à former, pas à briser. Rëvika ne devait jamais oublier qu’elle enseignait à une enfant, que cette enfant n’avait pas à s’autosuffire, qu’elle aurait des questions, des maux, des caprices ; qu’il faudrait procéder avec pédagogie, précaution et patience : des qualités qui lui manquaient souvent.

La visite à l’infirmerie de la draconnerie avait mis à jour plus d’une blessure de son élève : des hématomes sévères à faire pâlir et des côtes fêlées pour les plus graves, des contractures et autres lésions musculaires courantes pour les autres. Rëvika se doutait que les entrainements ne laissaient pas Yue indemne chaque fois, mais de là à imaginer qu’elle se levait tous les matins depuis si longtemps en occultant ce degré de douleur… Son expression toujours renfrognée prenait tout son sens à la lumière de ces révélations, et le travail de Rëvika perdait du sien.

Le dépit lui figeait les doigts autour de la plume. Incapable d’achever la version finale de sa lettre, elle fixait sans les lire les mots déjà écris. Soudain, un coup frappé à sa porte l’arracha à sa torpeur.

En se reprenant, elle réalisa que la pénombre de sa chambre s’était épaissie, presque jusqu’à l’obscurité. Elle prit le temps d’allumer une lampe et de fourrer son papier usé sous sa table avant d’aller ouvrir.

Trouver Io Ruh sur son palier ne la surprit pas vraiment. La présence de Bard, par contre, lui fit hausser un sourcil.

— Bonsoir, Commandant, s’inclina Io Ruh, imité par Bard. Nous sommes navrés de vous déranger à cette heure indue.

— Pas la peine de vous inquiéter pour ça, assura Rëvika. Dites-moi plutôt ce qui vous amène.

— Le Commandant se souvient peut-être qu’elle m’a offert de me rendre service, un jour. Nous sommes ici car j’aimerais le lui demander.

— Ce service le concerne ? supposa-t-elle en pointant le fabuleux du doigt.

— En quelque sorte.

Rëvika croisa les bras, réticente.

— Est-ce que ça te concerne au moins à moitié ? Tu sais que ce service doit te profiter à toi en premier lieu ?

— Oui, Commandant.

— Bon. Venez m’expliquer votre affaire à l’intérieur, j’ai l’impression que je vais avoir besoin de détails.



Yue fixait le plafond au-dessus de son lit, irrésolue. Tôt ou tard, il lui faudrait se lever, se laver, s’habiller, se coiffer… ou pas. Aucun cours ni aucun entrainement ne l’attendait ce jour-là. Ne pouvait-elle rester couchée jusqu’au soir ?

Le commandant Klalade lui avait imposé des jours de repos – deux par décan – et interdit de se surmener physiquement le reste du temps, quoi que cela voulût dire. En somme, les heures à suivre ne lui promettaient que quelques devoirs à finir et beaucoup de frustration.

En tournant la tête vers les panneaux qui fermaient sa chambre, Yue songea au petit-déjeuner qui devait avoir été servi de l’autre côté et aux efforts quotidiens déployés par ses esclaves pour le préparer. Elle se sentit injuste de les faire attendre, mais peu encline à quitter son lit pour autant.

Le retour de Bard, quelques jours plus tôt, aurait dû lui alléger l’esprit, presque au point de la rendre de s’attabler chaque matin. Étrangement, l’inverse se produisait. Une sorte de malaise plainait sur leur Maison, que Yue préférait fuir qu’affronter. Io Ruh paraissait inquiète, tendue, effrayée, peut-être, d’être punie injustement une troisième fois. Quant à Bard, il se montrait poli. Trop. Il avait cessé de l’appelé par son prénom en privé et lui témoignait sans cesse des marques de respect dont il ne s’était jamais embarrassé avant. Cela, Yue ne se l’expliquait d’aucune façon.

Tôt ou tard, il lui faudrait se lever, ou pas, mais en définitive, rien ne l’encourageait à le faire.

Rien sinon la faim.

Neuf heures approchaient lorsque les protestations de son estomac obtinrent qu’elle se libérât de l’étreinte moite de ses draps. La chaleur estivale n’en finissait pas de rendre ses nuits inconfortables et ses matin pénibles. En enfilant sa robe de chambre, elle s’efforça de se composer un visage neutre et se promit de ne pas faire durer le repas plus longtemps que nécessaire. Ils mangeraient, elle remerciait, eux retourneraient à leurs corvées et elle à ses ruminations d’ici un quart d’heure à vingt minutes.

Une lumière plus vivre que celle que filtrait sa fenêtre lui fit plisser les yeux lorsqu’elle ouvrit son espace privé au reste de l’appartement.

— Bonjour, bredouilla-t-elle en s’affalant sur son coussin.

Assis en face d’elle, ses deux esclaves sortirent de leur état de statue pour s’incliner. Avaient-ils attendu en silence tout ce temps ? N’allaient-ils pas lui adresser la parole, à présent ?

Tant pis.

Yue les imita, se laissant servir en silence. Le déjeuner se passa aussi vite que prévu, quoiqu’il lui parût long. Une fois repue, elle se leva, prête à retourner se coucher… mais se ravisa.

— Il vous arrive quoi ? les accabla-t-elle en une volteface. Vous vous comportez bizarrement, depuis le début du décan.

Une nouvelle fois, il lui sembla que Io Ruh se tétanisait et que Bard la considérait d’un regard distant.

— Nous sommes désolés si notre comportement déplait à notre mestresse, s’excusa-t-il.

— Tu t’entends parler ? se consterna Yue. Tu veux vraiment me faire croire qu’il se passe rien de bizarre ?

— Je ne veux rien faire croire à ma mestresse. J’essaie seulement de m’adresser à elle respectueusement.

— Oui, bah arrête, c’est bizarre. Et toi, ajouta-t-elle à l’adresse de Io Ruh, arrête de…

Yue s’interrompit, réalisant qu’elle était sur le point de la réprimander sur un coup de tête. Encore. Elle réévalua la situation sous cet angle. Ses esclaves essayaient-il de lui faire passer un message ? Un qui l’accuserait d’être devenue trop autoritaire pour se voir témoigner de la sympathie ?

Renonçant à tout forme de conversation, elle retourna s’isoler entre les panneaux de sa chambre.



Le visage de Io Ruh restait pâle d’effroi depuis une demi-heure. Débarrasser la table, laver la vaisselle et préparer leur en-cas de la mi-journée ne l’avait pas aidé à surmonter l’angoisse de leur confrontation avec Yue. Bard hésitait entre tenter de la rassurer et lui laisser de l’espace pour se recomposer. Mentir à leur mestresse – tout du moins, lui cacher une vérité – lui coûtait beaucoup.

— J’ai eu peur que la mestresse insiste davantage, confessa-t-elle spontanément tandis qu’ils quittaient le cellier. Je ne sais pas si j’aurais été capable de le supporter.

— Je t’avais dit qu’elle trouverait étrange que j’arrête de l’appeler par son prénom, ne put-il s’empêcher de rappeler.

— Certes, mais je préfère je refuse de courir le risque que son prénom t’échappe au mauvais moment. Il fallait que tu perdes cette habitude avant aujourd’hui.

— Tu penses qu’un décan suffit à perdre une habitude ?

— Je ne peux que l’espérer. La vieille noblesse Li-Hore attache beaucoup d’importance aux convenances. Telle que tu me connais au quotidien, je pourrais passer pour insolentes aux yeux d’une familles conservatrice. Nous devons vraiment faire attentions au moindre de ne mot et au moindre de nos gestes.

— Je sais.

— Au moindre impair, nous risquons gros. Plus que chez Dame Ni He. Plus que n’importe où ailleurs.

— Oui, je sais.

— Nous devons vraiment…

— Io Ruh, la coupa-t-il. Je sais. Et de toute façon, il est trop tard pour refaire toute mon éducation. Alors respire et marche plus vite. Le commandant Klalade doit déjà nous attendre dehors.

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