1

12 minutes de lecture

Pour sa soirée annuelle, le centre ophtalmologique Optivue a décidé de faire appel à un magicien. Un excellent moyen de nouer des relations entre collègues et de se détendre, selon la direction. Capucine, cette soirée, elle ne l’enchante pas vraiment. C’est toujours la même chose : entre deux discussions fades, elle finit sa coupe de champagne assise dans un coin. Personne ne la remarque, personne ne vient l’embêter. Ça la repose, ça la change des patients souvent insupportables. « Faut-il vraiment que je vous donne mon adresse et mon numéro ? » « Oui madame, sinon je ne vous les demanderai pas. » Capucine aimerait passer plus de temps loin de ses collègues et des patients, à l’abri de leurs regards inquisiteurs. Que penseraient-ils du nombre d’heures que passe la discrète secrétaire médicale sur Tinder à la recherche de jolies jeunes femmes à rencontrer ?

Il n’en a pas toujours été ainsi, loin de là. Capucine sort d’une relation de cinq ans avec un gentil garçon, une relation-cocon à laquelle elle n’avait pas grand-chose à reprocher, si ce n’est un certain manque de stimulation. Et puis, il y a des questions si obsédantes qu’il faut les poser à la vie de toute son âme, quel qu’en soit le prix à payer. Capucine se demande ce qu’il y a au-delà du couple, et ce que ça fait de caresser le corps d’une femme nue. Pour l’instant, ces questions sont restées sans réponse. Apparemment, quand on est soi-même une jeune femme, il est beaucoup plus facile de rencontrer un homme qu’une de ses camarades.

Pourtant, c’est bien un homme qui lui procure une vive émotion lorsqu’elle voit arriver Romain, le magicien. Sous le charme, elle l’observe tandis qu’il passe de groupe en groupe pour faire quelques tours de cartes. Les convives rient de bon cœur, semblent abasourdis par la dextérité du prestidigitateur. Certains cherchent à découvrir le truc, mais nul n’y parvient. Quand Romain arrive à la table de Capucine, d’autres personnes les rejoignent pour assister eux aussi aux talents de l’homme. De près, il est presque intimidant. Il doit avoir la quarantaine. Ses yeux sont noirs, ses cheveux en bataille, sa mâchoire bien dessinée, ses joues légèrement creusées. Il dégage à la fois une assurance très adulte, et une légèreté enfantine qui séduit aisément. Lorsque Capucine tire une carte au hasard, la dame de cœur, Romain lui adresse un clin d’œil amusé. Après quelques passes, coup de théâtre final, il révèle sur son avant-bras un tatouage de ladite carte, comme si elle attendait Capucine depuis le départ. La jeune femme ne cherche pas à savoir comment le magicien a réussi ce tour de force. Elle se contente de savourer le moment, cette sensation qu’enfin quelqu’un vient la tirer de son ennui pour lui mettre des étincelles dans les yeux.

Romain, très professionnel, ne semble rien remarquer. Pourtant, à la fin de la soirée, quand les invités commencent à partir, il donne sa carte à la jeune femme, avec son numéro. En rentrant chez elle, heureuse, elle lui écrit : « Merci pour cette soirée magique. » Ce à quoi il répond tout de suite : « J’aimerais qu’on me l’écrive plus souvent ! ». Poussée par une montée d’espièglerie, Capucine ne parvient pas à retenir le message suivant. « Je suis sûre que vos nombreuses admiratrices vous le disent. » Ainsi commence une discussion où s’installe progressivement une drôle de dynamique. Capucine, excitée par la différence d’âge avec son interlocuteur, se met à jouer à la sale gosse prétentieuse. Elle lui rappelle le clin d’œil, osé. Romain joue le jeu, il s’en délecte, même.

La conversation dérape, Capucine ne sait pas trop pourquoi, mais elle se met à lui parler de sa recherche de jeunes femmes. Il enchaîne en précisant en connaître certaines qui pourraient être intéressées. La proposition reste en suspens, la conversation part sur un terrain plus glissant encore. Romain ne fréquente-t-il que des filles de vingt ans ? Bizarrement, Capucine n’est pas agacée. Elle le comprend. Elle-même rêvait d’être une nymphette quand elle a lu Lolita à 16 ans, et qu’elle se croyait déjà trop vieille pour plaire à son premier amour, un jeune homme âgé de sept ans de plus qu’elle (en réalité, elle a appris bien plus tard qu’il était homosexuel). Et quand elle parle à Romain, une voix crie en elle « il n’est peut-être pas trop tard ! » Pourtant, évidemment, il est trop tard, et Capucine passe à côté du plus important : ce qu’a vécu Lolita était traumatisant.

Les jours qui suivent, Capucine et Romain continuent de s’écrire. Un soir, ils s’appellent. Elle commence à lui suggérer doucement un scénario dans lequel une nymphette est un peu trop curieuse pour sa vertu. Lorsqu’elle constate l’effet produit sur Romain, l’excitation la gagne également. Avant de raccrocher, chacun convient qu’il a envie de revoir l’autre. Ils se donnent rendez-vous chez lui le lendemain.

Quand il ouvre, elle est saisie par une l'impression incongrue de retrouver quelqu'un qu'elle a aimé longtemps auparavant. Elle observe les lieux, atypiques. L'appartement est grand pour un logement parisien. Il y a du vieux parquet au sol, toutes sortes d'affiches et de tableaux aux murs. Dans le salon, des instruments de musique sont entassés derrière le canapé. Un synthé, une guitare, un accordéon. Apparemment, la magie n'est pas le seul talent de Romain. Une ambiance presque gypsy se dégage du joyeux désordre qui règne.

Capucine s'assoit. Avec sa frange, sa coupe au carré et sa robe à col Claudine, elle a l'air d'une jeune fille de bonne famille. Elle a songé que Romain aimerait ce décalage entre son apparence innocente et la teneur perverse de leurs conversations. Il la regarde un instant avec un sourire espiègle, puis va chercher du vin dans la cuisine. Ils discutent en buvant. La conversation, badine, est agréable. Au bout d'un moment, Capucine, qui aime l'accordéon, demande à son hôte de lui jouer un air. Elle l'écoute, attendrie, heureuse de se trouver là. Lorsqu'il repose l'instrument, ils se sourient sans rien dire, puis Romain enlace la jeune femme.

— Je suis content de te voir.

— Moi aussi.

Capucine, émue, approche ses lèvres de celles du magicien. Il se recule tout en l'attrapant fermement par la nuque.

— Tss tss... ça ne se fait pas, ça, jeune fille...

Ces mots et le geste de Romain éveillent subitement en elle un désir puissant. Avec un sourire carnassier, il prend sa bouche brièvement puis la relâche. Le cœur de la jeune femme s'affole. Il caresse doucement sa joue, puis l’embrasse à nouveau, plus longuement, alternant tendresse et fougue. Il l’allonge sur le canapé et se place au-dessus d’elle, promène une main sur sa taille, sur sa poitrine, puis au niveau de son entrejambe, très légèrement. Une lueur sauvage s’allume dans le regard de Capucine. Elle agrippe les hanches de l’homme et le plaque contre elle. Elle sent son érection et bouge son bassin pour créer un frottement qui les excite encore plus. L’envie prend Capucine de voir ce sexe et de la tenir dans sa main, alors elle fait mine d’ouvrir le pantalon de Romain, mais celui-ci retient sa main.

Il glisse la sienne dans la culotte de la jeune femme et la caresse d'un doigt entre les petites lèvres. Elle mouille bien, et la sensation est si forte qu'elle pousse un soupir. Il effectue de petits mouvements circulaires sur la zone externe de son clitoris, joue avec sa frustration en ne la pénétrant que de quelques millimètres. Elle se laisse faire un moment, puis n'y tenant plus, elle le force à entrer en elle plus profondément. Suivant enfin le désir de la Capucine, il commence un mouvement de va-et-vient énergique avec deux doigts. Le soulagement est éphémère. Ce dont elle a envie, c'est qu'ils vibrent à l'unisson. Alors elle se dégage et, dans une ferme résolution, déboutonne le pantalon de Romain. Cette fois, il se laisse faire tandis qu'elle extirpe le sexe, large et doux. Elle entreprend de le masturber, doucement d'abord, puis plus rapidement. Il lui indique qu'elle peut exercer plus de pression, ce qu'elle fait immédiatement.

Après un moment, les amants se déshabillent mutuellement. Leurs gestes sont fébriles. Romain enfile un préservatif, puis le plaisir dilate leurs pupilles tandis qu'il la pénètre profondément. La lenteur avec laquelle il la baise au début est exquise, pleine de promesses. Lorsqu'il casse le rythme pour donner un coup de butoir puissant, elle pousse un cri, et il laisse aller tout son désir, contenu jusque-là. La chaleur qui se diffuse dans le bas-ventre de Capucine la mène dans une dimension où plus rien d'autre n'existe que leurs corps entrelacés. Lorsque l'orgasme vient, comme une évidence, elle se laisse aller contre lui et ils restent un moment comme ça, sans parler.

Cette première fois restera longtemps gravée dans l'esprit de Capucine. Après cette soirée, la conversation entre les amants continue par messages. Ils se revoient régulièrement lors des semaines qui suivent, et à chaque fois la jeune femme attend impatiemment ces soirées hors du temps. Elle s'étonne du désir ravageur qu'elle ressent pour lui, de la place qu'il occupe déjà dans ses pensées. Afin de lui plaire, elle n'hésite pas à lui susurrer à l'oreille des mots interdits qui déclenchent systématiquement chez lui une excitation et un plaisir du sulfureux qui le mènent à l'orgasme. Elle n'en est pas très fière, mais la joie de le contenter l'emporte sur ses scrupules.

De son côté, Romain évoque parfois ses jeunes amantes, ce qui ne manque pas d'intéresser Capucine. Elle n'est pas jalouse, mais elle l'envie : elle aussi aimerait vivre une relation charnelle avec ces filles mystérieuses. La curiosité sexuelle de Capucine la pousse à vouloir expérimenter de nouvelles choses. Un soir, elle se rend chez Romain en robe moulante sans soutien-gorge et retire sa culotte dans l'ascenseur. Quelques minutes plus tard, près du bureau de son amant, elle fume une cigarette en évoquant un podcast qu'elle a écouté à propos des clubs libertins. Elle récite, bonne élève : "il y a les clubs secs et les clubs humides..."

L’instant d’après, le visage de Capucine est entre les doigts de Romain, sa bouche pressée par la sienne. Elle ne s'y attendait pas. Ils se dévorent, puis elle hésite un peu. Sa cigarette se consume toujours dans sa main droite. Il comprend l'origine de cette hésitation, prend la cigarette et la dépose dans le cendrier. Il n’emmène pas la jeune femme dans le salon, comme à son habitude, mais la plaque contre le mur du bureau. Il glisse une main sous sa robe, attrape ses fesses, caresse ses cuisses. Elle rit. Il s'en étonne :

— Quoi ?

Elle ne répond pas. Elle ne sait pas si c'est l'excitation qui l'empêche de penser clairement, mais il lui faut encore quelques secondes pour réaliser que la peau de Capucine est nue sous la robe.

— J’adore.

Il la fait asseoir sur le bureau sans cesser de l'embrasser, puis ils défont les boutons de la chemise de Romain. Elle déboucle sa ceinture. La robe ne tarde pas à rejoindre le sol. La langue du magicien mouille le clitoris de Capucine. C'est chaud et agréable. Elle perçoit l'odeur de sa propre excitation. Elle s’accoude sur le bureau, renverse son bassin pour mieux lui donner accès à son sexe qui en réclame davantage. Elle pose un pied sur une chaise, l’autre sur le mur, jambe tendue. Un paquet de cartes à jouer se répand sur le sol. La bouche de Romain provoque chez elle des spasmes de plaisir de plus en plus rapprochés. Il est concentré, entièrement dédié à sa jouissance, et ça ne manque pas.

Après cet orgasme, elle se relève, songe à s’occuper de lui, mais il en a décidé autrement. Pas encore. Il la retourne face au mur, de dos. Il lui mord la nuque, la joue, caresse son ventre. Elle pose la tête contre la paroi fraîche et se place de manière à laisser ses tétons la frôler. Romain l’incite à se cambrer un peu plus, puis la doigte jusqu’à ce qu’elle jouisse fort. Ses cuisses et le parquet sont mouillés. Il lui ordonne de ne pas bouger. Elle écoute sa respiration se faire plus profonde, sent son cœur battre à un rythme de plus en plus lent. Capucine apprécie ce moment de calme. Ils se font un câlin. Elle s’agenouille devant lui, il bande. Il place sa veste sous les genoux de la jeune femme.

Elle lèche sa queue de bas en haut, en le regardant dans les yeux, puis la glisse entre ses lèvres, tout doucement, en passant bien sa langue sur le gland, sur le frein. Elle prend son temps, savoure les sensations. Elle aime sentir le sexe réagir dans sa bouche. La main de Romain sur sa tête lui demande d’aller plus vite, elle sent son désir monter vite, il fait un bruit rauque qui excite Capucine. Elle accélère, va plus loin, un coup un peu plus fort la fait tousser. Il remarque les larmes dans ses yeux, la relève pour l'enlacer, mais elle lui dit que tout va bien. Elle le fait asseoir dans le coin, par terre, et reprend avec la bouche, en alternant avec les mains.

Après ça, ils fument une cigarette nus sur le canapé, puis vont se coucher. Dans le lit, quand il l’embrasse, elle veut qu’il la pénètre. Il s’exécute en la mordant, en enveloppant sa gorge de ses mains, et elle lui demande de serrer pour voir jusqu’où il peut aller sans la blesser. Elle adore sentir son désir de la posséder, pleinement et violemment. Dans ces instants éphémères, l'illusion est grisante : elle est toute à lui. Avant de s’endormir, ils reparlent du club libertin : ils iront ensemble aux Chandelles.

Pour rentrer dans ce club, un dress-code chic est de mise. Les femmes sont incitées à porter des talons, ce qui agace Capucine. Si elle se prête habituellement à certaines coquetteries, comme l'épilation, un léger maquillage ou le port de jupes et de robes, elle trouve rétrograde de devoir forcer des femmes à marcher dans des chaussures qui ne sont pas sans évoquer la torture. Pourtant, elle accepte de jouer le jeu. La curiosité est trop forte. Elle revêt une robe noire élégante qui marque bien sa taille fine, des bas, et des talons, puis retrouve Romain chez lui. Sérieux, il la met en garde contre l'attitude de certains hommes en club, qui se croient tout permis. Il avoue ne pas être certain de vouloir qu'ils se mélangent trop là-bas, et lui fait promettre de garder une connexion permanente pendant la soirée. En route dans le taxi, il pose sa main sur la sienne. C'est doux et rassurant.

Quand ils arrivent sur place, pourtant, Capucine tremble de stress et d'excitation. Elle adresse un sourire crispé à l'homme à l'accueil, qui les salue chaleureusement, comme des invités de marque. Il leur indique le sous-sol. Les escaliers sont gravés dans la pierre, il s'en dégage une atmosphère intime et romanesque. La jeune femme a l'impression de descendre dans la pièce secrète d'un château où se passent des choses dignes de l'œuvre de Sade. En bas, Romain emmène Capucine au bar, où ils boivent un verre en papotant avec le barman. La jeune femme se détend légèrement. Vient alors le moment d'explorer les lieux.

Alors qu'ils se dirigent vers la salle du fond, la jeune femme entend des gémissements. Son ventre se noue. La découverte de la scène la laisse mi fascinée, mi gênée d'observer des inconnus en plein acte sexuel. Ils sont six, alanguis sur de grandes banquettes où il reste encore de la place. Un homme, un peu en retrait, s'approche de Capucine et pose la main dans le bas de son dos. Après avoir croisé le regard circonspect de Romain, elle se dégage. Les deux amants préfèrent se diriger vers la salle de droite, ouverte sur le bar et le couloir, mais vide.

Ils commencent à s'embrasser sur de la musique lounge, puis le magicien entreprend de la lécher. C'est à ce moment qu'un couple passe dans la salle pour se rendre au fumoir. Capucine croise le regard de la jeune femme alors que le plaisir rosit ses joues. Elle n'ose pas poser les yeux sur l'homme. Le couple s'en va. Romain et Capucine font l'amour, et la jeune femme remarque au bout d'un moment que la salle est pleine. Elle s'est remplie discrètement, et c'est avec surprise qu'elle s'aperçoit que plusieurs personnes les contemplent avec envie, elle et son amant.

Un homme en particulier s'approche, peut-être le même qu'un peu plus tôt, Capucine n'en est pas certaine. Romain lui suggère à l'oreille de le sucer sous son contrôle. Cette proposition fait son petit effet sur la jeune femme, qui a la sensation troublante d'être prêtée à un autre. L'homme est ravi de la situation. Elle donne son maximum tandis que Romain pose doucement la main sur sa tête et lui donne le rythme. Au bout d'un certain temps, l'homme se retire.

« Tu veux me faire jouir ou quoi ? »

Elle rit. Elle était tellement concentrée qu'elle ne songeait même pas à cette éventualité.

Désireux de faire une pause, Romain et Capucine se rendent dans le fumoir, où ils retrouvent le couple qui les observait lorsque le magicien avait la tête entre les cuisses de son amante. Les deux couples se ressemblent légèrement. Une jeune femme de moins de 30 ans accompagnée d'un homme de la quarantaine. Ils discutent aimablement, et Capucine comprend qu'ils sont en couple libre. Elle les envie... Elle aimerait être spéciale pour Romain, être celle qui compte plus que les autres, celle vers qui il revient toujours.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Violette ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0