Chapitre 7

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La paix que j’avais goûtée après les révolutions fut fragile et courte. Les hommes, malgré leurs victoires et leurs réformes, n’avaient pas oublié la violence. Ils la portaient toujours en eux, prête à éclater. Et moi, Saint-Cernin, je la voyais revenir avec les guerres modernes, celles qui ne toucheraient pas seulement quelques villages voisins, mais le monde entier.

La première fut la Grande Guerre. Je sentais son approche comme un souffle lourd, une tension dans l’air que mes arbres semblaient deviner avant moi. Les jeunes hommes quittèrent mes rues pour la ville et pour les champs de bataille lointains. Les mères pleuraient, les pères tremblaient. Moi, j’avais vu tant de départs, tant de guerres, mais celle-ci semblait différente. Les nouvelles arrivaient plus vite, plus nombreuses. On parlait de millions d’hommes tombés, de villages rasés, d’explosions qui faisaient trembler la terre. Et mes habitants, mes enfants, mes amis… partaient les uns après les autres.

Chaque soir, je guettais les silhouettes au loin, espérant voir revenir ceux qui avaient quitté mes ruelles. Mais souvent, les portes restaient closes, les cheminées éteintes. Les écoles se vidaient, les champs étaient délaissés. J’entendais le vent dans mes collines et j’avais l’impression qu’il portait les cris de ceux qui ne reviendraient jamais.

Puis vint la Seconde Guerre mondiale. Elle avait un parfum différent : occupation, peur, trahison. Les envahisseurs s’installèrent sur mes terres. Mes habitants devaient obéir ou disparaître. Certains résistèrent, se cachant dans mes bois, se faufilant dans mes grottes, portant des messages, sauvant des vies. Moi, j’étais leur refuge silencieux, témoin invisible de leur courage.

J’ai vu mes routes empruntées par des convois militaires, mes places surveillées par des patrouilles, mes champs réquisitionnés. Les écoles étaient fermées, les familles cloîtrées. Les cloches de ma chapelle, qui jadis annonçaient les fêtes et les offices, ne résonnaient plus qu’en silence ou en crainte. La peur était palpable dans chaque pierre, dans chaque ruelle.

Mais, comme toujours, l’espoir se glissait dans les fissures. Les enfants continuaient à jouer dans les coins les moins visibles, les femmes à préparer le pain en cachette pour ceux qui avaient faim. Les vieillards racontaient des histoires de courage et de foi, pour que la mémoire survive même à l’ombre de la guerre. Moi, je les observais tous, et je comprenais que mon rôle était de protéger ces éclats de vie, de les porter à travers le temps, jusqu’à ce que les ténèbres s’éloignent.

Le retour de la paix fut doux mais étrange. Mes habitants revenaient, certains mutilés, d’autres marqués par le chagrin. Les maisons avaient souffert, certaines avaient disparu. Les champs, longtemps laissés à l’abandon, devaient être réensemencés. Mais la vie reprenait, avec prudence et détermination. J’ai vu mes enfants reconstruire ce que la guerre avait détruit, non pas seulement les murs et les routes, mais le tissu même de leur communauté.

Et moi, Saint-Cernin, je portais encore les cicatrices de ces guerres modernes. Elles étaient gravées dans mes pierres, mes arbres, mes chemins. Mais elles étaient aussi gravées dans le cœur de mes habitants. Chaque rire retrouvé, chaque marché réouvert, chaque cloche de chapelle qui sonnait de nouveau était une victoire contre l’ombre.

J’ai compris alors que la guerre ne détruit jamais tout. Elle peut briser des corps et des maisons, mais elle ne peut pas effacer la mémoire ni le courage. Moi, qui avais traversé les siècles, je le savais mieux que quiconque. Je savais que chaque génération renaît de ses cendres, et que même les heures les plus sombres laissent place à la lumière.

Pourtant, je restais vigilant. Les hommes oublient vite, et l’ombre des guerres modernes m’a appris que la paix, fragile, doit être protégée. Moi, Saint-Cernin, je devais rester le témoin silencieux, le gardien des histoires et des leçons, pour que mes habitants comprennent toujours la valeur de ce qu’ils possèdent.

Aujourd’hui encore, quand je regarde mes rues, mes maisons, mes collines, je sens les présences disparues. Les pas des jeunes partis au front, les voix des résistants cachés dans mes bois, les chants des familles réunies après les bombardements… tout cela vit encore en moi. Et je sais que, tant que je parlerai, tant que je garderai mémoire, Saint-Cernin restera debout, même si les hommes recommencent à trembler face à l’ombre.

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