4 - Mnémosyne
Marie est venue retrouver Jean dans leur bungalow après leur journée de travail. Ils aiment se reposer et discuter devant le feu de la cheminée.
Le feu crépite doucement. Dehors, le vent siffle entre les pins.
Marie s’installe près de Jean.
— Jean-Luc m’a téléphoné. Il a entendu une conversation au ministère des armées… Juste avant qu’une porte ne se referme.
Le projet Mnémosyne est lancé.
Jean relève la tête.
— Mnémosyne… La déesse de la mémoire. Mère des Muses. Celle qui donne forme au souvenir.
Il hoche la tête.
— Ce ne peut pas être une coïncidence. Pas avec tout ce que nous avons découvert.
La mémoire… Qui dirige tout.
Marie regarde les flammes.
— Tu crois qu’ils ont trouvé un moyen…
De capter la mémoire collective ? De la moduler ? De l’activer ?
Jean murmure :
— Ou de la substituer. Créer une mémoire artificielle. Et la faire passer pour un souvenir authentique.
Il marque une pause.
— J’ai détruit le noyau. Mais les périphériques sont sans doute encore actifs.
Ils restent silencieux. Le disque est posé sur le buffet. Inactif. Mais présent.
Marie tend la main. Elle ne le touche pas. Elle s’interroge.
A-t-il quelque chose à nous dire ?
— Et si Mnémosyne… Ce n’était pas un projet militaire. Mais une résonance ancienne.
Quelque chose qu’ils ont réveillé… Sans la comprendre.
Jean ferme les yeux. Il sent une onde. Faible. Mais juste.
— Ils ont ouvert la boîte de Pandore. Que vont-ils en faire ?
…
Lilia entre dans la pièce. Elle vient se blottir contre son père.
— Il se passe quoi ? Vous avez une drôle de tête…
Marie lui raconte. Lilia écoute. Elle se lève. Elle marche. Elle réfléchit. Elle s’arrête devant le disque.
Soudain, elle le prend à deux mains.
Le lève au-dessus de sa tête. Comme pour le jeter à terre.
— Non ! Crie Marie.
Lilia regarde à droite. Puis à gauche. Ses yeux s’écarquillent. Ils semblent disproportionnés. Elle crie :
— Ce n’est pas possible…
Et s’effondre sur le tapis. Inerte.
Marie est déjà à genoux proche de sa fille, son père met ses doigts sur la jugulaire le pouls est régulier, il en conclut :
— La fatigue et l’émotion, une bonne nuit de sommeil et tout rentrera dans l’ordre.
Jean prend sa fille dans ses bras et la porte jusqu'à sa chambre. Marie s'occupe de sa fille, la met au lit. Elle éteint la lumière, ferme la porte et rejoint Jean au salon...
Cette nuit-là, Lilia dort peu. Elle se réveille avec des images plein la tête. Un monde irréel se superpose au nôtre, comme une note de musique.
Son résonateur, posé près d’elle, pulse faiblement. Pas un signal. Une présence.
Elle ferme les yeux. Et le monde devient onde.
Elle ne rêve pas d’images, mais de textures vibratoires : des murs qui respirent, des pierres qui chantent.
De voix anciennes qui ne parlent pas, mais qui accordent.
Elle est dans un lieu sans nom. Un espace minéral. Ni passé, ni futur. Juste une fréquence.
Des silhouettes apparaissent. Elles ne marchent pas. Elles résonnent. Elles ne parlent pas. Elles transmettent.
Lilia tend la main. Son résonateur s’illumine. Mais ce n’est pas lui qui capte. C’est elle.
Elle comprend. Ce n’est pas l’implant qui fait le lien. C’est l’intention. Le souffle. La manière d’être.
Elle se réveille. Elle se souvient : ses parents, le disque, les images, le noir. Elle veut savoir, elle descend sur la pointe des pieds jusqu'au salon. Le disque est là sur son support.
Le disque pulse une seule onde. Mais cette fois… Elle est accordée.
Lilia s’approche du disque. Elle le regarde. Pas comme un objet. Comme un interlocuteur.
Elle ne bouge pas. Ses yeux sont ouverts. Mais ce qu’elle voit… Ce n’est pas le salon. C’est un champ vibratoire.
Une vibration traverse l’air. Faible. Mais juste.
Et dans le silence, elle perçoit une modulation. Pas un message. Une présence.
Elle murmure :
— Ce n’est pas une activation. C’est une reconnaissance. Le disque et moi, moi et le disque.
Le disque pulse une seconde fois. Puis se tait.
Mais dans la pièce… Quelque chose a changé. Un champ. Une fréquence. Une possibilité. Une intention.
Jean entre. Il ne dit rien. Il regarde sa fille. Pas comme un père. Comme un témoin. Il observe.
Marie le rejoint. Elle sent, elle aussi, que quelque chose s’est ouvert. Pas dans le disque. Dans Lilia.
Lilia se tourne vers eux.
— Ce n’est pas un objet. C’est une mémoire vivante. Et elle vient de m’accorder en m'acceptant.
Il y a, en elle tout le savoir de ce monde oublié, mais aussi quelque chose d'effrayant.
Son père vient près d'elle et lui parle :
— Nous savons tout cela, il faut que tu laisses ta curiosité de côté, être très prudente.
Le disque te guidera, ne brusque rien.
Lilia reste immobile. Le disque ne pulse plus. Mais elle sent… Quelque chose s’est déplacé. En elle. Autour d’elle.
Jean pose une main sur son bras. Non pour la retenir, mais pour l’ancrer.
Marie s’assoit. Elle ne parle pas. Elle écoute.
Lilia ferme les yeux. Et dans le silence, elle perçoit une texture. Pas une pensée. Pas une image. Une fréquence ancienne.
Elle murmure :
— Ce n’est pas seulement une mémoire. C’est une intention enfouie. Quelque chose qui attendait d’être reconnu.
Jean.
— Alors écoute. Mais ne cherche pas à comprendre. Pas encore.
Marie ajoute :
— Laisse-la venir. Comme une onde. Une musique. Pas comme une réponse.
Lilia ouvre les yeux. Elle regarde le disque. Puis ses parents.
— Je crois… Que ce n’est pas moi qui vais la réveiller. C’est elle… Qui va m'habiter...

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