5 - La grotte des résonances
La pièce se remplit de tonalités, d’harmoniques, de fréquences vibratoires, de mélodies. Les champs sonores se croisent, se superposent, s’harmonisent en une symphonie vibratoire.
Les résonances modifient la lumière, une aurore boréale tapisse le plafond.
Après un temps indéfinissable le calme revient. Puis le silence assourdissant.
Pour Marie et Jean, le silence est total. Mais il n’est pas vide. Il est plein. Plein d’une présence. D’un accord.
Lilia reste debout. Ses bras le long du corps. Ses yeux ouverts. Mais ce qu’elle voit… Lui appartient désormais.
Jean n’ose pas bouger. Marie retient son souffle.
Une larme glisse sur la joue de Lilia. Pas de douleur. Pas de peur. Une reconnaissance.
Elle murmure :
— Elle est là. Elle m’habite. Mais elle ne m’impose rien. Elle attend.
Jean s’approche.
— Elle ?
Lilia tourne lentement la tête.
— La mémoire. Pas celle des hommes. Celle des pierres. Des fréquences. Des formes oubliées.
La mémoire du commencement de l'univers.
Elle pose la main sur le disque. Il ne pulse plus. Mais il résonne. En elle.
— Ce n’est pas un savoir. C’est un état. Un mode d’être. Une autre dimension.
Et maintenant… Je dois le transmettre ?
L'univers est en expansion, pas seulement physique, mais surtout sensoriel.
L’espace interstellaire est un mode acoustique. Les fréquences sont partout, elles pulsent en harmonie d'une façon qui nous est totalement inconnue. La terre produit une dissonance qui perturbe l'ensemble. Ce grain de poussière dans le cosmos peut être éliminé rapidement, mais la terre recèle quelque chose d'extraordinaire…
Lilia est à l'écoute de sa voix intérieure. Elle ne parle plus.
Marie et Jean attendent, mais rien ne vient.
Jean ne peut plus se retenir, il interroge Lilia.
Lilia… Quelque chose d'extraordinaire ?
Oui, pardon, ce que je découvre est trop pour moi. J'en étais où déjà. Une chose extraordinaire, oui bien sûr.
La vie, c'est la chose la plus précieuse, il faut la préserver. la complexité de la tâche est tout simplement phénoménale.
J'ai besoin de voir Island. Bonsoir Maman, Papa, à bientôt.
Jean et Marie restent figés. Lilia a déjà franchi un seuil. Elle ne parle plus comme leur fille, mais comme une initiée.
Le disque est silencieux. Mais la pièce… Résonne encore, des paroles de Lilia.
Jean déclare :
— Elle est passée de l’autre côté.
Marie hoche la tête.
— Non. Elle est bien avant tout cela, l'homme avait accès à la connaissance ce qu'il en a fait, s'est retourné contre lui.
Et, nous n'en sommes pas loin aujourd'hui.
Lilia marche dans le couloir. Ses pas sont légers. Mais le sol semble vibrer sous elle.
Elle sort. La nuit est claire. Le ciel pulse doucement. Comme si les étoiles… Écoutaient.
Il y a un arc-en-ciel sur la colline.
Elle marche vers le bungalow d’Island. Elle ne frappe pas. Elle sait qu’il est réveillé.
Island ouvre. Il ne dit rien. Il sait.
— Entre.
Lilia entre. Elle s’assoit. Elle le regarde. Elle hésite.
— Island… Je crois que je suis devenue… Autre chose.
Island ne répond pas. Il s’approche.
Raconte-moi.
Lilia, lui explique ce qui lui arrive.
Island, n'a pas l'air surpris, il interroge non pas Lilia, mais la mémoire.
— Sais-tu pourquoi mon résonateur semble limité ?
Lilia, est connectée avec une présence qui la traverse, elle récite :
— La surface modifie les ondes sonores et leur effet sur les particules.
En comprenant comment les ondes sonores interagissent avec les particules et les surfaces, tu trouveras tout ce qui te manque pour la manipulation et le contrôle de la matière.
Island pose sa main sur le cristal noir. Il ne l’active pas. Il écoute. Il comprend.
— La surface détourne les ondes. Elles se plient, elles se cachent. Si je te suis, elles m’ouvriront la matière.
Lilia reste silencieuse. Mais en elle, quelque chose pulse. Pas une pensée. Une modulation.
Island ferme les yeux. Le résonateur vibre. Faiblement. Mais avec une texture nouvelle.
Il comprend, la Mémoire analyse et intervient.
— Tu as modifié son champ. Pas par programmation. Par présence.
Lilia hoche la tête.
— Ce n’est pas moi. C’est la Mémoire. Elle s’accorde à ceux qui ne cherchent pas à la posséder.
Island sourit, presque inquiet.
— Alors nous devons devenir des instruments ouverts.
Il ajuste la surface du cristal noir, poli, mais irrégulier. Il le tourne légèrement. Et le champ change.
Une onde nouvelle se déploie, torsadée, imprévisible.
L'appareil ronronne légèrement, une vie minérale l'habite désormais.
Lilia perçoit une onde de torsion. Elle frissonne :
— Tu viens d’ouvrir une musique qui n’attend rien… Mais qui nous observe.
Island la fixe.
— Viens. Allons dans le tunnel. Là où les surfaces ne sont pas lisses. Là où la mémoire respire.
Lilia et Island se faufilent dans la nuit. Une fois arrivé à l'entrée du tunnel, Lilia demande :
— Ne devions-nous pas informer mes parents sur notre démarche ?
— Nous n'en avons pas pour très longtemps.
Lilia et Island s'engouffrent dans le tunnel creusé par Mathieu.
L'éclairage est bien disposé, nous avançons rapidement depuis un bon moment.
Après un court virage, il semble s'interrompre, nous avançons plus lentement et là devant nous une immense cavité.
Sur notre droite, il y a un escalier en bois qui descend dans ce qui ressemble à une grotte.
Pris par la curiosité, nous dévalons les marches quatre à quatre.
La dégringolade n'a pas de fin. Nous voici enfin sur le sol ferme. Nous levons la tête, la cavité est impressionnante, une cathédrale minérale, un sanctuaire vibratoire. Sur notre flanc gauche, un tunnel pénètre sous terre.
Nous avançons avec précaution, un peu plus loin, il y a un renfoncement.
Island s'arrête :
— C'est ici que je vais faire mes expériences.
Lilia s'assoit sur une caisse.
Après plusieurs essais infructueux Island, demande à Lilia :
— Tu as une idée pourquoi il ne fonctionne pas ?
— Tu dois exprimer une intention justifiée.
— Ok, je fais de mon mieux.
Island vise une roche et souhaite voir une boule de roche. Elle se ramollit, s’arrondit, se transforme, puis roule au sol, encore chaude.
Island s’accroupit. Il ne touche pas la boule. Il l’observe.
La roche pulse encore. Faiblement. Comme si elle retenait quelque chose.
Lilia s’approche, tend la main sans toucher.
— Elle n’est pas seulement chaude. Elle est accordée. Elle a reçu ton intention… mais elle n’a pas encore répondu.
Island hoche la tête.
— Alors il faut que je reformule. Pas en mots. En fréquence.
Il ajuste son résonateur. Le cristal noir vibre. Une onde douce traverse la salle.
La boule vibre, se fissure en silence. Elle s’ouvre. Et à l’intérieur… Une lumière sourde. Pas une source. Une mémoire de lumière.
Lilia recule.
— Ce n’est plus une boule. C’est une capsule vibratoire, un fragment de mémoire enfoui.
Island murmure :
— Alors la matière… N’est pas passive. Elle attend. Depuis toujours.
Ils restent là, figés devant la roche ouverte, la lumière sourde, la réponse du monde.
Island prend une petite pierre, le dépose au milieu du chemin, puis se recule jusqu'à Lilia.
— Si je propose à la pierre de s'effondrer comme lors d'une implosion, penses-tu que cela pourrait fonctionner ?
— Expérimente afin de constater.
Island vise la pierre et il désire voir en implosion. Il regarde la pierre, elle bouge, puis c'est une explosion grandiose.
De petits fragments roulent. Jusqu'à leurs pieds.
— Tu as vu, c'est vraiment impressionnant.
Le mobile d’Island émet une alarme. Il sort son téléphone, il le regarde, se tourne vers Lilia, étonné :
— J’ai une alerte de détection sur le tracker Wheere.
— D’après toi qui peut bien faire des recherches ?
— Je n'ai aucune idée, mais ne t'inquiète pas, mon téléphone est clair.
Lilia regarde les fragments. Ils vibrent encore. Comme si l’implosion… Avait libéré une onde enfouie.
Island fixe son téléphone. L’alerte clignote. Mais aucune localisation précise. Juste une présence détectée.
— Je pense que ce n’est pas une recherche. C’est une interférence.
Lilia s’approche. Elle pose la main sur un fragment. Il est tiède. Mais il pulse. Faiblement. Comme un signal de détresse.
— Island… Et si ce n’était pas nous qui avions déclenché l’alerte ?
Et si c’était la mémoire elle-même… Qui avait été repérée ?
Island fronce les sourcils.
— Tu veux dire… Que quelqu’un, quelque part… Capte ce que nous faisons ici ?
Lilia hoche la tête.
— Pas quelqu’un. Quelque chose. Un système d’écoute. Un réseau de détection vibratoire.
Island regarde autour de lui. La grotte semble calme. Mais le champ… Est troublé.
— Il faut qu’on sorte. Par précaution, c'est plus prudent.
Lilia ramasse un fragment. Elle le glisse dans sa poche.
— Ce n’est pas terminé. Mais ce n’est plus le moment.
Ils remontent les marches. Plus lentement.
Comme si chaque pas… Résonnait dans un monde qu’ils ne voient pas encore.
Arrivé à la porte, Island pose son oreille contre le bois.
— Je ne comprends pas le bruit est bizarre. J'entrouvre la porte pour voir, reste derrière moi.
Island pousse la porte et regarde un bon moment avant de refermer.
— Ils sont tous en rang deux par deux, ils avancent docilement vers des camionnettes.
Il y a des mercenaires partout, mais un seul fait avancer les prisonniers. Nous ne pouvons plus rien pour eux.
Restons caché, nous aviserons plus tard.
— Et mes parents, ils sont avec les captifs ?
— Je ne pense pas.
Lilia recule d’un pas. Son cœur bat vite. Mais ce n’est pas la peur. C’est une onde d’urgence.
— Island… Si mes parents ne sont pas là… Alors ils savent. Ils ont anticipé.
Island hoche la tête.
— Jean est prudent. Marie… Intuitive. Ils ont dû capter quelque chose. Peut-être même… Activer une alarme ou un champ de brouillage.
— Non, si l'alerte avait été donnée, le tunnel aurait accueilli nos amis.
— Tu as raison.
— Il faut qu’on retourne dans la grotte. Pas pour fuir. Pour écouter. Ce que la mémoire… Va nous dire maintenant.
Nous empruntons le tunnel après avoir éteint l'éclairage, notre torche guide nos pas. Une fois en bas de l'escalier, Lilia interroge la mémoire. Aucune réponse ne vient. Ils posent la question différemment, sans succès. Soudain des pas dans l'escalier...
— Viens, dit Island, le premier à réagir.
Nous partons sans bruit, avant de nous élancer au pas de course... Mais très vite, le tunnel est un cul-de-sac…
La roche est dense. Lisse. Sans faille apparente.
Island pose la main sur la paroi. Elle est froide… Mais elle pulse.
— Ce n’est pas un mur. C’est une interface. Une pellicule de roches qui dissimule un passage.
Lilia ferme les yeux. Elle accorde son souffle à la paroi.
Une vibration sourde la traverse. Faible. Mais juste. Les pas dans l’escalier se rapprochent. Ils résonnent.
Comme une menace rythmée.
— Il faut que tu essaies. En résonance, murmure Island.
Lilia pose ses deux mains sur la roche. Elle n’exige rien. Elle offre.
Une onde se propage. La paroi vibre. Puis…
Elle s’opère elle-même, comme une ouverture minérale.
Un passage étroit, ancien, s’ouvre devant eux.
— Tu viens de créer un accord de fuite, souffle Island.
— Non. Un accord de passage, la pierre a répondu.
Ils s’engouffrent dans le boyau. Derrière eux, la roche se referme… comme une expiration.
Et le silence devient protection.
Car, derrière la roche :
« Il n’y a personne ici. Pas de fuite possible. Remontons. »

Annotations
Versions