1 - Prologue
Après notre retour, nous avons repris les réunions en ligne. Notre bande de copains, à nouveau ensemble. Fragile. Dispersée. Mais là.
Jacques n’attend rien de nous. Mais il est là. Présent. Comme une ombre fidèle.
Jean-Luc, lui, organise, structure, relance les fils.
Françoise… Toujours absente. Son silence est devenu un rythme.
Freddy travaille. Mais il reste en contact. Il écoute. Il veille.
Mathieu, par monts et par vaux. Mais il respecte notre pacte. Il est là quand il faut.
Marie et Jean gardent leur secret. Ils ont parlé longuement avec Mathieu. Il n’en revient pas : de leur découverte. De l’énormité de la connaissance de nos ancêtres. Il comprend notre discrétion. Face à un monde sous contrôle.
Nous avons fait ensemble une excursion. Pour voir les murs cyclopéens de Cosa, en Italie. Des blocs immenses. Agencés sans mortier. Comme si la pierre elle-même savait comment s’assembler.
Le guide a bien précisé :
— Ces murs ont été bâtis par les Romains.
Nous avons échangé un regard. Et dans ce regard… Une onde. Un doute. Une mémoire ensevelie, tout comme la vérité.
Le ciel est gris, saturé. Les arbres squelettiques ont perdu leurs feuilles trop tôt. Une pluie acide tombe en silence.
Ils respirent l’air pollué à travers un masque. Jean est assis sur un banc, le regard perdu dans un horizon flou. Marie, à ses côtés, tient un carnet. Entre eux, le disque, inerte depuis des années.
— Tu crois qu’on aurait pu faire mieux ? Demande-t-elle. Jean ne répond pas tout de suite. Il observe les oiseaux, rares, qui volent bas.
— À notre place… Je ne sais pas. Mais à la leur… Nous aurions dû écouter plus tôt.
Marie tourne une page : notes, schémas, fragments de mémoire.
— Ils ont semé l’intelligence. Mais nous avons cultivé l’exploitation. La mémoire est devenue archive. Pas conscience.
Jean murmure :
— Et pourtant… Elle vibre encore. Faiblement. Comme une onde résiduelle.
Marie ferme le carnet.
— Alors peut-être que ce n’est pas trop tard. Pas pour réparer. Mais pour transmettre autrement l’héritage.
Jean sourit.
— Pas de technologie. Pas de miracle. Juste une fréquence. Une manière d’être.
Ils se lèvent. Ils marchent lentement, dans un monde qui s’effondre, mais quelque chose, infime, recommence à vibrer.
Lilia, leur fille, vient les chercher :
Papa, Maman, il ne faut pas rester dehors, c’est dangereux.
Jean et Marie se retournent. Lilia est là, debout dans la brume, son masque légèrement embué. Elle tient un petit appareil ; pas un téléphone, pas un capteur. Un objet qu’elle a bricolé elle-même.
Un résonateur.
— Je crois que le disque n’est pas tout à fait inerte, dit-elle.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? Demande Marie.
Lilia s’approche. Elle pose l’appareil sur le disque. Un souffle. Une vibration. Infime. Presque imperceptible. Enfin une coloration.
— Il ne parle pas. Mais il écoute.
Jean et Marie échangent un regard. Ils ne disent rien. Ils n’ont plus besoin de mots.
Lilia sourit.
— Je vais continuer. Pas pour comprendre. Pour accorder.
Un léger frémissement traverse le disque. Non pas un signal, mais une harmonisation — comme si une mémoire enfouie se souvenait d’être attendue. Lilia ajuste son résonateur. Elle ne cherche pas à décoder. Elle écoute. Autour d’eux, le vent change imperceptiblement. Un oiseau passe, plus haut que les autres. Les feuilles mortes, au sol, vibrent légèrement.
Marie murmure :
— Ce n’est pas une réponse.
— Non, dit Jean. C’est une harmonisation.
Lilia sourit.
— Il ne s’agit pas de sauver le monde, mais de le réaccorder. Un souffle après l’autre. Et pour cela, il me faut mon Implant.
Jean secoue la tête.
— Non, Lilia, on en a déjà parlé. Tu sais bien que bientôt les Implants seront obligatoires, et nous seront tous à leurs mercis.
— Papa, maman, vous pensez bien que j’ai pensé à tout cela avec Island. Nous travaillons sur le sien et moi, je me ferais implanter quand nous serons indétectables.

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