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La semaine qui suit, un événement inattendu se produit. Capucine, qui recherche toujours de jolies jeunes femmes sur Tinder, matche avec Blanche, l’une des amantes de Romain. Il lui avait montré sa photo lors d’un de leurs premiers rendez-vous. Quand la notification apparaît sur le téléphone de Capucine, elle n’en croit pas ses yeux. Blanche sait-elle également qui elle est ? Pour le savoir, Capucine envoie un taquin « Bonjour, toi » suivi d’un clin d’œil. Blanche répond par un clin d’œil. Rapidement, les deux jeunes femmes décident de mettre au point un plan qui surexcite Capucine. Romain a déjà évoqué l’idée d’une rencontre à trois avec les deux jeunes femmes, mais chacun est resté jusque-là sur la réserve. Les envies en tête-à-tête les occupaient déjà beaucoup. Désormais, c’est l’occasion rêvée.

La prochaine fois que Capucine a rendez-vous chez Romain, elle rejoint Blanche à la sortie du métro. Elles se saluent, souriantes, puis échangent quelques mots en se dirigeant vers l’appartement de leur amant. La situation est incongrue. Capucine songe que personne n’imaginerait ce qu’elles s’apprêtent à faire, en les voyant ainsi converser timidement. Dans l’ascenseur, son cœur bat fort. Blanche se place devant la porte afin que ce soit elle que Romain découvre en premier. L’expression qui se peint sur le visage de celui-ci dépasse ce que Capucine avait imaginé. Choc. Confusion. Lorsqu’il aperçoit Capucine, il comprend et a une réaction brouillonne, une sorte d’effusion de paroles exprimant son étonnement, entre les rires et les pleurs. Elle ne le connaissait pas si émotif.

Il les fait entrer, les prend chacune dans ses bras. « Vous êtes folles. » Tandis qu’il les installe sur le canapé, il est totalement déstabilisé, ne sait pas où se mettre, pose les mains sur les genoux comme s’il avait couru un marathon. Les deux jeunes femmes se regardent, amusées et attendries. Finalement, au bout d’un long moment de flottement, Romain reprend un semblant de contenance, va chercher du vin et s’assoit entre ses espiègles amantes. Au fil de la conversation, chacun se détend. Capucine, curieuse du fonctionnement des relations multiples qu’elle découvre, demande à Blanche et Romain s’ils sont parfois jaloux des autres hommes, des autres femmes qui gravitent autour d’eux. Blanche répond par la négative, tandis que Romain se montre plus nuancé. Blanche l’a déjà rendu jaloux, à force de rencontrer tout un tas d’hommes. Elle raconte qu’avec sa libido explosive, elle n’avait pas peur de se rendre très régulièrement chez des inconnus pour satisfaire ses pulsions.

Capucine observe la jeune femme plus attentivement. Elle a du mal à croire que cette fille de vingt ans, calme et polie, adopte ce genre de comportement. Elle doit beaucoup plaire, avec sa mine adorable, son petit corps délicat et sa gentillesse. Quoi qu’il en soit, depuis qu’elle a rencontré Romain, Blanche s’est calmée. Capucine comprend qu’il a réussi à canaliser ses envies, à en devenir l’objet principal. Ainsi, elle n’est pas la seule à lui trouver quelque chose de spécial. Elle voit bien que c’est réciproque. Romain se comporte comme s’il était avec ses deux petites protégées préférées. Bizarrement, Capucine n’éprouve pas la sensation de concurrence qu’elle craignait un peu. Elle a l’impression de faire partie d’un petit nœud de personnes liées par le désir.

Autre chose la préoccupe : Blanche est-elle attirée par elle ? Elle n’en laisse rien paraître. La soirée s’écoule sans que rien ne déclenche un rapprochement sensuel. Alors, Capucine prend les devants. Elle profite d’un blanc dans la conversation pour lancer à Blanche, l’estomac noué :

« Tu aurais envie que je t’embrasse ? »

Les yeux de la jeune femme pétillent, puis elle acquiesce silencieusement. La sensation est complètement inédite pour Capucine. Grisante. Cette petite bouche, si différente de celle de Romain. La douceur et la délicatesse de la nuque qu’elle caresse. Pendant cet instant, Capucine oublie complètement son amant, jusqu’à ce qu’elle sente une caresse dans son dos. Elle cesse d’embrasser Blanche pour le regarder. Il semble émerveillé.

La suite se déroule comme dans un rêve, chacun se goûte, s’étonne de voir les deux autres se plaire et se donner du plaisir. Capucine découvre d’autres sensations nouvelles. Le pouvoir électrisant de deux petits seins qui pointent sous ses mains. L’odeur et l’humidité d’une petite chatte qui n’est pas la sienne. Les doigts s’enfonçant, bien au chaud, accueillis par une intimité gonflée d’excitation. La complicité d’une autre langue parcourant avec elle le sexe de son amant. L’ivresse de la pénétration qui lui donne le rythme pour lécher par à-coups.

Lorsque la soirée touche à sa fin, Blanche rentre chez elle, tandis que Capucine reste dormir chez Romain. Il la remercie avec profusion, la câline longuement avant de s’endormir. Secrètement, elle bénit l’algorithme de Tinder puis plonge à son tour, sereine, dans les bras de Morphée. Le lendemain et les jours suivants, elle baigne encore dans un ravissement hébété, jusqu’à ce qu’une chose beaucoup plus sombre se mette à occuper son esprit.

Il se trouve que sa sœur, Mathilde, qui est bipolaire, est en ce moment à l’hôpital psychiatrique. C’est un retour brutal à une réalité différente. Capucine décide de se rendre dans le nord pour rendre visite à la malade, qu’elle aime de tout son cœur. Mais pendant le trajet en train, elle ne parvient à penser qu’à Romain. Cet éloignement physique l’incite à prendre du recul sur ces presque deux mois passés en sa compagnie. Elle a l’impression de commencer à le connaître vraiment. Il parle à son cœur d’adulte, mais aussi à son cœur d’enfant et d’adolescente. Il la touche profondément, avec ses failles et ses éclats.

Quand elle rejoint Mathilde dans sa chambre, elle la trouve agitée et angoissée. Pourtant, elle ne parvient pas à l’apaiser. Au contraire, elle s’épanche sur cette rencontre si intense, et elle voit l’inquiétude sur les traits de sa sœur. Elle pleure.

« Je l’aime. »

Les mots, prononcés sans réfléchir, la bouleversent. En même temps, elle se trouve profondément égoïste de faire passer ses états d’âme avant le bien-être de Mathilde. Mais elle ne parvient pas à faire autrement. Lorsqu’elle quitte l’hôpital, le poids de sa culpabilité ne la quitte pas. Peut-être est-ce pour alléger ce poids qu’elle décide, la prochaine fois qu’elle voit Romain, de prendre avec lui de la mdma.

Depuis qu’elle le connaît, elle l’a vu parfois se droguer à la coke, substance à laquelle elle n’a jamais touché. La mdma l’intéresse davantage, d’après ce qu’elle en a entendu. Lorsque les effets commencent à se faire sentir, elle n’est pas déçue. Elle se sent plus connectée à lui que jamais, oublie ses soucis. Tout lui semble plus grand et plus profond, comme si l’univers entier entrait un peu dans sa poitrine. La drogue la fait parler, s’épancher plus que d’habitude. Inévitablement vient le moment qu’elle redoute tant. Elle lui avoue son amour.

« C’est la mdma qui parle », lui dit-il, attendri. Mais lorsqu’elle lui assure que non, qu’elle écoute en boucle des chansons d’amour en pensant à lui, qu’il occupe en permanence ses pensées, elle le voit changer légèrement d’expression. Il la regarde avec une immense compassion, obscurcie par un soupçon de peur.

« Je t’aime vraiment bien, mais ce n’est pas pareil… » Bien sûr. Elle le savait, mais ça lui brise quand même le cœur.

Romain se confie sur sa difficulté à retomber amoureux depuis une histoire traumatisante avec une jeune fille qui avait 14 ans quand il l’a rencontrée. Lui en avait 35. Et même s’il promet d’avoir attendu sa majorité sexuelle pour coucher avec elle, la mention de cette relation effraie un peu Capucine. Ainsi, il a connu sa Lolita. Avant même de se demander pour qui la relation a dû être la plus traumatisante, la jeune femme se sent envahie par une jalousie brûlante, insensée. Elle aurait voulu être à la place de cette fille. Être son amour interdit.

Plus tard, alors que les amants commencent à s’exciter, Romain demande à Capucine de se toucher devant lui. Mais quelque chose ne va pas. Elle y va trop fort, se met à saigner. Catastrophée, elle court dans la salle de bain. Elle a le temps de voir le dégoût sur le visage de son amant, ce qui la mortifie, bien qu’elle essaye de prendre l’incident à la rigolade. Ce soir-là, pour éviter qu'elle ne se blesse davantage, ils ne font pas l’amour. Dans l’obscurité de la chambre rouge de Romain, toujours sous l’effet de la drogue, elle se met à raconter l’histoire d’une feuille qui tombe amoureuse d’une jeune fille dans la forêt. La feuille tombe sur la chevelure de la jeune fille, mais celle-ci secoue la tête, et la feuille finit sur le sol moite du sous-bois, seule, allant vers son destin de feuille morte et piétinée.

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